Maintenant, au revoir mon garçon, et, bien que tu ne sembles pas avoir reçu le moindre signe de sa grâce, n'oublie pas que Dieu est toujours aussi près de toi là-bas qu'ici.
Ton père qui t'aime...
Tout voyageur est d'abord un rêveur.
Marché toute la journée et le jour suivant. Route droite, grise, poussiéreuse, et sans circulation. Vent implacable s'opposant à la progression. Parfois vous entendiez un camion, vous étiez sûr que c'était un camion, mais ce n'était que le vent. Ou un craquement de boîte de vitesses mais ce n'était également que le vent. Parfois le vent faisait un bruit de camion vide franchissant un pont en cahotant. Même si un camion était arrivé par derrière, vous ne l'auriez pas entendu. Et même si vous aviez été face au vent, le vent aurait noyé le son du moteur. Le seul bruit que vous entendiez était le cri du guanaco. Un bruit comme un bébé qui essaie de pleurer et d'éternuer en même temps.
Le 27 janvier 1923 le colonel Varela fut abattu, au coin de Fitzroy et de Santa Fé, par Kurt Wilkens, un anarchiste tolstoïen du Schleswig-Holstein. Un mois plus tard, le 26 février, Wilkens fut tué dans la prison des Encausaderos par son gardien, Jorge Pérez Maillan Temperley (...). Et le lundi 29 février 1925, Temperley fut tué à son tour;;, dans un hôpital de Buenos Aires pour déments criminls, par un nain yougoslave du nom de Lukic.
L'homme qui fournit le pistolet à Lukic est un cas intéressant : Boris Vladimirovic, russe de haute naissance, biologiste et artiste, avait vécu en Suisse et connu -ou prétendait avoir connu- Lénine. La révolution de 1905 le poussa à l'ivrognerie. Il eut une attaque cardiaque et émigra en Argentine pour commencer une nouvelle vie. Il fut bientôt repris par ses vieux démons et dévalisa un bureau de change pour alimenter la caisse de la propagande anarchiste. Un homme fut tué et Vladimirovic écopa de vingt-cinq ans à Ushuaia, la prison du bout du monde. Il y chanta à tue-tête les chansons de sa terre natale et, pour obtenir le calme, le gouverneur le fit transférer dans la capitale.
Le dimanche 8 février, deux amis russes lui apportèrent un revolver dans un panier de fruits."
Etc... etc...
La vieille dame servit le thé dans une théière d'argent et regarda l'orage se former au loin en masquant l'île Dawson.
Le lendemain matin des pétrels noirs fendaient la houle et, à travers la brume, on apercevait des cataractes d'eau tomber des falaises.
Le vent apportait des senteurs de pluie dans la vallée, des senteurs de terre mouillée et de plantes aromatiques.
Drake l'avait fait décapiter le long du gibet où, cinquante-huit hivers auparavant, Magellan avait perdu ses mutins, Quesada et Mendoza. Le bois se conserve bien en Patagonie. Les tonneliers du Pelican scièrent la potence et en firent des chopes que l'équipage garda en souvenir.
Le sol était couvert d'étrons de paresseux, d'énormes étrons noirs et souples, pleins d'herbes mal digérées, qui avaient l'air de dater de la semaine dernière.
Au-dessus de moi un canard des torrents remontait la rivière. Je reconnus sa tête striée et ses fines ailes bruissantes.