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sur 357 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  

*** Rentrée littéraire #24 ***

J'ai rarement lu un démarrage de roman aussi bouleversant. Pas uniquement parce que le sujet l'est, le récit de l'agonie d'un homme mort à 34 ans d'une leucémie, le père de l'auteure qui avait quinze mois à l'époque. Mais parce que Sarah Chiche fait de cette chambre d'hôpital un véritable tableau, scrutant les réactions, caractérisant de façon précise chaque membre de la famille qui entoure le mourant avant même de faire plus amplement leur connaissance.

La première partie, portrait du père, est remarquable. En seulement 130 pages aux ellipses temporelles subtiles, l'auteure parvient à dire toute la complexité du tragique ordinaire de cette famille : l'enfance du père, la rivalité biblique avec le frère brillant, la révolte du fils non conforme aux attentes familiales, la passion foudroyante et transgressive pour la mère de l'auteure, tout en dressant un cadre profond entre exil suite à la guerre d'Algérie et description d'une bourgeoisie à la fortune érigée autour d'un empire de cliniques privées. C'est tour à tour féroce, tendre et drôle.

Après le portrait du père, la deuxième partie est celui de la fille, hantée par la mort du père, qui sombre dans une dépression mélancolique à la mort de sa grand-mère, au mitan de la vingtaine. Je ne suis généralement pas amatrice des autofictions égocentrées mais là, j'ai été emportée par la profondeur psychanalytique, au scalpel de l'effondrement de l'auteure. Elle creuse dans le trou de sa tombe pour dire le cheminement qui la conduira, non pas à faire son deuil, mais à vivre avec dans un monde où cohabite la douleur et la splendeur des mondes perdus.

«  Dès que vous sortez de l'inconscience du sommeil, ce que fut votre existence s'étale devant vous comme une flaque de goudron, poisseuse et puante.Tout ce que vous avez fait. Tout ce que vous auriez dû faire. Tout ce que vous auriez pu dire à la personne disparue. Tout ce que pourriez accomplir demain. Tout se recouvre d'une glu noire qui comprime la poitrine, naphte qui brûle l'âme d'un feu lourd, dévaste vos boyaux, et fait défiler à toute heure du jour et de la nuit en arrière de vos yeux toutes les fautes que vous avez commises, ou pu commettre, ou sans nul doute commises sans le savoir, mais peu importe, car elles collent toutes les unes aux autres en un écoulement affreux. »

Mais Sarah Chiche n'est pas qu'une psychanalyste ( c'est son métier ).  Ses mots crèvent les pages, Sarah Chiche est avant tout une écrivaine au style époustouflant. Elle ose écrire avec ardeur, sans retenue, des phrases lyriques à la noirceur oxymorique, elle se risque à l'emphase, s'autorise la poésie ( magnifique description d'Alger ). Chaque phrase va jusqu'à l'os du ressenti et fait rimer raison et folie, douleur et beauté. Tout cela avec une vraie musicalité qui fluctue selon les personnages. Lorsque j'ai refermé le livre, il était rempli de petits papiers indiquant des phrases ou passages remarqués.

Et jamais elle ne sombre dans un pathos qui pourrait placer le lecteur en voyeur, c'est la force de son écriture qui bouleverse, comme cette phrase qui m'a percutée «  personne ne m'avait jamais dit que j'aimais mon père » lorsque l'auteure découvre pour la première fois des videos d'elle bébé avec son père. La lumière apparait alors pour l'auteure et rassérène le lecteur qui a souffert avec elle. Magnifique roman à tout point de vue.

