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sur 1741 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dernière page de ce livre refermée, le premier pour moi d'Emmanuel Carrère. Au moment de livrer ma critique, je mesure le fait que je vais sûrement réitérer un avis partagé par bon nombre de lecteurs avant moi : L'érudition, le sérieux du travail de recherche qui sous-tendent tout l'ouvrage, ce côté autobiographique entre confession et provocation, l'honnêteté intellectuelle de l'auteur..., sa mise en avant de son vécu de chrétien qu'il assume comme une étape de sa vie qui l'a construit et mené à ce qu'il est aujourd'hui, à ce « Royaume » également que je tenais encore à l'instant dans mes mains.
Si je ne devais pas redire toutes ces choses, je ne dirais que cela : Je ne me suis pas ennuyée une seconde à la lecture de cet ouvrage. J'ai appris beaucoup de choses sans sentir le poids de l'érudition d'un auteur qui se mettrait dans la peau du professeur sensé nous faire la leçon. J'ai aimé avoir cette impression qu'Emmanuel Carrère me livre ses recherches, ses tâtonnements, ses doutes comme si j'assistais au développement de ce récit, à sa genèse. Il m'informe, comme en aparté, de ce qui est convenu et admis dans les milieux autorisés à le faire et de ce qui ne l'est pas car tout droit sorti de son imagination. L'imagination pour habiller l'ignorance des évènements, des sentiments, car la fiction est plus belle et souvent pas moins vraie que la réalité, parce qu'il aime à penser que les choses se soient déroulées ainsi.

Certes le royaume est un phénomène littéraire (ce n'est pas moi qui le dit et personnellement c'est une étiquette qui me fait plus fuir que rappliquer) mais je l'ai lu avant tout comme une oeuvre singulière, celle d'une conscience athée emprunte d'une si belle spiritualité.
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Résumons : c'est l'histoire d'un guérisseur rural qui pratique des exorcismes et qu'on prend pour un sorcier. Il parle avec le diable, dans le désert. Sa famille voudrait le faire enfermer. Il s'entoure d'une bande de bras cassés qu'il terrifie par des prédictions aussi sinistres qu'énigmatiques et qui prennent tous la fuite quand il est arrêté. Son aventure qui a durée moins de trois ans, se termine par un procès à la sauvette et une exécution sordide, dans le découragement, l'abandon et l'effroi. » Deux mille ans plus tard on en parle encore.

Emmanuel Carrère utilise une nouvelle fois son héros de roman préféré, lui-même, pour nous raconter les débuts du christianisme. C'est en conteur, en historien, mais surtout en enquêteur méticuleux et scrupuleux qu'il marche sur les traces de Paul (celui du chemin de Damas…) et sur ceux de Luc qu'il considère comme le premier romancier. Carrère parle de lui, de sa crise de foi, il y a vingt ans il s'est cru chrétien et durant trois années, il fut un vrai bigot. Sa foi s'est envolée comme elle était venue, seule est resté la question : pourquoi deux mille ans plus tard on en parle encore ?

Sous la plume de Carrère les lettres de Paul et l'évangile de Luc deviennent de précieux documents historiques sur la vie des premières communautés chrétiennes et sur la vie quotidienne autour de la Méditerranée que Paul et Luc en bons prosélytes ont parcourue sans cesse dans le milieu du premier siècle. La vie de Paul est un péplum fait d'amitié, de trahison, de foule en délire et de Romains médusés de voir une bande de monothéiste s'entre déchirer.

Utilisant des anachronismes plutôt bienvenus, il compare le début du Christianisme à l'Union Soviétique après Lénine, le lecteur avance dans le premier siècle de notre ère en terrain presque connu.

Luc sera l'écrivain, le rapporteur peut être le plus fidèle car le moins exalté. Carrère s'écrit en train d'écrire, c'est sa marque de fabrique.

Deux mille ans plus tard, il relit les évangiles, les digère et les réécrit pour nous, et ce serait bien le diable que son récit devienne étouffe chrétien".
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Emmanuel Carrère aura consacré sept ans de sa vie à l'écriture du "Royaume", un essai bien documenté qui entraîne le lecteur dans les eaux troublées et profondes du christianisme à sa source.

