C'est un livre écrit avec une plume trempée dans l'encre noire de la mélancolie. Comment pourrait-il en être autrement lorsque la vie n'est qu'une succession de pertes. La perte de l'Algérie que l'on doit quitter contraints et forcés, la perte de l'enfance et la perte d'un père si peu connu.
La première partie du livre, commence à l'hôpital où Harry, 34 ans vit ses derniers jours entourés de ses parents et de sa femme. Il a une petite fille de 15 mois, la narratrice qui n'est autre que
Sarah Chiche. Ce père va mourir d'une leucémie. Sarah pensera longtemps que son père a disparu.
En 2019, lors d'une conférence à Genève, ville de son enfance, une femme l'apostrophe lui disant qu'elle a bien connu ses grands-parents, son oncle et son père à Alger. Est-ce cela qui a donné envie à
Sarah Chiche d'écrire ce livre ?
La famille a quitté l'Espagne au XV -ème siècle pour l'Algérie. Cette famille est une dynastie de médecins d'abord à Alger puis à Paris. le grand père Joseph a deux fils, très différents, Armand et Harry. « Joseph est persuadé que ses deux fils deviendront médecins » « devenir médecin, c'est devenir un homme. »
Armand marche dans les pas du père et deviendra un grand médecin, patron de clinique tandis qu'Harry, doux rêveur, aime le cinéma, les femmes. Il quittera la faculté de médecine. Au détour d'une rue, Harry tombe amoureux d'une femme, Eve, d'une beauté incandescente, mi fille perdue, mi femme fatale avec laquelle il va s'installer très vite. C'est aussi au travers de cette femme qu'il va s'affranchir de ce milieu bourgeois. Mais peut-on survivre à la désobéissance dans un milieu si corseté ? de cet amour fou et dévastateur va naître la narratrice.
La deuxième partie s'ouvre sur l'annonce d'une nouvelle mort, celle de sa grand-mère, Louise. le passage sur l'héritage est fort et l'auteure se montre sans concession avec elle-même, comme on ose seulement le faire au cours d'une psychanalyse. Ce nouveau deuil entrainera Sarah dans une dépression mélancolique. L'état psychique dans lequel elle se trouve est magnifiquement écrit et l'on s'embourbe avec elle dans cette mélancolie.
Pourquoi ce titre,
Saturne ? On le comprend à la fin du livre.
Saturne c'est la planète de la mélancolie. C'est aussi un tableau de Goya «
Saturne dévorant l'un de ses fils » qui a inspiré l'auteure. Il y a des pères qui en contraignant leurs enfants dans une voie prédéterminée les dévorent. Pour certains, il s'ensuivra une sorte de mort psychique, la dépression, pour d'autre la seule issue pourra être la mort.
Pour rester positif, la grave dépression de trois ans de
Sarah Chiche se termine par une renaissance. A son tour, elle sera dans le soin puisqu'elle deviendra psychanalyste.
Après «
les enténébrés », qui m'avait déjà pris au ventre,
Sarah Chiche nous livre un texte fort, sur la famille de son père.