De nombreux sentiers se croisaient dans les montagnes, et celui que nous suivions, quoi qu'il fût la route ordinaire de Muong Long, était envahi par les herbes, à peine tracé d'ailleurs et point entrenu. Si nous apercevions au contraire un chemin large et soigné comme une allée de parc, nous étions assurés qu'il conduisait à un village de sauvages. Ces bourgades, bâties et comme suspendues sur les pentes, sont habitées par une population laborieuse qui vit de riz de forêt, amène chez elle les eaux nécessaires à l'irrigation par de longs canaux de bambou, ne se mêle point aux civilisés de la plaine, dont elle ne parle pas la langue, enfin qui se suffit à elle-même, se retranche dans son orgueil et se fixe sur les hauteurs.
Le roi de Muong You a la peau blanche, une figure intelligente, ouverte, avenante; il ne se lassait pas de nous interroger, et chacune de nos paroles semblait ouvrir devant lui un monde nouveau plein de fantastiques perspectives. J'ai compris moi-même, en le voyant, ce que pouvait être un prince oriental, et les séduisante figures qui flottaient dans ma mémoire comme des créations imaginaires ont pris corps à mes yeux. Malheureusement, le vrai luxe côtoyait le faux dans ce palais, et j'ai vu avec regret des bouteilles vides de pale ale décorer les colonnes de la salle d'audience. Ce vulgaire produit de l'industrie européenne provoque chez le roi du Muong You le même engouement qu'excitent chez nos déseouvrés les craquelés chinois.