« Nous vivons, en permanence, dans et avec nos morts, dans le sombre rayonnement de nos mondes engloutis ; et c'est cela qui nous rend heureux. de Saturne, astre immobile, froid, très éloigné du Soleil, on dit que c'est la planète de l'automne et de la mélancolie. Mais Saturne est peut-être aussi l'autre nom du lieu de l'écriture – le seul lieu où je puisse habiter. C'est seulement quand j'écris que rien ne fait obstacle à mes pas dans le silence de l'atone et que je peux tout à la fois perdre mon père, attendre, comme autrefois, qu'il revienne, et, enfin le rejoindre. Et je ne connais pas de joie plus forte. »
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Issu d'une riche famille de médecins exilée en France après l'indépendance de l'Algérie, Harry meurt d'une leucémie à trente-quatre ans, laissant une petite fille de quinze mois et une épouse dont il était amoureux fou, mais que tout le clan familial déteste. Quelque trente ans plus tard, après une dépression extrême qui a failli lui coûter la vie, l'enfant devenue adulte entreprend l'écriture de ce roman, évoquant sa vie hantée par la perte et le deuil, mais aussi par l'ombre d'une passion qui a définitivement fait voler sa famille en éclats.


La traversée de ce roman largement autobiographique prend longtemps l'allure d'une plongée dans le puits sans fond de la dépression et de fa folie, alors que, pour la narratrice, seuls les mots haineux et la rancoeur des autres membres de la famille viennent rompre le silence et le non-dit qui enveloppent l'absence d'un père devenu tabou et légende noire. Comment se construire et vivre sur le gouffre d'une disparition qui a à jamais scellé amour et haine dans un écheveau aussi inextricable qu'inexplicable pour une enfant déchirée par les conflits entre les siens ?


Il lui faudra pour cela réussir à trouver sa place auprès de ce père mystérieux et objet de tous les antagonismes familiaux, par le biais de quelques images filmées au temps de ses tout premiers jours. Avant cela, au travers de minces mais puissantes évocations surgies du passé, entre les blancs et les ellipses, il nous faudra aussi comprendre l'histoire de cet homme, son amour pour son aîné et la haine renvoyée par ce dernier, leur rivalité autour d'une passion folle et transgressive pour une femme jugée infréquentable par les leurs, les déchirures cachées derrière l'aisance bourgeoise d'une famille faussement reconstruite sur l'inguérissable fêlure de l'exil et l'exécration rencontrée sur le sol de la métropole.


En reconstruisant l'histoire de ce père qu'elle n'a jamais connu, Sarah Chiche crée sa propre fiction en réponse à toutes celles forgées par sa famille autour du disparu : seul moyen pour elle, le temps de l'écriture, de remplir une béance intérieure que la vie réelle ne comblera jamais. Un texte fort, sidérant et terrible, autour d'un deuil impossible, à l'origine d'un véritable collapsus psychologique. Coup de coeur.

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Pour la narratrice, l'effondrement qui a marqué l'histoire de sa famille l'a peu atteinte sur le moment, puisqu'elle n'avait que quinze mois, lorsque la maladie a emporté son père. Elle retraçe l'histoire de ce lignage, à partir des grands-parents qui ont du fuir l'Algérie en laissant là-bas l'essentiel de la fortune qu'ils y avaient amassée. Avec l'énergie qui les caractérisaient, ils créent dans le pays qui les accueille, un nouvel empire faits de cliniques privées, avec un sens aigu des affaires. Si Armand le fils aîné semble entrer dans le moule, Harry le cadet, le père de Sarah s'écarte des chemins consacrés, et unit son destin à celui d'Eve , qui est loin de satisfaire aux exigences des parents en matière d'alliance. C'est donc avec cette mère fantasque et en l'absence de son père que Sarah devra se construire.


Ce qui frappe d'emblée à la lecture de cet écrit, c'est l'élégance et la richesse de l'écriture, profondément envoutante, au point parfois de se laisser mettre à distance du propos. C'était déjà le cas avec Les Enténébrés dont j'aurais du mal sans me pencher sur mes notes à évoquer le sujet.
Il n'empêche que l'on se laisse porter avec bonheur par cette langue où chaque mot est choisi et chaque phrase assemblée avec une grande maitrise. C'est certes sombre, mais suffisamment bien exprimé pour que l'on accepte de partager ces évocations douloureuses.