Sa fascination pour l'évangéliste Luc - le seul des quatre qui fut cultivé et lettré - l'incite à chausser les sandales de ce médecin hellénisé et à retracer sa possible biographie, de son cheminement avec Paul à la rédaction de son témoignage, le plus "scénarisé" et dramatique des quatre Évangiles canoniques. Aussi Emmanuel Carrère aborde-t-il Luc comme un écrivain plutôt que comme un messager, et c'est ce qui fait la diversité et la richesse du "Royaume".

En tant que catholique pratiquante, cet ouvrage avait de grandes chances de m'intéresser et tel fut le cas. Même si je regrette que l'auteur - indéniablement un grand érudit, de la "graine d'académicien" - ait parfois un peu facilement actionné les leviers de la provocation et de la complaisance, dans l'ensemble j'ai trouvé son oeuvre remarquable, et son style très avenant.

Son approche du thème est originale et reste accessible à tout lecteur. Après un démarrage assez nombriliste qui effraie quelque peu, le lecteur découvre petit à petit l'ampleur des recherches, et la structure du récit qu'Emmanuel Carrère a érigée à la manière d'un château de cartes qu'un souffle de vent peut renverser en un instant. Au-delà de la curiosité sincère qu'il confesse pour son sujet, il a entrepris avec courage d'expliquer l'inexplicable, de saisir l'impalpable et de mettre en pleine lumière le message de Jésus et sa transmission. Ce faisant, il renvoie chaque lecteur à l'examen introspectif de la part la plus secrète de son être : la spiritualité, au sens large.

"J'étais en train d'achever ce livre et j'en étais, ma foi, plutôt content. Je me disais : j'ai appris beaucoup de choses en l'écrivant, celui qui le lira en apprendra beaucoup aussi, et ces choses lui donneront à réfléchir : j'ai bien fait mon travail. En même temps, une arrière-pensée me tourmentait : celle d'être passé à côté de l'essentiel. Avec toute mon érudition, tout mon sérieux, tous mes scrupules, d'être complètement à côté de la plaque. Évidemment, le problème, quand on touche à ces questions-là, c'est que la seule façon de ne pas être à côté de la plaque serait de basculer du côté de la foi – or je ne le voulais pas, je ne le veux toujours pas."

Après plus de 600 pages d'un méticuleux travail d'exégète et d'historien, c'est par ces mots qu'Emmanuel Carrère - qui fut croyant et qui prétend ne plus l'être aujourd'hui - amorce sa conclusion, me confortant dans l'idée que tout au long de son essai il a eu le cul entre deux chaises, faisant tour à tour preuve d'audace et de pusillanimité pour reculer finalement devant le verdict final, se donnant pour cela pas mal d'excuses.

Ce qui gêne intimement l'auteur n'est rien de moins que ce qui gêne la plupart des personnes qui se pensent athées : le refus de la parole de Jésus qui indique la voie étroite, celle qu'aucun d'entre nous n'a envie ni de regarder ni d'emprunter : "aimez-vous les uns les autres", "aime ton prochain comme toi-même". Beaucoup de personnes (chrétiennes ou non) pensent déjà obéir à cette ligne de conduite mais il n'en est rien car la majorité aime ce qu'il est aisé d'aimer : parents, frères, amis. Quel mérite y a-t-il à aimer ceux qui t'aiment ? Quel mérite à aimer une femme jeune, jolie et en bonne santé ? Le véritable amour - le vrai trésor - est vérité et humilité : aime ton ennemi, aime le pauvre, le malade, l'étranger, l'handicapé, le réprouvé. "Là où est ton trésor, là est ton cœur".

Très loin d'être moi-même à la hauteur de cette consigne, j'ose toutefois souhaiter à mes amis comme à mes ennemis d'avoir la foi, la vraie, la forte, l'aimante, celle qui porte et déplace les montagnes, celle qui éclaire la vie, celle surtout qu'il est urgent d'arrêter de confondre par bêtise ou par ignorance avec la religion.


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Que dire du "Royaume"? C'est un livre riche, très riche (un "péplum" comme son auteur le décrit lui-même). Beaucoup d'informations pour le moins variées, sur des thèmes parfois franchement opposés.

