La peur est ce que Tardi a sans cesse voulu montrer, je pense et c'est peut-être pourquoi il se réfère à Chevallier. Pour autant je ne pense pas que ce roman pose la question en terme d'héroïsme (ou d'anti-héroïsme, je veux dire). Les références héroïques, nécessairement mythiques, me semblent nécessaires non seulement à la cohésion de la communauté, mais aussi à sa production artistique. De toute façon, elles sont liées à la mort : un guerrier des épopées grecques devenait un héros à sa mort et c'était pour ça qu'il mourait.
Or ce que le roman m'a semblé montrer sans cesse (et il me semble que ça lui est très particulier), c'est que la normalité (l'humanité) du soldat ne le situe pas dans la sphère héroïque qui est la lecture de l'arrière (il n'en n'a rien à faire) MAIS pas non plus dans la lâcheté ou le néant (qui en est la version négative MAIS identique). La peur, elle, est fondée sur un instinct de conservation, qui fait se terrer quand il le faut, rechercher des rôles a priori moins dangereux - agent de liaison - et toujours se débrouiller du mieux qu'on peut, sans même s'en expliquer. Même si elle "décompose", la peur est liée à la vie, à la recherche de la survie ; j'ai constamment eu cette impression à la lecture. Je n'ai jamais noté par exemple de dimension pathétique particulièrement marquée. Et la portée militante du roman en est d'autant plus grande : montrer en réalité, qu'une guerre n'a rien de remarquable ni dans un sens ni dans un autre et la limiter à son extrême danger.
J'ai juste une remarque. Dans le Balcon en forêt, se souvenant de ce qu'il a ressenti sans cesse, Grange pense qu'il a eu "peur et envie". La peur est liée au désir et à vrai dire, le passage de la Peur que j'ai le plus admiré est vers la fin le moment où Dartemont se porte volontaire pour rejoindre une autre compagnie dans un contexte de grand danger. Il se rend compte après coup de ce qu'il vient de faire et traverse cette épreuve (dont il sort miraculeusement indemne) comme dans un rêve. J'ai sans cesse pensé au moment où dans Little Big Man (on a les références qu'on peut) un vieil indien aveugle traverse indemne les rangs de la cavalerie en se persuadant que - puisqu'il est aveugle - personne ne le voit. Cette action rêveuse, délirante et à la limite de la conscience, entièrement dominée par la peur, est peut-être non pas de l'héroïsme, mais ce qu'on a pu après coup présenter comme tel dans les légendes.
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Roman ou autobiographie ? Certainement les deux à la fois. L'auteur ayant vécu la 1ère guerre mondiale, on ne peut que ressentir la force d'un récit historique que le plus grand nombre devrait lire pour ne pas oublier.
A lire l'histoire de cette incroyable barbarie humaine, de cette folie dévastatrice impulsée par on ne sait quelle élite, on aurait pu imaginer que c'en était fini de ces guerres à l'allure préhistorique. Nous sommes en 2023, et les guerres sont toujours là entre les peuples, avec des armes toujours plus dévastatrices et un peuple soumis au pouvoir de quelques fous dirigeants.
Au-delà des mots qui décrivent l'horreur de cette guerre, on suit le chemin de pensée d'un soldat qui subit malgré lui cette guerre absurde et qui en ressort vivant par miracle.
C'est qui le héros, celui qui fait la guerre ou celui qui ne la fait pas ? On ne peut avoir qu'une pensée empathique pour tous ceux qui l'ont vécu sans pouvoir choisir. Et Luttons pour le droit à la liberté, la culture et l'information !
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