Long fleuve charriant un héritage millénaire, le Wushu présente de nombreux affluents importants ou secondaires. L’Occident n’en connaît que ceux des rencontres sportives internationales dont la première eut lieu à Xi’an en 1985, et ces vitrines officielles de l’art traditionnel que sont le monastère Shaolin et le mont Wudang dont l’histoire reste largement ignorée. Un troisième embranchement, souterrain celui-ci, concerne les pratiques populaires. Mais pour l’heure, profitons du voyage et laissons-nous porter jusqu’à l’ombre des monts sacrés par ces deux courants qui en intègrent toutes les pratiques, Shaolin et Wudang.
La période 1928-1937, au cours de laquelle la Chine retrouva un semblant d’unité, vit la création d’une institution nationale, le Zhongyang Guoshu guan, « Ecole Centrale des Arts nationaux » (c’est-à-dire « martiaux ») fondée en 1927 à Nankin. Emanation du Guomindang, « le parti du Peuple », l’école, alors présidée par le charismatique Zhang Zijiang (1882-1963), partagea son action entre des départements de recherche, de publication et d’enseignement, ce dernier divisé en deux sections, l’une pour l’école externe (Shaolin men), l’autre pour l’école interne (Wudang men).
Parmi les pionniers de ce développement, il faut retenir les noms de Wu Jianquan (1870-1942), qui fut le premier à effectuer une démonstration de Taiji quan à Shanghai en 1923, et Yang Chengfu (1883-1936) qui s’installa dans cette même ville cinq ans plus tard. Au cours des années trente, l’enseignement du Taiji quan se formalisa en styles distincts: « Wu » et « Yang » des experts précités, « Hao » de Hao Yueru (1877-1935 ) et « Sun » de Sun Lutang (1861-1933).
On a longtemps soutenu que les arts martiaux traditionnels avaient été éradiqués de Chine, la tourmente de la Révolution culturelle ne laissant subsister que des ersatzs sportifs. La grande manifestation qui, en 1981, réunit plus de deux cents amateurs âgés de sept à quatre-vingt sept ans (!) dans le Palais des sports de la province du Liaoning, démontra le contraire.
Paradoxalement, au début du Xxe siècle, l’influence occidentale et l’exemple du Japon où Jigoro Kano venait d’inventer le premier sport extrême-oriental, le Judo, furent probablement aussi décisives pour le renouveau des arts martiaux chinois que le réveil de l’orgueil national d’un peuple considéré alors comme « le malade de l’Asie » (dong ya bing fu).