Un livre réjouissant aux accents de télénovelas sud-américains, à l'ambiance Almodóvarienne !
Mais quelle pipelette, quelle commère cette Laura qui nous raconte dans le menu l'assassinat de sa meilleure amie, Olga Maria, d'un coup de pistolet devant ses enfants, sans motif apparent, à San Salvador !
Au fil de ses commérages à une autre mystérieuse amie (qu'elle prénomme « ma belle ») le portrait dressé de cette pauvre femme assassinée change subtilement : La mère dévouée, l'épouse modèle, se transforme peu à peu en une femme dépravée dont les multiples amants, qu'elle rejetait très vite dès que se pointait l'ennui ou la déception, sont autant de pistes possibles d'exécution. Cette soi-disant meilleure amie livre tous les secrets de la défunte, sans aucune pudeur, mettant en valeur la jalousie tapie derrière l'amitié, et échafaude absolument toutes les pistes et mobiles possibles pour savoir qui a commandité ce meurtre, depuis le crime passionnel en passant par le complot politique jusqu'au narcotrafic. Ses investigations sous forme de commérages vont tellement loin qu'elle se pense elle-même en danger, sa sagacité ayant permis très probablement de toucher du doigt la vérité.
"Ma belle, je te raconte toutes ces choses, mais ne répète rien ; c'est très, très délicat."
C'est un livre réjouissant à plus d'un titre.
Tout d'abord il s'agit d'une véritable enquête policière dont les éléments du puzzle nous sont révélés peu à peu au fil des commérages proférés férocement, en phrases courtes et claquantes, mais très nombreuses, tel un monologue sans fin, par cette femme prompte aux ragots et à la vulgarité. L'enquête s'avère ainsi passionnante grâce ce procédé original et très prenant.
Ensuite cette Laura est précisément un personnage prodigieux qui se dit être la meilleure amie de la victime, qui se dit être sous le coup du choc et du chagrin et dont les paroles trahissent en réalité l'indifférence, la jalousie, la perfidie, la mauvaise foi, la mesquinerie. J'avais l'impression de la voir, de l'entendre, avec une voix forte que j'imaginais haut perchée, une certaine posture, un port de tête, oui je l'imaginais cette vraie langue de vipère. Ses propos sont jubilatoires tant ils renferment méchanceté et bassesse d'âme, à moins que ce ne soit de la bêtise, uniquement de la bêtise. J'ai aimé la détester, revenir auprès d'elle tout en m'offusquant, avoir envie de la faire taire, oui j'ai aimé être soulée par ses tirades péremptoires, ses soliloques qui rendent fou durant lesquels Laura s'écoute parler… Ses coups de gueule aux policiers qui posent inévitablement des questions sur la vie intime de la défunte, sous prétexte de défendre son honneur et sa mémoire, sont théâtraux (d'ailleurs chaque chapitre peut être vu comme des scènes de théâtre), et voyez plutôt quels sont ses propos pendant le cortège en voiture conduisant jusqu'à l'église :
« J'ai tellement transpiré qu'au lieu de suivre le cortège j'ai envie de rentrer en vitesse chez moi pour prendre une douche. Je vais me mettre derrière Sergio et la Cuca. Quelle belle couleur, la voiture de Sergio, j'adore ce lilas, je l'aurais voulu pour moi, mais il n'existe pas pour les BMW, seulement pour les Toyota, c'est pourquoi j'ai préféré le blanc, parce qu'il va avec tout et que je n'allais pas changer de marque uniquement parce qu'il n'y en avait pas en lilas. Il y a des gens qui s'en soucient comme une guigne ; mon ex-mari Alberto est comme ça ; Il y a à peu près douze ans que je n'ai que des BMW, depuis que mon père m'a offert ma première voiture quand j'ai eu mes dix-huit ans et que je suis entrée à l'université ».
Enfin, même si c'est moins présent que
La mémoire tyrannique, le précédent livre de cet auteur que j'ai lu récemment, on découvre derrière cette histoire quelques facettes de la vie au Salvador, sa violence, sa corruption, son instabilité politique, l'hypocrisie de la bourgeoisie, les cartels de drogue, entre autres.
Deuxième livre de
Horacio Castellanos Moya que je lis - et certainement pas le dernier – ce récit est jubilatoire et corrosif. Nous avons là une enquête policière selon un précédé original qui tient en haleine le lecteur. Qui est la diablesse du titre, Laura ou Olga Maria ? A vous de vous faire votre propre idée !