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EAN : 9789732804629
humanitas (01/01/1994)
5/5   1 notes
Résumé :
"L'Amour" („Dragostea“) est, parmi mes recueils de poésie, celui qui était voué à la malchance. C'est le dernier d'une trilogie "des années quatre-vingt" [terme qui désigne également un mouvement littéraire consacré en Roumanie] qui comprend également "Poèmes d'amour" et "Le Tout", bien que son appartenance aux "années quatre-vingt" s'avère mûre voire blette, ce qui explique cette sorte d’ambiguïté à cause de laquelle j'ai, pendant des années, hésité à le publier, d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Qu'on aime ou qu'on n'aime pas M. Mircea Cartarescu (ou bien ses romans déjà traduits), il faut avoir lu CE livre : rien (à part peut-être le titre, [L'Amour]) qui soit bateau, ou alors ”ivre” de magistrale beauté moderne (quoique !), bourré de talent. RAM-tam-tam (j'applaudis vraiment, c'est lui que je choisis). Et puisque dans les années 1980 il se disait prêt à partir à l'ONU pour y rapporter la paix universelle („cri, noi putem astea toate”), dans 35 ans encore j'aurai l'audace de croire qu'il convaincra l'UNESCO. Que la Roumanie cesse donc de craindre ses poètes : „să alinăm nostalgia, frustrația, SIDA/coropișnița, moartea soarelui, infernul, omida...”
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
J’ai obtenu
un exemplaire du livre Howl
signé par Ginsberg

(2/2)

hier soir Magda m’a offert
un tout petit recueil fin comme la lame à raser : « Howl et autres poèmes », avec une préface de William Carlos Williams
sur la page de garde sa signature, à l’encre noire :
des boucles toute mignonnes, à l’instar d’une couture défaite.
plus bas : « 8/24/86. Struga »
je fus terriblement ému, et plus tard, en le relisant, j’ai senti à quel point c’est important d’être poète, à quel point il est nécessaire d’être poète.
non pas un sonnant et trébuchant par la queue, non pas un minaudier amateur d’orphismes,
mais un humain, homme et poète, un honnête homme,
et un bon poète si possible.
plus que le poème éponyme, m’ont plu
ces « earlier poems ». il y a tant de douce et résignée et (Dieu sait comment encore) en même temps exaltée tristesse dans « An Asphodel » ou bien dans « Song »
ou dans « Wild Orphan »…
comme si la feuille du ciel avait été énergiquement frottée avec la pointe d’un crayon rouge
jusqu’à ce qu’elle soit déchiquetée
comme si un moineau touché à la tête par un plomb serait tombé dans la poussière où il aurait encore tourné un temps autour de lui-même comme une toupie
comme si les touches de la machine à écrire disparaîtraient soudain et qu’à leur place des pointes de canif apparaîtraient et qu’il faudrait néanmoins écrire un grand poème
comme si les nuages des animaux rampants devenaient brusquement des vertébrés et qu’après la pluie il n’en resterait sur le ciel que les squelettes putrides
comme si les folles, les sages et les frémissantes étoiles étaient des beignets dont sortiraient par éclosion non, pas des papillons, pas des papillons
comme si la poupée de chacune des fillettes du monde, dans chacune des chambres du monde où dort une fillette, se lèverait de son coin, et avancerait vers le petit lit avec des pas d’automate, pour se pencher au-dessus du petit lit et crier soudain d’un hurlement insupportable
comme si par un printemps ordinaire fleurirait toutes les fleurs des arbustes, des arbres et des jardinières des parcs, et des bourgeons, au lieu de pétales multicolores, sortiraient des trous noirs qui aspireraient doucement tantôt une rue entière, tantôt une fenêtre avec une vieillie, un landau
comme si la galaxie serait une poignée de décorations du sapin de Noël cosmique plein de petites étoiles électriques et de boules multicolores déchirantes
comme si les femmes étaient des tarentules
comme si la photo de Cristina enfant tenant un perce-neige entre les doigts devenait l’emblème même de la tristesse
comme si jamais, jamais aucun humain n’avait songé à sa disparition, comme si les humains n’étaient pas parvenus à l’unification des champs et au rein artificiel et à la théorie des catastrophes et à la rose du Maréchal Niel et au vide dans les ampoules
comme si l’univers entier, des espaces dans des espaces, des temps dans des temps, du sang dans du sang, de la roche dans de la roche, des dents dans les alvéoles, des nuages pensants, paradis et enfer, cœur et cerveau, flamme et cendres
n’étaient qu’
AMOUR
désespéré, non-partagé
AMOUR
la seule chose qui
homme ou femme, enfant ou vieillard,
apparaît comme intemporelle
apparaît comme non-datée