Alors c'est l'histoire du début du christianisme, quand Jésus est mort puis ressuscité, mais finalement plus là, et que ce sont ses disciples, ou même des gens qui ne l'ont pas connu de son vivant (Paul notamment) qui prêchent en son nom et établissent des églises un peu partout autour de la Méditerranée. Mais ce n'est pas que ça, c'est même loin d'être aussi simple.
C'est aussi une confidence sur ces quelques années durant lesquelles Emmanuel Carrère a cru. Il a été chrétien, il a passé des matinées à commenter dans des cahiers les Évangiles, il a fait baptiser son fils, et il s'est intéressé de manière approfondie aux mystères de chrétienté. Et en fait, ce livre vient de là, de cette période d'il y a vingt ans, qu'il avait préféré enfouir et oublier.
Mais c'est encore plus que ça, puisqu'Emmanuel Carrère n'est plus croyant aujourd'hui, et qu'il expose clairement dans son livre que sa démarche est avant tout celle d'un enquêteur soucieux de rétablir la vérité historique, plutôt que celle d'un croyant cherchant à convertir ses lecteurs. Il s'appuie notamment sur la démarche d'Ernest Renan et sa "Vie de Jésus" dans laquelle il essaye de rendre compte, en toute objectivité, de la vie de Jésus de Nazareth, en tant qu'homme plutôt qu'en tant que Messie. Ici finalement, c'est pareil, Emmanuel Carrère nous restitue les péripéthies de Luc, auteur d'un des quatre Evangiles qui sont la base même de la chrétienté, depuis sa rencontre avec Paul, jusqu'à sa décision de prendre la plume pour raconter tout ça, Jésus, le Temple de Jérusalem, la guerre de clans entre les premiers chrétiens, la propagation jusqu'à Rome, la traque organisée par Néron après l'incendie, le massacre des chrétiens puis des juifs, bref tout ce qu'on connait peu et mal, et qui finalement a permis à cette aberrante histoire de résurrection de devenir la religion la plus pratiquée dans le monde pendant des siècles et de perdurer aujourd'hui encore.

Mais tout cela ne vous donne pas mon avis sur le livre. Et là aussi c'est compliqué.
D'une manière générale, j'ai aimé ce livre, plus spécifiquement, j'ai préféré certains passages à d'autres. Emmanuel Carrère nous époustoufle par sa connaissance des textes bibliques, mais aussi des ouvrages qui gravitent autour de ces textes, et qui servent aussi de base à son roman. Il nous touche par la confiance qu'il nous accorde en nous dévoilant cette partie étrange de sa vie où il s'est mis à croire de manière compulsive en Dieu. Il nous fait réfléchir aussi, on nous présentant la vérité historique, et ses propres hypothèses, en nous montrant que notre monde est tel qu'il est aujourd'hui grâce (ou à cause) d'infimes détails, petits moments de l'histoire où tout aurait pu être interprété différemment, relaté différemment, où certaines actions auraient pu se dérouler d'une autre manière. Pourquoi a-t-on fait circuler le bruit d'une résurrection après avoir retrouvé le tombeau de Jésus vide? Et si les Romains avaient fait disparaitre le corps justement pour empêcher le développement d'un culte autour de cet homme, mort d'une manière atroce, condamné par Ponce Pilate, probablement sous l'influence du tribunal juif d'Israël? Tout reste bien sûr à l'état d'hypothèse, mais tout de même, ça fait réfléchir.
Mais par ailleurs, Emmanuel Carrère trouve un juste milieu, comme dans ses livres précédents, entre le récit informatif et l'autobiographie. Et finalement le mélange des deux est vraiment passionnant, puisqu'on retrouve dans ce récit d'une autre époque, d'un autre âge des références toutes contemporaines (notamment le parallèle entre la secte juive de l'époque et le Politburo soviétique). Et aussi parce qu'on assiste, au cours de ces 630 pages, à la progressive transformation de l'auteur, qui parvient finalement à être en accord avec cette période de sa vie où il a été si différent de lui-même et si versé dans la religion. Et c'est ça que j'ai finalement trouvé le plus beau, au-delà des considérations historiques, et des questionnements philosophiques et théologiques.

