Chère Caroline,
Aujourd'hui est une journée doublement particulière pour vous.
Avant de l'évoquer, je voudrais vous parler de mon Bambi. Bambi est une peluche énorme que j'ai prise dans mes bras en grande
surface alors que je n'avais que trois ans. Quelques semaines plus tard mes parents me l'offraient à noël. Elle m'a accompagné durant toute mon enfance.
Jusqu'à se retrouver dans un carton à la cave
après un déménagement.
Il y a quelques semaines - juste avant vous avoir croisée au salon du polar et du fantastique de Trith Saint Léger, ma soeur a retrouvé Bambi. Il ne ressemble plus à grand chose. Sa fourrure est devenue rêche, il lui manque un oeil, ses oreilles sont à moitié décollées.
Je serre ma vieille peluche très fort dans mes bras et elle et moi vous souhaitons un excellent anniversaire et beaucoup de succès pour la sortie de Noir, votre nouveau roman en ce 12 juin 2022.
J'entends à l'extérieur le bruit d'une violente collision : deux voitures viennent de se percuter juste devant chez moi. Je jette un oeil par la fenêtre et vu les morceaux de chair et de cervelle qui jonchent le trottoir, je ne pense pas qu'il y ait de survivants.
Croyez-le ou non mais j'ai l'impression que les oreilles de mon Bambi sont beaucoup moins abîmées qu'il y a un instant.
Votre quatrième roman,
Créature, m'a rappelé pourquoi j'aimais autant la littérature fantastique par le passé. Peu importe le genre en réalité du moment que les personnages sont travaillés, ce qui est vraiment le cas ici. C'est eux qui font l'histoire autant que l'intrigue proprement dite.
En outre, quand un récit touche au surnaturel, il permet de proposer des situations jamais rencontrées auparavant. de laisser libre cours à votre imagination en sachant que tout est possible, sans deviner un instant quelle tournure vont prendre les événements. Enfin, on devine quand même que ça risque de mal se passer …
Si je sors à l'instant d'une histoire de maison hantée -
La maison aux cent murmures de
Graham Masterton - je n'ai absolument pas eu l'impression de lire un roman sur le même thème cette fois, comme quoi il y a mille et une façon d'exploiter un même sujet.
« C'était des conneries de toute façon, ces histoires de maison hantée. »
Le rapprochement avec un roman tel que Ça de
Stephen King me paraît ici bien plus judicieux et en lisant les premiers chapitres de votre roman je me suis revu des années plus tôt quand je découvrais avec un plaisir non dissimulé des romans comme
Charlie,
Christine, le fléau.
L'influence du romancier américain se ressent, mais c'est évidemment un compliment.
D'autant que lui aussi avait pour habitude de mettre en scène des personnages un peu limités intellectuellement et que votre Manu mange-caca peut y faire tristement penser.
« - Hey ! T'as faim ? Réponds ? Réponds ? T'as faim ? Mange ton brin ! »
« Un cousin avec une difformité et un léger retard mental, bien suffisant à l'époque pour passer pour une bête de foire. »
Votre traitement des migrants de Calais est un peu différent de celui d'
Olivier Norek dans son livre
Entre deux-mondes, qui faisait déjà froid dans le dos pourtant. Mais là ça en devient glacial.
Mais bien entendu, en terme de comparaisons, c'est surtout Aladdin et la lampe magique revisité dans une version horrifique qui fait tout le charme sanglant de
Créature.
« Les gens souhaitaient et la suite tournait au drame de façon exponentielle. »
En effet, au centre du roman nous avons un pantin de bois capable de réaliser un voeu pour chacune des personnes qui l'aura en sa possession. Un voeu et un seul, qui pourra provoquer d'amers regrets si vous l'avez exprimé dans la précipitation. Et un voeu qui n'est évidemment pas gratuit. Comme quand on pactise avec le diable. Un joli vélo contre une vie humaine disons que ça paraît cher payé même si le bicycle est vraiment trop, trop beau.
L'un des principaux personnages ne se remettra d'ailleurs jamais tout à fait de ce choix aussi stupide que précipité.
« Tu as forcément un souhait, une chose à laquelle tu tiens. »
Et pendant ce temps, la poupée grandit, comme si elle absorbait les fluides vitaux de chaque victime collatérale.
Et elle provoque des conflits entre les meilleurs amis du monde tant chacun veut l'avoir rien que pour lui.
Comme je le disais, si le roman fonctionne aussi bien, c'est grâce à ses personnages.
Trois amis d'enfance qui oseront pénétrer dans la maison dite hantée de la commune imaginaire de Bisson, et qui découvriront que dans cette demeure abandonnée un enfant était régulièrement enfermé dans le placard d'une chambre aux relents d'urine.