plutôt carré, fin, modeste petit livre
tandis que chez nous ils sont légions à avoir l’obsession de l’« œuvre »
plaquette de débutant sagement imprimée
et à l’intérieur – « Howl » (À l’aide !
à l’aide ! j’ai besoin de quelqu’un, mais pas n’importe qui
je suis seul et j’ai besoin de toi, de toi.
je veux que tu me comprennes…)

j’ai 30 ans, l’âge de Ginsberg et d’Hamlet
pour moi c’est un drame dont je ne me remets plus.
je voudrais m’arrêter, je me sens mal dans le wagonnet des montagnes russes
je veux descendre, je ne distingue plus le monde
autrement que comme le vortex de Borges.
je me suis réveillé du rêve où
les couleurs parlaient
les odeurs illuminaient
et le monde était
une structure de verre et de nougat
une vertèbre de velours
trouvé par un Cuvier végétal.

oh, le rêve s’est achevé.
oh, le tout s’en est allé…
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L’amour
(II/II, chapitres 6 à 12)
6.
la lune était une grosse bulle de savon
qui reflétait en courbure le monde d’en bas
elle attirait les arbres et extrayait les pétales des bourgeons
elle formait des fleurs de mine dans les profondeurs de la terre
elle peignait les cristaux de quartz
elle dévissait les vieilles comme les poupées chinoises
et en retirait des adolescentes
elle dévissait les adolescentes et en sortait les petites filles
elle dévissait les petites filles et laissait s’échapper un soupir.
la lune jaune
flottait au-dessus de l’arc-en-ciel noir
et la mère est entrée en elle, recroquevillée là
en collant ses ailes les unes contre les autres.

7.
l’ombre de la mère se débattait en plein amour
avec un uniforme déchiqueté, avec la carte d’identité en miette
elle se frayait un chemin à travers le désir, à travers la langueur
par la luxure, par la passion, par l’émotion, par la lascivité
car
— amour ! hurlaient les radiateurs
— amour ! les rideaux
— amour ! les magasins de pièces automobiles
— amour ! les rats
l’ombre de la mère parmi les glacières noires
avec de la glace noire, elle faisait des pas noirs
rayée par les outils noirs de l’amour.

8.
la lune jaune
flottait au-dessus de l’arc-en-ciel noir.
les ailes de la mère ont commencé à s’effondrer
son visage s’est élargi, ses yeux se sont lavés
jusqu’à ce que la substance de son corps soit homogénéisée avec celle de la lune.
seul son mince squelette fut encore visible
par transparence, pendant un certain temps.

9.
père vit soudain la lune se lever.
au-dessus de bucarest, au-dessus des ateliers ITB
la lune plus grande que la terre s’était levée.
et tous les objets noirs projetèrent des ombres colorées
et l’ombre de la mère, du père et une ombre colorée
avec un corps mince et un crâne énorme.
l’amour noir n’était pas l’amour.
les outils noirs n’étaient pas des outils.
ça avait été la bête, le cauchemar noir, l’apocalypse, le réveil
c’était le réal, l’apparition.
« j’ai fait un rêve étrange », pensa le père
« dans lequel le monde faisait semblant d’exister ».

10.
le crâne du père devint énorme
sa pensée devint infinie
sa volonté se déchaîna
son pouvoir devint illimité.
il observa la ville et la ville s’effondra.
il dit un mot et la galaxie s’effondra
déployât ses ailes et s’envola
ramant entre les étoiles
perçant avec l’imagination des milliards de mondes parallèles
sentant le courant froid du soleil dans le dos
abattant avec des ailes de chauve-souris n’importe quelle échelle de valeurs
par la probabilité, par l’éternité, par le jamais
il nageait avec un visage inaltéré
tandis qu’il respirait
des passés et des futurs de carton-pâte.
entre les doigts nacrés
il portait une fleur à quatre pétales réunifiés
et il portait un œil bleu en lieu et place d’un crâne
auquel pendait son corps mince et étrange.

