C'est pas que ça me gêne de marcher dans la boue, mais bon, jusqu'à présent je n'avais jamais laissé traîner mes sabots dans la Creuse ? La CREUSE ! oui. Tu connais ? Y'a des champs, y'a de la pluie, y'a de la boue. Alors c'est chaussé de grandes bottes en caoutchouc que j'arpente les terres creuses. Oui, je sais ça fait pas rêver, la CREUSE ! Alors là, je sens les insultes creuses qui vont envahir mon espace virtuel, pour peu qu'il y ait au moins du réseau dans cette lointaine et boueuse contrée ? La Creuse, je ne pensais jamais y aller alors que j‘ai tant arpenté las pâturages du Montana ou du Wisconsin. C'est que j‘aime le nature writing, la littérature de la boue et des grands espaces, et malgré tout la CREUSE pourrait être un p'tit coin de nature à la française, genre un plateau des milles bisons, où il fait bon y écrire. Et y boire, aussi, surtout. C'est que j'aime bien boire un verre de vin avec
Madame qui fume des Gauloises… D'un autre temps, cette Creuse, j'vous le dis.
Madame de la Villonière, veuve depuis des lustres, les lustres du salon sont poussiéreux d'ailleurs dans sa vieille demeure isolée dans ce trou perdu dans cette Creuse abandonnée où la servante est presque aussi vieille que les pierres du château. Alors,
Madame se prend d'amitié pour Guillaume, 14 ans qu'elle rebaptisera en Willy – on ne refuse rien à
Madame – le fils des métayers qui s'occupent de ses terres. Une amitié exigeante qui a pour but de lui donner une autre éducation – meilleure à n'en pas douter que des paysans ne peuvent offrir à leur progéniture. Plus cultivée, les mathématiques et la poésie, les règles du maintien, tout pour en faire un « héritier » officieux.
Je peux d'ailleurs m'interroger sur les motivations de la Dame de la Creuse, sans titre de noblesse, juste un passé vermoulu. Et surtout comment ne pas sentir le mépris pour les parents de Guillaume qui s'effacent devant cette attitude autoritaire. Un sentiment d'humiliation, d'asservissement même. La Creuse d'un autre temps. Mais en s'enfonçant plus profondément dans la boue, je perçois le fondement de
Madame, son deuil, ses peurs, sa solitude.
Madame rêve d'atomiseurs,
Madame rêve d'apesanteur… Des heures et des heures à la recherche d'un bonheur.
Madame rêve et moi d'un verre, ad libitum… Et à la fin du roman, je me repasse le film de
Madame, je revois ces gestes, ces actes, son but. Tout devient limpide comme mon verre de whisky affiné dans des fûts de Sauternes.
Madame rêve,
Madame fume des Gauloises.