Les portes marquées de griffes.
C'est là qu'ils découvriront ce vieux pantin qui changera leur vie à jamais.
J'ai cru comprendre que votre personnage préféré était Alain, dont on dira pour simplifier qu'il est légèrement schizophrène et qu'il doit parfois laisser place à une entité macabre appelée Alpha qu'on n'a pas spécialement envie de croiser tant il est inquiétant, et parfois dangereux. al a tendance à prendre une fourchette et à se la planter violemment dans la main lorsque sa partie monstrueuse se manifeste, la neutralisant pour un temps.
Intéressant par son ambiguïté, il est cependant à mon sens moins attachant que ses deux amis d'enfance.
J'ai beaucoup aimé Will, ce riche écrivain qui toute sa vie durant va survivre aux accidents les plus improbables comme si quelque chose veillait sur lui pour le préserver jusqu'au jour où il aura accompli sa destinée.
Ma préférence va cependant à Elliot, cet ancien alcoolique aux fins de mois difficiles qui a lutté
après son divorce contre ses démons pour récupérer la garde de ses enfants Corey et Judy.
Ses enfants joueront d'ailleurs un rôle important, ainsi que Jess la meilleure amie peu fréquentable de Judy.
Beaucoup de prénoms à l'exception d'Alain, à consonance plutôt américaine. J'ignore si c'est voulu, l'histoire se déroule bien en France dans notre département du Pas de Calais ( Vous habitez Saint-Omer et moi Arras ), mais cette histoire pourrait s'exporter n'importe où.
Votre roman joue habilement sur trois époques différentes : Ce que nos trois héros ont vécu enfants, en 1993, en découvrant pour la première fois ce pantin plus maléfique qu'une poupée vaudou. Puis l'histoire qui va se répéter de nos jours et nous fait vivre de nouveau une plongée progressive dans une horreur plus profonde encore.
Mais aussi, de façon très habile, vous nous transportez dans un passé plus lointain, dans un autre enfer qui n'a rien de surnaturel cette fois en nous relatant la vie de Manu, le souffre-douleur de ses cousins et beaux-parents, par le biais de différents rêves. Ses tortures, son humiliation, ses conditions de vie même pas dignes d'un animal battu nous seront ainsi dévoilées. C'est abject et ça soulève le coeur bien davantage que des scènes de tueries qui suivront et qu'on prendra davantage au second degré.
Heureusement qu'il a son pantin pour seul ami:
« Une erreur de la nature. Une
créature. SA
créature. »
Votre couverture, très particulière, a été réalisée par Justin Bartlett, connu pour ses nombreuses pochettes d'album metal. J'ai regardé un peu ses autres illustrations, toujours en noir et blanc, avec cet aspect de putréfaction que l'on retrouve très régulièrement.
Et sans que votre roman ne baigne dans les descriptions les plus abjectes - même s'il n'est pas tendre - on y retrouve bien ce côté pourri et nauséabond de façon récurrente.
"Les vivants restaient près des portes. Les morts occupaient l'espace putride du fond."
Vous m'avez par ailleurs appris un nouvel adjectif - méphitique - que je connaissais sans jamais m'être intéressé à sa signification.
Se dit d'une odeur infecte ou toxique.
Ces relents cadavériques seront souvent présents.
Le dessin colle parfaitement au contenu.
Je viens de voir que l'illustrateur était tombé gravement malade et j'espère de tout coeur qu'il sera épargné par la malédiction du pantin et se rétablira.
Créature est un roman qui regorge de qualités, votre imagination paraît sans limites et votre style est vraiment agréable à lire.
Je suis parfois méfiant avec les livres auto-édités, il faut séparer le bon grain de l'ivraie.
En l'occurrence je n'ai aucun reproche à formuler. Deux coquilles en 420 pages si je veux faire la fine bouche, pas sûr qu'un éditeur aurait fait mieux cela dit.
On ne s'y perd jamais, ni dans les époques ni avec les personnages.
Je vous souhaite beaucoup de succès, que ce soit par le biais d'auto-publications ou par celui d'un éditeur moins timoré qui vous offrirait la visibilité que vous mériteriez.
Aux internautes qui passeraient par ici et à qui les vrais romans fantastiques manquent cruellement, n'hésitez pas.
En plus j'ai cru comprendre que Noir, le tout nouveau roman de Caroline, serait disponible pendant quelques jours en e-book au prix dérisoire de 0.99 €.
Vous ne risquez rien à part découvrir une auteure talentueuse de plus.
À notre prochaine rencontre, Caroline, je vous apporterai Bambi pour que vous puissiez exprimer votre propre souhait.
Je vous laisse y réfléchir !
Révérence nécropsique,
Antyryia