11.
père est arrivé devant la lune.
le squelette de la mère s’était fondu dans sa substance.
la lune a émis une langue de feu
et ce qui n’était ni toi, ni moi, ni lui
l’inconcevable quatrième personne rampa vers la boule de feu.
et l’amour advint.

12.
et l’amour advint
et le globe entra en vibration
et autour de lui ils se rassemblèrent – d’où ? depuis quand ? – croquis et gouaches
projections orthogonales, maquettes, simulations informatiques
schémas de machines, matériel didactique
formules algébriques.
et dans ce nuage irréel la sphère s’effondra
en deux, en quatre, en huit, en seize
en trente-deux, en soixante-quatre
jusqu’à ce devenir un oursin, puis un petit ver,
un poisson primitif, une grenouille, un oiseau
un opossum, un chimpanzé, un enfant
une vague, une étoile, une fleur,
un nuage, une cascade, une pince,
un blizzard, un poème, un sabot, un tram
un monde, une mouche, une structure économique, un prêtre, une pièce de monnaie
le souvenir d’une nuit d’amour, le projet du frêne d’avoir encore une fois des feuilles, le sourire incomparable de cristina, toutes les fenêtres de tous les immeubles de tous les pâtés de maisons dans toutes les villes du monde, toutes les bactéries dans le corps de l’océan, un renard qui mouille la neige du sang qui ronge sa patte piégée, l’amour, la haine, l’agonie, la fatalité, tous les manuscrits et les estampes, les races d’hommes qu’il y aura dans dix milliards d’années, la chambre où j’écris ce poème et chaque lettre qu’il contient, la possibilité de n’avoir jamais rien écrit, de ne jamais être mircea cărtărescu et de n’avoir jamais existé et que rien n’ait jamais existé
car l’amour est tout
et le tout est fait la plupart du temps à partir de rien.
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Jeunesse des vieux jours

J’aimerais appuyer sur un bouton et que soudain ce soit l’automne,
automne profond sur le marché de Dorobanți
que des grappes de raisin et des vrilles s’accrochent aux fils du tram
et que La Louve, laisse ses jumeaux noirs et mouillés,
sauter du socle, attaquer les piétons…
Je voudrais appuyer sur un bouton pour te faire sourire
sourire à côté de la Mobra sur le trottoir
que tu ajustes le maquillage dans son rétroviseur alors que son réservoir rouille, se pare de sa fourrure d’automne…
Je voudrais que le lycée Caragiale
tombe follement amoureux de toi,
pour me rendre jaloux, pour que je me fasse des idées :
— Pourquoi ?… pourquoi, oncle Anghelache ?
j’aimerais que ce soit l’automne, que les arbres rouillent
et que les petites filles deviennent des femmes…

Avec des lèvres arquées que tu embrasses l’air gelé
jusqu’à le remplir de ton rouge à lèvres : ses joues, son menton
et que l’air devienne rouge et que tombe le soir
et que se maquillent les vitrines du Magasin de la Jeunesse dans le miroir de la vitrine du magasin de pièces Skoda
tandis que nous, contournant les quartiers en chemises,
nous montons l’escalier en ruine à l’étage jusqu’au rayon chaussures
pour voir pourrir les bottes de Léonard, la mort des baskets
les ourlets des costumes en tergal…
pour ouvrir tous les parapluies multicolores
pour fouiller dans les sacs en toile cirée…
enfin, tout équipés, en imperméables et valises à la main
qu’on se dépêche de monter dans l’automne
comme dans un trolleybus vide avec une odeur de caoutchouc
et fraîchement peint aux couleurs de l’automne.

Et la saison de l’automne se montre : une nana chargée de diamants
une fille avec un squelette de diamant.
Et nous, frissonnant sous la pluie de diamants, rêvant de magnétophones,
nous atteignons bientôt la jeunesse des vieux jours,
la jeunesse des vieux jours…

(cf. pp. 61-62)
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L’amour
(I/II, chapitres 1 à 5)
1.
un arc-en-ciel noir était apparu au-dessus de ma mère.
à l’époque, ma mère n’était qu’une petite fille
et ses cheveux, des mèches de diamant.
elle a arrêté son jeu
a lissé sa robe
et a regardé vers l’arc-en-ciel.
c’était un arc-en-ciel noir et si brillant que de tant de noirceur
dans le champ la camomille s’était assombrie.