Le poids des drames familiaux sur le destin des générations suivantes, la vanité des succès qui ne survivront pas au temps qui passe, la difficulté de s'affirmer sur des fondations marquées par des malheurs ordinaires, de ceux qui existent dans toute famille, ce sont ces fondamentaux qui transparaissent dans ce récit, superbement mis en mots.

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Saturne est le roman solaire de la mort.
Moi qui ne sait pas écrire ou si peu, je découvre, une fois de plus la fascination que l'écriture permet à certains, d'atteindre une rédemption qui les pousse vers une lumière enfouie dans le monde des ténèbres et de la mort.
"C'est seulement quand j'écris que rien ne fait obstacle à mes pas dans le silence de l'atone et que je peux tout à la fois perdre mon père, attendre, comme autrefois, qu'il revienne, et, enfin , le rejoindre."
Peut-on mieux définir l'écriture ?
Elle a permis à Sarah Chiche de vivre, d'accepter la mort de son père alors qu'elle avait 15 mois même si elle dit aussi" que le temps du deuil ne cesse jamais "
Saran Chiche dans ce roman commence par évoquer une famille qui a du vivre l'exil, quitter un pays: l'Algérie. En la lisant, j'ai compris ce que représente la douleur et la nostalgie de l'exil même si on ne l'a jamais connu. Mon père, pied noir, d'Alger m'a souvent parlé de cette jeunesse dans Alger la ville blanche, lumineuse.
En lisant Sarah Chiche, j'ai soudain compris ma fascination pour les exilés et les diasporas . L'exil se porte en soi, l'évocation de notre famille d'un endroit qu'on ne connaît pas mais qui nous appartient.
Sarah Chiche porte en elle aussi des deuils, le premier, c'est la mort de ce père et son agonie qu'elle décrit dans ce prologue qui nous noue les tripes.
le deuil, également, d'une famille dont on n'a pas voulu, qu'on rejette, son propre père à rejeté la sienne. Il ne pouvait adhérer à cette grande famille bourgeoise de médecins qui lui tracait et dictait sa vie.
" Je ne savais pas à quel moment mon père s'était dit que naître dans sa famille était une erreur."

Lourd héritage que sa fille devra aussi assumer. Pour échapper à sa famille, son père " était tombé fou d'amour de la plus déglinguée des enfants perdues" La mère de Sarah Chiche va laisser aussi des empreintes sévères dans la vie et le comportement de sa fille.

L'écriture de Sarah Chiche pour nous décrire et nous faire comprendre son parcours est exceptionnelle, elle nous touche au plus profond de notre coeur.

Un roman bouleversant d'humanité, d'une course effrénée vers la vie, en dépit de tout.
À lire absolument, un grand baume sur le coeur.

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Harry, 34 ans, se meurt d'un cancer foudroyant, entouré de sa famille, dans une chambre d'hôpital. Ce moment de fin de vie prend toute la place dans ce roman qui n'en n'est pas un. Sa fille a quinze mois. À l'âge de six ans elle est éloignée de ses grands-parents et de son oncle et grandit dans la haine viscérale de sa mère pour eux et dans la violence de cette dernière à son égard.

Notre narratrice vivote confortablement dans sa vie d'adulte avec des manques, des souvenirs confus, certainement un sentiment angoissant de ne pas être à sa place. Elle va recevoir le premier choc lorsqu'elle rencontre une personne qui a connu son père. Elle se rend compte qu'elle ne connaît rien de ce dernier. Il est parti, elle était bébé. Personne ne lui a raconté son histoire, l'histoire de ses parents.

Le deuxième choc, le plus violent, le plus destructeur, arrive quand son oncle lui téléphone pour lui apprendre la mort de sa grand-mère et l'héritage qui en découle.

Il y a des histoires de famille qui peuvent tuer, Sarah l'apprend à ses dépens, les souvenirs confus affluent, elle remonte le cours du temps, de son histoire.

Elle n'héritera pas des cliniques privées de la famille paternelle, juste un petit pécule qui lui permet de ne pas finir à la rue. Elle loue une chambre d'hôtel, entasse les affaires récupérées de la maison familiale, s'enterre, et se laisse mourir sous un tas d'ordures.

