Gabriel Chevallier est né en 1895. Il a 20 ans en 1915 quand il est incorporé et envoyé au front. le front, il vient de se stabiliser ; la guerre s'enlise et les soldats s'embourbent. "
La Peur" est son témoignage de la vie dans les tranchées entre 1915 et 1918. Une vie où il n'ose se faire des amis car chaque jour est peut-être le dernier, une vie où les cris des soldats blessés laissés dans la terre-sans-homme déchirent la nuit, une vie où l'odeur des charognes des tués empeste l'atmosphère, où les explosions déchirent les tympans, où les éclats de métal déchirent les chairs, où les poux vous rongent jusqu'à l'os, où
la peur vous vide les intestins. Les journées se passent dans la boue des boyaux, dans le froid, dans
la peur, et c'est pire quand il faut franchir le parapet et s'élancer contre un ennemi invisible, et affronter de son seul corps les mitrailleuses qui déchirent l'espace entre les tranchées, tout ça pour satisfaire l'ambition d'un général en manque de gloire.
Un livre à vous glacer le sang. Une plume magistrale. Un pamphlet sans faille contre la bêtise. Un livre qui laisse place à beaucoup de compassion pour les soldats allemands que Chevallier reconnaît comme victimes de la même bêtise.
Aussi bien sur le fond que dans la forme, ce livre est d'une puissance incroyable !
"[…] J'ai vingt-trois ans […] J'ai entamé cet avenir que je voulais si plein, si riche en 1914, et je n'ai rien acquis. Mes plus belles années se passent ici, j'use ma jeunesse à des occupations stupides, dans une subordination imbécile, j'ai une vie contraire à mes goûts, qui ne m'offre aucun but, et tant de privations, de contraintes se termineront peut-être par ma mort. […] Que ceux qui aiment la guerre la fassent […] de quel droit disposent-ils de moi ces stratèges dont j'ai pu juger les funestes élucubrations ? Je récuse leur hiérarchie qui ne prouve pas la valeur, je récuse les politiques qui ont abouti à ceci. Je n'accorde aucune confiance aux organisateurs de massacre, je méprise même leurs victoires pour avoir trop vu de quoi elles sont faites. […] Je suis sans haine, je ne déteste que les médiocres, les sots […] Mon patrimoine c'est ma vie. Je n'ai rien de plus précieux [...] Je demande à vivre en paix. […] Mon idéal n'est pas de tuer ! [...]"
"Je vais te dresser le bilan de la guerre : cinquante grands hommes dans les manuels d'histoire, des millions de morts dont il ne sera plus question, et mille millionnaires qui feront la loi. Une vie de soldat représente environ cinquante francs dans le portefeuille d'un gros industriel à Londres, à Paris, à Berlin, à New York […]."
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La Peur" a été publié en 1930 !!!!
On ne peut être que d'accord avec
Jacques Tardi : « Tout le monde devrait lire et relire
La Peur. »