mère regarda vers l’arc-en-ciel.
il était si bas qu’elle pouvait presque l’atteindre de ses lèvres
et ses cheveux électrifiés, transparents
se collaient aux tuyaux souples, comme ceux d’un orgue.
le rouge de l’arc-en-ciel était noir.
et son orange était noir.
et son jaune était noir.
et son vert était noir.
et son bleu était noir.
et son indigo était noir.
seul son violet était demeuré violet.
son violet était un ruisseau perdu dans la mer.

mère sut alors qu’elle était perdue.
elle allait connaître l’amour.
et soudain son ombre sur l’asphalte chaud du quartier floresca
se para de veines et d’os.
ma mère monta dans un bateau en toile d’araignée
et s’élança vers l’arc-en-ciel.

son ombre, avec des vertèbres et des intestins
poursuivait son jeu.

2.
c’était un bateau en toile d’araignée.
il voyageait au bord de l’arc-en-ciel noir
comme sur le bord d’un mouchoir avec un passepoil.
tout autour, ma mère voyait les nuages de papier d’aluminium
qui reflétaient son visage.
de temps en temps, des bombardiers américains
s’emmêlaient dans les nids d’araignées
de la trappe, de l’écoutille
mais mère, à la proue
les prenait délicatement entre ses doigts
puis les relâchait, une fois démêlés et bourdonnants
comme les modèles en balsa et en cellophane.

elle était encore courageuse, même si dans son corps de porcelaine
la goutte de sang avait coulé
et malgré les pointes abîmées
de sa chevelure de diamant
bien que sous son chemisier en gomme arabique
ses seins s’étaient cambrés.
elle était encore courageuse
elle était encore éblouissante.

3.
l’ombre de ma mère, parmi les villas vertes,
parmi les paniers bleus
jetait un éclat de verre dans les chaumières froides.
le crépuscule vint
à l’instar d’un animal de chair transparente
à l’instar d’une fleur aux pétales de gencive.
puis vinrent les étoiles
et elles se mirent à paître les vertes villas
les paniers bleus.
l’ombre de la mère gagna des organes étranges :
des tresses,
des décorations,
des cravaches.

des poils poussèrent sur sa poitrine et ses avant-bras.
des poils poussèrent sur les phalanges de ses doigts.
sa capacité crânienne augmenta
mais cela n’allait pas le sauver.

4.
un chat ouvrit les yeux et vit une assiette noire
dans laquelle une femme noire lui versait un filet de lait noir.
un conducteur de tram entra dans un dépôt noir.
un papillon s’assit sur un mur noir.
seul l’arc-en-ciel brillait encore
lançant des flammes noires.

le temps de l’amour était venu, la fin du monde.
l’apocalypse était venue, qui est l’amour.
la bête qui aboie de flammes était venue
venu l’appareil avec des manomètres, des cadrans, des cylindres, des bielles, des bougies d’allumage, des globes de verre, des courroies de transmission
et qui pompait le vertige sous la peau des étoiles
venu le tâtonnement avec l’odeur en laisse
venue la vue avec l’ouïe dans la cage
venu l’être avec le néant enroulé autour de son cou
venus la foule, le fer à côté du plastique, l’acier à côté du verre, les enzymes à côté du ciment, le chlore près du tissu et des feuilles dans les glandes et les os dans la rosée et yeux dans des enclos et mâchoires, griffes et pattes qui se chevauchent et des nuages et des poupées et des océans
tout à l’intérieur de tout
partout
dents dans les dents et bouche dans la bouche et sexe contre sexe et côtes contre côtes
et histoire et rondelles de vis et figures de style
et permanganate de sodium et fleurs avec pétales, sépales, étamines, pistil
tous aimant le tout
tous fécondant le tout
partout seulement des « ils » aptes et des « elles » aptes
seulement des œufs et du lait
de sorte que le cosmos de lumière
vu de loin, n’est que la bête qui se rejoint
la bête de l’apocalypse
éclipse de l’esprit,
éclipse.