Elle va pourtant survivre et sa mère terrifiée à l'idée qu'elle puisse hériter de la maladie mentale de sa grand-mère maternelle, va l'aider et lui raconter.

La première partie de ce livre raconte l'histoire familiale de la narratrice, l'exil de famille paternelle suite à la guerre d'Algérie, leur enrichissement, leur monde bourgeois. la rencontre de ses parents, deux êtres qui ne sont pas à leur place dans la vie, leur amour fou, passionnel, entier, la maladie mentale de la grand-mère maternelle et la prostitution de sa mère pour survivre. Beaucoup de moments lourds, remplis d'érotisme, cette ambiance glauque ressentie par une enfant sans pouvoir l'identifier.

La deuxième partie est oppressante comme l'histoire de la narratrice. Les mots d'une violence extrême vous percutent tels une succession de coups de poing. On se retrouve dans la tête de celle qui se laisse mourir et à qui on va dire : non, tu es trop jeune, il te faut vivre, tu vas surmonter tout ça. Les bouffées de terreur la nuit, la haine de soi, l'anéantissement.

L'auteure/autrice a dédié ce livre aux vulnérables, aux endeuillés.

Je conseille ce livre à tous ceux qui ont grandi dans la haine, pour avoir la force de lui tourner le dos et construire sa propre histoire, sa propre vie.

Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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Un roman dédié "aux endeuillés et aux vulnérables" ne pouvait que m'interpeller.
Si j'ajoute que j'ai une certaine admiration pour l'auteure, intellectuelle psychologue psychanalyste brillante, et, je vais être sincère, un faible pour la femme... le temps étant venu d'extirper des rayonnages de ma bibliothèque son roman, c'est avec confiance et curiosité que j'ai commencé cette autobiographie ou cette autofiction psychanalytique.

Avec l'impudeur des esprits libres, Sarah Chiche se met à nu dans ce récit, cette saga familiale qui débute avec la colonisation de l'Algérie, qui court de 1830 à 1847 pour s'achever en 1902 avec la finalisation de la conquête du Sahara cette année-là.
À noter l'épisode sur la "fièvre des marais", le paludisme et la découverte du rôle du moustique comme causes ( marais-moustique ) de la malaria... l'apport de la quinine et l'assèchement desdits marais.
Si j'ai pris le temps de m'arrêter sur ce point particulier, de faire cette digression, c'est pour les lecteurs n'étant pas au fait sur le sujet et parce que la saga familiale des "Chiche", c'est l'histoire d'un empire de médecins et de cliniques ayant fait fortune en Algérie, puis déchus après l'indépendance de la colonie en 1962... avant de rebondir en reconstituant cet empire en métropole.
L'histoire de cette famille qui, comme tant d'autres, s'aime à l'amour à la haine, rivalise, se jalouse, se cajole, s'unit, se déchire, communique dans le silence, les non-dits, les tromperies, les discours convenus, se serre les coudes par esprit de classe, éclate et se retrouve quelquefois dans les drames, les derniers instants, c'est, pour banaliser le propos... l'histoire de la vie, notre histoire ou un peu de l'histoire de chacun d'entre nous.
En tout cas, moi je m'y suis retrouvé et reconnu comme tel.

