Le Chuchoteur est, à maints égards, le Lincoln littéraire.
J'entends par là un objet culturel médiatisé à l'excès et diligemment propulsé au rang des incontournables par un public averti. "Une étoile est née. Cet auteur de thriller est aussi doué que ses modèles américains..." augure ainsi Il Sole 24 Ore sur la quatrième de couverture.
Au risque de me faire quelques ennemis, je nuancerai ce joli tableau. Ce polar jouit certes d'un aussi immense qu'indéniable potentiel mais celui-ci se révèle malheureusement être éminemment mal exploité – là encore comme le film de Spielberg d'ailleurs.
À l'inverse toutefois dudit film qui, à l'exception du dernier quart d'heure, se trouve être hautement soporifique, l'histoire est ici captivante. Passé les cents premières pages du moins – qui plantent le décor et peuvent paraître assez longues – difficile en effet de ne pas être happé par cette enquête tentaculaire et plus spécifiquement par son point de départ : la disparition de cinq petites filles et, en parallèle, la découverte de six (!) bras gauches. Cette énigme macabre, qui constitue la clé de voûte du Chuchoteur, remplit ainsi la première mission d'un polar : intriguer – ici on se surprend même à l'être autant que les personnages.
Ces derniers font d'ailleurs l'objet d'une approche psychologique qui est sinon pleinement réussie, du moins étonnamment recherchée – pour un polar j'entends. En effet,
Donato Carrisi n'élude pas la totalité des poncifs du genre – il nous dispense du vieux flic expérimenté et torturé par ses vieux démons, pas de la Wonder Woman invincible... – mais a toutefois le mérite de constituer une équipe plausible. À mon sens, cette réussite tient probablement à l'attention quasi rigoriste avec laquelle l'auteur s'attache à détailler les rapports entre les différents membres du groupe d'une part et l'imbroglio de la hiérarchie policière d'autre part.
Cette rectitude, qui constitue l'un des atouts du livre, caractérise également la plume de
Donato Carrisi qui, là encore, s'avère être une belle surprise. Rares sont en effet les auteurs de thriller qui soignent leur style ! Minutieux, fluide et précis, l'auteur applique son regard scientifique – clinique ? – sur plus de quatre cents pages et dispense ainsi le lecteur d'un voyeurisme morbide. Sa minutie s'entrevoit également dans le caractère éminemment instructif du Chuchoteur qui est pétri d'informations médico-légales et, enfin, dans cette volonté de délocaliser l'action. En effet, à aucun moment nous ne savons où se situe l'action et les prénoms des personnages, tour à tour à consonance française, espagnole ou encore roumaine, renforcent cette confusion avec délice.
L'ennui c'est que
Donato Carrisi perd – délaisse ? – cette rigueur qui pourtant le distingue positivement lorsqu'il s'agit de faire avancer l'intrigue et, également, de la résoudre. Nombre d'éléments (rebondissements, déductions...) sont ainsi complètement saugrenus. J'ai d'ailleurs eu peine à comprendre le sens de la mention "inspiré de faits réels" tant l'auteur a recours à moult fantaisies – que, rassurez-vous, je tairai pour ne pas vous spoiler. Or j'estime que le devoir ultime d'un auteur de thriller est d'apporter une ou plusieurs réponses cohérentes. le laxisme – la paresse ? – dont l'auteur fait preuve ici pour résoudre l'énigme principale est donc totalement inadmissible car profondément irrespectueux.
Quant à l'épilogue, il m'a également laissée dubitative et quatre mots ont fini par résonner en moi : tout ça pour ça ? Au vu du dénouement, je n'ai pas compris l'intérêt des quelques centaines (bon d'accord, j'exagère) deus ex machina – qui au demeurant s'avèrent on ne peut plus prévisibles. C'est en effet la première fois que je devine autant d'éléments ce qui, vous le savez si vous me lisez régulièrement, ne me dérange pas en soi, à ceci près qu'ici, en plus d'être sans réelle surprise,
le Chuchoteur n'est aucunement effrayant. Pour un thriller qui se prétend "époustouflant" (cf. la quatrième de couverture), c'est quand même un comble, non ?
En résumé, un polar instructif qui aurait pu être brillant si l'auteur n'avait pas cédé à la facilité et troqué sa pourtant remarquable rigueur pour des coups de théâtre alambiqués et des solutions grotesques. Un page-turner efficace mais loin – très loin – du Millénium italien annoncé.
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