Un douzième Carrère qui ne déçoit pas.
Lien : https://theunamedbookshelf.w..
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Au début du livre, Emmanuel Carrère nous raconte sa conversion-déconversion à la foi catholique, et ce n'est pas que ce ne soit pas sympathique, mais son style absolument et platement ordinaire, tout à fait dénué d'élan spirituel, de petit grain de folie, de côté étonnant voire un peu délirant, ce n'est pas ce qui me semble le mieux coller à ce type de sujet. Il a presque le ton de quelqu'un qui raconte ses vacances, à peine dépaysantes - parce que c'est important de temps en temps de changer de cadre hein.
J'ai retrouvé ce penchant qui m'avait gêné aussi dans l'Adversaire, Emmanuel Carrère a du mal à assumer, que ce soit son intérêt pour Romand ou son adhésion temporaire à la foi catholique, il s'empêtre dans des fausses hontes, s'y étale avec une complaisance qui m'agace. Franchement, si là je me mettais à passer la moitié de ma critique à m'auto-flageller que vraiment je me trouve trop méchante avec Emmanuel, que c'est moi qui manque de sensibilité et d'empathie, que ce n'est pas de sa faute mais de la mienne si j'attends d'un écrivain plus de liberté à l'égard des jugements de ceux qui l'entourent, la capacité de ne pas s'y engluer, etc, ça ne vous saoulerait pas?
Quand il ne parle pas de lui, mais de Paul, de Luc, des premiers temps du christianisme, de l'écriture des Évangiles, c'est nettement plus intéressant. Pour le coup, Carrère sait mettre en relief le côté un peu fou de Paul. Et nous faire sourire, par des rapprochements sans doute pas très historico-corrects, mais en cela même plaisants, pour nous faire comprendre que Jacques, Pierre et Jean avaient toutes les bonnes raisons de se méfier de Paul (qui avait quand même bien persécuté les Chrétiens avant sa conversion) - hé, imaginez qu'un officier acharné dans la lutte anti-bolchevik aille trouver Staline et lui explique qu'ayant eu une révélation avec accès direct au plus pur marxisme-léninisme, le Politburo doit lui accorder les pleins pouvoirs...
Surtout, Carrère a bossé son sujet, c'est instructif tout en étant d'une lecture facile - même si c'est un peu longuet. Il me donnerait quand même presque envie de lire Renan, à le voir si passionné par la façon dont l'auteur de l'Histoire des origines du christianisme raconte «comment une petite secte juive, fondée par des pêcheurs illettrés, soudée par une croyance saugrenue sur laquelle aucune personne raisonnable n'aurait misé un sesterce, a en moins de trois siècles dévoré de l'intérieur l'Empire romain et, contre toute vraisemblance, perduré jusqu'à nos jours»
À la fin, quand l'auteur reparle de lui (Bon, évidemment, c'est Carrère, il n'avait jamais vraiment arrêté - disons plutôt quand il ne reparle que de lui), c'est beaucoup plus juste, plus fin, moins agaçant, comme si son étude lui avait permis de mieux assumer son côté cul-entre-deux-chaises, entre foi et athéisme.
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Sacré pavé pour une sacrée histoire, à défaut d'être une histoire sacrée!

Pour déboulonner un mythe et par la même occasion brûler ce qu'il a adoré, Emmanuel Carrère prend son temps et raconte comme on pense, mêlant doutes et certitudes (ces dernières appartenant à sa propre histoire : il laisse les doutes planer sur l'honnêteté des historiens et des hagiographes). Il résume en une phrase sa démarche « historique, romanesque, agnostique ».

Des histoires de Jésus, il en existe des légions (et pas uniquement romaines) : toutes construites sur les témoignages indirects, et quand on connaît la subjectivité des interprétations et des bévues même de la part de personnes qui ont assisté à un événement, on se doute bien qu'il faut être méfiant en ce qui concerne l'authenticité de faits rapportés : bonne ou mauvaise foi (!) des rapporteurs, perte des premiers écrits (eux aussi indirects), erreurs de transcription ou d'interprétation (sans oublier que les apôtres du messie étaient presque tous illettrés et les chargés de com ont du faire appel aux scribes ) : tout cela rend bien aléatoire la vérité historique des textes qui font référence pour les catholiques. et cela importe peu, car lorsque l'on est capable d'admettre la vraisemblance des postulats fondateurs de la religion chrétienne (résurrection et immaculée conception, cette dernière étant un scénario de l'Eglise, et en aucun cas une revendication de Jésus), la véracité historique des textes n'a qu'un importance secondaire.

L'originalité de cette recherche des origines d'une religion qui concerne à peu près un quart de la population de la planète, est liée aux raisons de cette quête, issue d'une foi perdue, une vraie foi sans réserve, qui conduit un individu à consacrer toute son énergie, aux dépens de son entourage ou de son travail. Cela évoque bien entendu un embrigadement sectaire, même si les gourous qui ont oeuvré avec succès, qu'ils se nomment Paul ou Luc, ont depuis longtemps disparu et ne survivent que par des écrits d'origine contestée. le christianisme, une secte qui a réussi : le rôle d'Augustin n'est pas ici évoqué, alors que l'explosion et la dissémination de la religion sont largement liées à l'énergie de ce dernier, qui de plus a bénéficié de soutien politique efficace.