Ce récit s'ouvre en 1977 sur la mort à 34 ans du père de Sarah atteint d'une leucémie.
Dans une chambre d'hôpital nous assistons aux derniers instants de Harry, le frère cadet des Chiche qui, un peu comme Fritz Zorn ( Lisez MARS pour mieux comprendre ), quitte ce monde très jeune entouré des siens : sa mère, son père, Armand son frère aîné, Ève sa femme ; Sarah n'est pas présente, elle n'a alors que quinze mois.
Une scène poignante qui, d'emblée, vous fiche un de ces coups émotionnels auxquels le coeur du lecteur réagit au bord des yeux ; c'est ce qui m'est arrivé.
C'est à partir de cette scène fondatrice que Sarah Chiche construit son roman, celle de cette saga familiale dont elle va être la victime innocente... parce que la plus jeune et la plus vulnérable.
Son défi va consister à s'identifier, à se donner l'autorisation d'exister, elle orpheline d'un père qu'elle n'a pas connu, d'une mère dont la relation à la vérité est des plus aléatoires, elle dont la mère en question, brebis galeuse d'une famille paternelle qui l'a rejetée et qui a fait croire à sa fille que cette même famille paternelle ne l'aimait pas, va développer des troubles sévères de la personnalité, troubles qui vont la conduire au bord du précipice de la folie et de la mort...
Je vous passe le relais...

Il faut, j'ai déjà employé ces mots, l'impudeur des esprits libres pour oser brosser le portrait d'une mère, bellissime jeune femme fantasque posant pour des photos érotiques et se prostituant à l'occasion. Détailler de manière crue l'amour la liant à son père... la scène où les deux amants font l'amour au bord de la piscine familiale sous le regard lubrique du frère aîné planqué dans une haie voisine n'en est qu'un exemple parmi d'autres. Évoquer les manigances de l'oncle Armand qui, n'acceptant pas cette liaison, cette mésalliance, paye un détective pour suivre la jeune femme, laquelle, en dépit des promesses faites à Harry continue d'avoir des quarts d'heure américains tarifés dans les bras d'hommes prêts à louer ses charmes. Ses révélations n'empêcheront pas le pardon et le mariage de se faire envers et contre toutes les méfiances et toutes les oppositions De La Famille...
Il faut un certain rapport à la vérité ou tout au moins à une certaine perception de la réalité pour raconter la relation pour le moins antithétique, conflictuelle entre ces deux frères. L'aîné, le bon en tout, arriviste ambitieux qui arrive à satisfaire ses ambitions et son cadet, idéaliste, rêveur, un brin artiste, amoureux des étoiles ( une des raisons du choix de Saturne comme titre ) qui, en pension avec son aîné est resté incontinent jusqu'à l'adolescence, a été le fils qui déçoit et qui un jour décide de quitter la fac de médecine pour tomber sous l'emprise des casinos, s'endetter et s'éprendre d'une passion "insensée" pour une sublime créature rencontrée un petit matin... ou était-ce une nuit sur un trottoir... le fils vilain petit canard boiteux, peu digne représentant d'une "dynastie"...
Il faut du courage ( au sens littéraire du mot ) pour parler de l'enfant perdue qu'on a été et qui, pour répondre à l'injonction de l'un de ses TOC ( trouble obsessionnel compulsif ) se jette dans le lac de Genève... sans savoir nager...
" ... ces impulsions morbides qui, à l'époque, dévoraient en secret ma tête, et faisaient de mon quotidien d'enfant un enfer : Marche sur les lignes, Si tu dis à ta mère que ton oncle te manque elle ne t'aimera plus, Ne dis pas au téléphone que ta mère te frappe sinon tu mourras, Si tu ne sautes pas par-dessus la dernière marche de cet escalier, ta mère mourra elle aussi, Dis "saucisse" pendant la classe, et pour finir, pour en finir : Saute.
Il y aurait ensuite bien des fois où cela se répèterait pathétiquement, loin des regards, jusqu'à ce que l'analyse me permette de convertir cette docilité dangereuse aux injonctions mentales, cette douceur proche de l'inertie déjà grisante, en préférence pour la solitude, la liberté, et la joie brûlante de vivre."