5.
mais la mère était au-dessus
elle était encore intouchable
elle naviguait sur l’arc arc-en-ciel au-dessus du monde noir
et ses os iliaques avaient poussé comme des ailes jaunes d’un papillon,
la mère a pris son envol en ramant depuis ses os iliaques
par-dessus les toits et les paratonnerres
jusqu’à atteindre la lune.
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J’ai obtenu
un exemplaire du livre Howl
signé par Ginsberg

(1/2)

il est à l’heure actuelle le plus connu des poètes américains et ceux qui étaient à Struga
(les grands poètes roumains) disent que c’est « un type populaire »
comme dit ma mère des vedettes de cinéma qu’elle voit dans la fille d’attente.
mes relations avec lui sont assez vastes :
je suis né l’année où il a publié « Howl »
et il avait alors l’âge que j’ai à présent,
autrement dit 30 ans. ensuite
je l’ai lu dans l’anthologie « Beat Generation » et je me suis aussitôt mis à en traduire des textes et son rythme spécial et son imagerie hallucinante ont directement influencé quelques-uns de mes propres poèmes (« Femme, femme, femme », par exemple, ou plus tard, « Le Roi soleil » qui est construit sur une mélodie de Harrison, mais cela personne ne l’a remarqué)
j’étais obsédé surtout par le début de « Howl » : « J’ai vu les plus grands esprits de ma génération… »
car ma génération aussi se mettait lentement en marche :
Traian et Florin, des gamins de discothèque, lisaient des poèmes avec des rails et pierres tombales,
Cușnarencu lisait d’interminables poèmes, Nino Stratan
lisait des poèmes dont l’action se déroulait sur la Lune
Sandu Mușina lisait des poèmes au sujet d’une machine à laver
Romulus lisait des trucs visionnaires que je jugeais à l’époque comme étant de la prose
apparaissaient dans ces poèmes des briquets et des sprays, des autoroutes et des stations services
et on discutait des heures entières sur les avantages du conjonctif
sur les différentes sortes de début, ou des bonnes chutes,
sur la mise en page la plus adaptée…

il y avait là aussi quelque chose de lui. toujours une réminiscence de lui
a été « Le jour de la locomotive ».
je relis « Sunflower Sutra » : lui et Jack, tristes (le célèbre « sad » de Ginsberg)
se tiennent à l’ombre d’une locomotive à vapeurs…
c’est précisément la locomotive qui apparaît sur le dos de « l’Air aux diamants »
je me souviens si bien de ce jour-là !
Tudor n’avait dans sa barbe aucun cheveu blanc
Traian portait des bottes pointues et un bouc de mousquetaire
Florin lui aussi était affublé d’un barbe comme s’il existait des anges barbus
tandis que Nino se diluait dans des jeux de mots…
nous avons pris la pose à la gare basarab où il y avait un mariage digne de Fellini
nous avons traversé la passerelle en nous tirant nos portraits
sur une balançoire cassée et devant un mur lépreux et devant un kiosque sur lequel il était écrit, juste au-dessus de nos têtes « snack et rafraîchissements » (je me demande ce que cette photo symbolisera des années plus tard dans la revue « Manuscriptum »)
puis, nous sommes arrivés dans un dépôt des voies ferrées roumaines où, au bout des rails envahis par des mauvaises herbes
parmi des pierres brisées par le terrassement et souillées de bitume,
nous avons trouvé l’endroit le plus triste au monde (en fait j’en connais encore un, une cour avec des dizaines de carcasses aplaties de frigos)
une locomotive sans roues, allongée sur le ventre
d’autres encore debout, mais claudiquant, avec la tôle du réservoir rongée jusqu’au capitonnage en laine de verre
et au-dessus un ciel barbouillé au feutre en quelque sorte…
nous y sommes montés et nous avons sali nos jeans
nous sommes entrés dans la cabine pour manœuvrer pour de faux les manivelles
nous avons fait des dizaines de photos (et plus tard je me suis rendu au même endroit avec
la trabant verte de Wanda et avec le globe en verre doré dans lequel se reflétait le monde pénétré par mon visage longiligne et Florin a de nouveau fait des photos avec des locomotives à vapeurs et des vieux rails et des tubes bleuâtres d’oxygène qui y étaient stockés)
ensuite on est rentrés. oh, plus tard, bien plus tard
je m’y suis rendu aussi avec Cri, dans sa petite robe printanière.
nous nous sommes pas mal embrassés dans la cabine.
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Nicolas Cavaillès lit Mircea Cărtărescu.
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