Si ce roman m'a fait sourire une ou deux fois, notamment quand
Emmanuel Carrère mentionne la bouche en cul de poule qu'on est obligé de faire quand on prononce la deuxième syllabe du mot Jésus, il m'a surtout agacée à plusieurs reprises à cause de la langue relâchée, voire vulgaire qu'
Emmanuel Carrère semble se croire obligé d'utiliser pour... mais pour quoi au juste? Pour contrebalancer la sacralité de son sujet? Pour faire de la provocation? Parce que s'il avait écrit ainsi dans ses deux romans précédents, je pense que cela m'aurait gênée aussi. Or je n'ai aucun souvenir que ce fut le cas. Quand il se demande si Marie a joui dans sa vie, je trouve ça inutile, voire déplacé. Quand il parle d'une sculpture et qu'il dise "une femme à poil", ça me gêne. Soyons claire, la vulgarité ne me heurte pas si le contexte la rend nécessaire mais pour moi, c'est ici pure provocation, tout comme l'est le choix de certains mots (je ne vais pas en faire la liste, mais elle est assez longue). Je crois que pour moi, la cerise (pourrie) sur le gâteau fut "Ce n'est pas ma came". Vous avez déjà entendu Emmanuel Carrrère dire ça? Moi, jamais.
Concernant ce qu'il raconte, je ne vois pas l'intérêt de certains passages. Il nous raconte que son ami Hervé et lui sont allés entendre un porte-parole yougoslave de la Vierge et que ce qu'il disait leur a paru menaçant et froid. Et on passe à autre chose. Mais quel est l'intérêt de le mentionner si ce n'est pas pour nous expliquer ce qui fut dit et sur quoi se fonde cette impression?
Dans
Limonov, les parties que je préférais étaient celles où
Emmanuel Carrère se racontait. Ce ne fut pas le cas ici. J'ai d'ailleurs trouvé le mélange entre sa vie et son sujet, qu'il réussit d'habitude, raté. Pour moi, la sauce n'a pas pris. L'ensemble me semble de ce fait décousu. D'autre part, je n'ai pas toujours cru aux anecdotes qu'il mentionne ou plutôt aux détails qui les font vivre: celle de sa nourrice encombrante et encore pire, celle de l'amie qui invite un clochard qui s'incruste jusque dans son lit.
On sent dans ce livre toute l'ambiguïté qui le lie au sujet de l'un de ses romans précédent, Jean-Claude Romand. On le sent toujours fasciné par cet homme dont on apprend ici qu'il s'est converti au catholicisme et le pratique avec une certaine ferveur. On sent que cet homme qui s'est cousu un manteau de mensonges est un éternel mystère qu'
Emmanuel Carrère ne parvient pas tout à fait à percer mais dans sa façon de comparer la foi nouvelle de cette homme à un autre mensonge, tout en refusant de le faire vraiment, il y a quelque chose qui me dérange. D'ailleurs, j'aimerais bien savoir si Carrère a informé Romand qu'il serait à nouveau présent dans son livre et sous quelle forme. J'ai l'impression que Romand est le personnage récurrent et central de Carrère et qu'il est loin d'en avoir fini avec lui.
Je me suis aussi lassée des "je pense", "j'imagine", "il a dû". A un moment, je n'avais plus envie qu'on m'invente ce qu'a fait Luc.
Dernier point et non des moindres, j'ai eu l'impression de lire un livre à charge contre l'apôtre Paul. Soit c'est l'avis de l'auteur lui-même, soit les historiens et les exégètes le pensent et il n'est pas parvenu à me faire croire que c'est le cas.
Pour finir sur la note positive, je me suis instruite et j'ai apprécié de découvrir les débuts de cette secte qui devînt grande mais surtout du monde romain qui s'appropria la culture grecque dont il sentait la supériorité, j'ai découvert qu'être grec n'était pas lié à la terre où on était né, la promiscuité entre chrétienté et judaïsme qui ne sont que deux frères d'une même famille, le fait que les scènes du Nouveau Testament ne sont que très peu représentées en peinture ou que l'idée de la virginité de Marie n'était pas présente aux débuts du christianisme. J'ai aimé comprendre que les chrétiens ne se sont vraiment démarqués des juifs que lorsqu'être juif devînt dangereux pour eux. Ah, une dernière chose,
Proust est une sorte de fil conducteur dans ce roman. Il n'a aucun rapport avec le thème, mais ça passe bien tout de même. Et puis, avouons-le, il y a quelques moments de grâce, comme cette fille trisomique qui se met à chanter pour Jésus et dont l'innocence et le plaisir parviennent à faire tomber les barrières qu'
Emmanuel Carrère avait décidé d'ériger entre lui et les prières.
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