En ce qui concerne l'écriture, le charme du conteur oeuvre ici encore. On retrouve le rythme et la mélodie de Limonov, qui avaient fait de ce triste personnage le héros d'un conte moderne. Ici encore, la prose séduit, en partie par son ancrage contemporain.

Ce livre changera -il la face du monde? A voir…..

Merci à Price minister pour cette participation aux matchs de la rentrée littéraire 2014

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Que les choses soient bien claires. Je déteste cette façon que cet auteur à de se mettre en avant, au détriment de son récit. En revanche, son travail de recherche sur les premiers chrétiens et la façon dont le Christianisme est né et s'est développé est remarquable. A tel point que je l'ai lu plusieurs fois. C'est avec un grand plaisir que l'on suit les pérégrinations de Luc et Paul pour diffuser la bonne parole. C'est d'ailleurs d'après ses écrits que je me suis rendu à Antioche, sur le lieu de la première église chrétienne, où Pierre, Paul et Luc se sont probablement retrouvés. Très grand moment ! En revanche, ses apartés sur sa vie personnelle sont absolument sans intérêt et nuisent au déroulement du récit. Autre bémol. Pourquoi être aussi vulgaire lorsqu'il aborde la probable sexualité de Marie ? Racolage ? Plus de concision aurait apporté à sa recherche plus de cohérence.
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J'ai lu ce livre de plus de 600 pages pendant une période récente d'immobilisation forcée de 8 jours, une sorte de retraite, et c'était particulièrement pertinent.
Au début on entre dans le livre avec circonspection, car sa première partie – une longue introspection philosophico-psycho-religieuse – qui dure pendant 142 pages, nous met au coeur le doute. L'auteur est un homme compliqué. Doué, riche, intelligent, belle gueule, torturé, pas vraiment apte au bonheur, avec une mère un peu écrasante (Hélène Carrère d'Encausse), des remords, une oeuvre fournie, le succès, déjà derrière lui un divorce et enfin, le bonheur … La question fondamentale qu'il pose – comme moi aussi depuis toujours – c'est : « Comment une secte de quelques adeptes réunis autour d'un maître n'ayant prêché que trois ans et supplicié de façon ignominieuse a pu s'imposer pendant plus de 2000 ans et représenter aujourd'hui l'une des trois plus importantes religions monothéiste du monde ? »
Ensuite, l'auteur mène l'enquête : nous voici auprès de Paul de Tarse, de Luc son compagnon, de Marc le secrétaire de Pierre, puis de Jean, le disciple préféré, de Jacques, le frère de Jésus, l'opposant le plus féroce à Paul.
Pas de prosélytisme, pas de prêchi-prêcha : seulement la volonté de comprendre et d'imaginer aussi quelles pouvaient être le portrait, la psychologie des premiers propagateurs de la parole de Jésus, les rivalités entre « chapelles », les sources des Évangiles, celles qui ont échappé à la censure de la hiérarchie, celles que l'on a découvertes par la suite, l'apport – ou l'altération – due aux copistes et aux exégètes.
Le talent d'Emmanuel Carrère, sa facilité d'écriture, la langue et les comparaisons politiques contemporaines qu'il évoque pour nous faire comprendre la situation des deux premiers siècles de notre ère, font qu'une fois (sans jeu de mot) entré dans l'enquête, on ne peut plus la quitter.
Le roman, plus particulièrement axé sur l'oeuvre de Luc, permet d'imaginer comment furent composées (ou copiées les unes sur les autres) les quatre évangiles et les textes qui forment le Nouveau Testament.
En bon scénariste de cinéma et de télévision, l'auteur nous transporte par exemple à Bethléem : « Maintenant, ce qui fait la réussite d'un film, ce n'est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain là, Luc est sans rival : l'auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu'on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par une ange, viennent en procession s'attendrir sur l'enfant. Les rois mages viennent de Mathieu, le boeuf et l'âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l'a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect. »
J'ai aimé cette lecture facile, qui éclaire beaucoup d'éléments inédits et érudits les bribes d'éducation religieuse qui me restaient très confusément, qui ne cherche à aucun moment à convaincre ni surtout à convertir. L'auteur a eu la foi et l'a perdue, il avoue toutefois toujours être en quête de la vérité. Ses derniers mots : « Je ne sais pas. » Moi non plus.
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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Qu'importe le sujet, depuis qu'il a abandonné la fiction pure, Emmanuel Carrère le prend à bras le corps, l'essore et l'épuise, en tire la substantifique moelle, et ses propres conclusions. Mais attention, libre à quiconque de les partager ou non. Chacun se fera, c'est le cas de le dire pour le Royaume, sa propre religion. L'érudition, phénoménale en l'occurrence, n'est pas nécessairement synonyme de certitudes assénées. Les derniers mots du livre ne sont-ils pas : Je ne sais pas ? Ceci dit, son humilité dut-elle en souffrir, il en sait des choses, Carrère, sur les premiers pas du christianisme, avérées, probables ou possibles. Il donne toujours l'impression de tâtonner mais d'où vient alors cette capacité à nous passionner, à nous entraîner dans sa quête et à lâcher prise ? A son talent de conteur, impressionnant, à cette façon de rendre vivante une époque qui appartient plus à la légende qu'à l'histoire. le Royaume est un tourbillon, avec quelques longueurs tout de même, sans cela ce serait la perfection, un carrousel de sensations et d'impressions, des plus prosaïques aux sublimes. Ce n'est certes pas un roman historique mais un ouvrage à entrées multiples, une farandole de goûts variés qui brasse une somme gigantesque d'informations et émet un certain nombre d'hypothèses. le thème majeur en est la résurrection. Enigme majuscule. Tout bien posé, on est là dans le domaine du fantastique, que Carrère connait parfaitement lui, le biographe de Phillip K. Dick, et auquel il fait souvent référence. Paul, Luc et Emmanuel (l'auteur) sont les personnages centraux du Royaume. L'apôtre, l'évangéliste et l'enquêteur. Trois vies racontées en toute bonne "foi". Il n'est pas le seul à pratiquer l'auto-fiction, l'ami Carrère, mais il laisse loin derrière lui tous les besogneux du genre. Son livre est monumental et il faut laisser aux exégètes le soin de le décortiquer s'ils en ont le courage. Trop riche, trop dense, trop choquant, trop brillant pour être résumé en quelques phrases lapidaires. Une chose quand même : le Royaume de Carrère est la littérature et, en ce domaine, peu de ses contemporains lui arrivent à la cheville.
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Sorte d'ovni littéraire que ce Royaume, un roman essai religio-autobiographique (oui oui, tout est validé je vous promets) qui n'aura pas obtenu le Goncourt que la vox populi lui promettait, mais aura été un des phares de l'actualité littéraire de 2014.

D'abord il faut reconnaitre le talent: talent d'écrivain, talent de chercheur, talent de conteur ou plutôt de re-conteur, puisque Carrère reprend tout ce que d'autres ont déjà dit pour nous le redire à sa manière. La lecture est très agréable, on apprend beaucoup de choses comme dans un essai tout en ne ressentant aucune lassitude, comme si on lisait un roman.

Si j'en restais là, on ne pourrait pas comprendre que je ne donne pas les 5 étoiles à ce livre parfaitement réussi. Mais je ne peux m'empêcher de me dire que j'aurais sans doute encore plus apprécié de ne lire QUE un roman sur le sujet abordé, les débuts de la chrétienté. J'ai toujours un peu de mal avec le nombrilisme d'une certaine littérature française (totalement assumé ici par Carrère qui explique qu'il ne veut au final que parler de lui-même) et je ne suis pas sûr d'apprécier une des tendances de la littérature actuelle, celle qui veut nous montrer la fabrication du livre en même temps que le livre lui-même. Sous couvert d'une authenticité plus grande revendiquée par l'auteur, ne perd-on pas un peu de magie, celle justement d'un Quo vadis qu'oppose l'auteur à ce qu'il a cherché à faire. A partir du moment où on est pas dupes et où on sait bien que les romans historiques ne nous disent pas forcément la vérité, j'ai l'impression de plus me détendre à leur lecture qu'à celle d'un essai-récit, malgré tout très réussi.

En revanche, je ne peux pas descendre en dessous des 4 étoiles, car ce choix d'écriture m'a aussi permis une plus grande introspection, sur mon propre rapport à la religion, avec un parcours assez proche de celui de l'auteur, et cet écho est sans doute celui qui aura fait le succès du livre dans une France qui ne sait plus par quel bout prendre ce catholicisme qui constitue ses racines mais à qui on a du mal à définir une place dans notre paysage actuel comme dans notre avenir.
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