Il faut ce besoin de se dépouiller des oripeaux d'une certaine enfance pour raconter un mariage raté qui durera sept mois quelque part en Outre-mer, ponctué par une liaison adultérine avec un homme marié père de famille, un retour au pays qui coïncide avec la mort d'une grand-mère délaissée, rejetée mais dont on se précipite, faute d'un travail et d'un toit, sur l'héritage... puis la chute dans le trou noir de la "dépression"...deux mois de réclusion dans un hôtel minable, les délires, le cimetière où repose auprès de son père et du père de son père ce père que l'on n'a pas connu mais sur la tombe duquel on se recroqueville en position foetale pour y trouver le repos la paix... Et enfin le "sauvetage", les traitements qui zombifient et renvoient l'image de la laideur, les tentatives infructueuses, inabouties de "réinsertion" par le travail.
Et arrive le jour où sa mère qui a fait "restaurer" 28 bobines de films super 8, Sarah voit sur un écran ( mot symboliquement fort psychanalytiquement parlant ) son père vivant et découvre que ce père l'a aimé...
Début et fin de la quête d'identité ?
Fin du "travail de deuil" ? ( expression stupide que je déteste )...
Fin en tous les cas du roman sur ces mots :
" Et sur la route où je pars, seule, mais avec les mélancoliques, les amoureux, les endeuillés et les intranquilles, seule mais cachée dans la foule des vivants et des morts, tout est perdu, tout va survivre, tout est perdu, tout est sauvé. Tout est perdu. Tout est splendide."
Il fallait du courage pour raconter la saga de cette famille placée sous le signe de Saturne, celui qui dévore ses enfants ( référence au tableau de Goya ).
Il fallait du talent pour le faire avec autant de liberté sans aucun pathos juste avec les mots de celle qui sait qu'elle vient et qu'elle revient de loin et qu'il lui faudra encore aller plus loin pour en finir avec ce qui en fait n'est jamais qu'un éternel recommencement.
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« Les enténébrés », paru en janvier 2019, m'avait touché en plein coeur. « Saturne », paru en cet été 2020, a suivi la même trajectoire. Roman du deuil, et de la naissance.
Les morts n'existent pas. Les vivants n'existent plus...Est ce si simple ? Quelle frontière sépare la vie, la mort ? Quels sont les fantômes de toutes nos demeures ? Demeurer, habiter, hanter, partir, quitter…Faire le deuil des siens, de soi, de toutes les projections. Images photographiques ou imaginaires familiaux ? Où se situent tous ces espaces. Pouvons nous un jour nous retrouver coincer dans les limbes d'un passé, qui est le nôtre mais qui ne nous définit pas ? Echo, reflet, quelle est la réalité de chaque morceau de toutes le histoires qui nous composent. Folie, pardon, fidélité, abandon, résistance, rébellion, culpabilité...tout ceux qui nous traversent, tout ce que nous traversons.
Intense moment de lecture.
« J'entre dans l'automne de Saturne. Et sur la route où je pars, seule, mais avec mon père, seule, mais avec ceux que j'aime, seule, mais avec les mélancoliques, les amoureux, les endeuillés et les intranquilles, seule, mais cachée dans la foule des vivants et des morts, tout est perdu, tout va survivre, tout est perdu, tout est sauvé.Tout est perdu. Tout est splendide ».
Splendide.
«  Saturne est la première des planètes, portant les clefs qui donnent accès aux trésors », Michael, Maier, 17e siècle, Arcana arcanissima , extrait.
Astrid Shriqui Garain





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"Mais quand je songe aux monstres que nous avons été, à la façon dont un certain nombre d'événements se sont morbidement engrenés les uns dans les autres, et à ma responsabilité dans cette tragédie, ces vies perdues reviennent me hanter. (p27)"

Voilà une lecture qui va rester graver dans ma mémoire. Quelle écriture, quelle profondeur et quelle des sentiments éprouvés par la narratrice et tout cela sur un thème difficile : le deuil ou plutôt l'absence car l'auteure, dès son prologue, situe son récit. 1979 - le père de la narratrice, l'auteure donc mais en grand partie autobiographique malgré sa catégorie "roman", est sur le point de mourir, elle n'a que quinze mois et ne conservera donc aucun souvenir de Harry, cet homme de 34 ans, entouré de sa famille dans ses derniers instants.

2019 - La rencontre fortuite lors d'une signature de livres,  avec une femme ayant connu son grand-père et son père enfant en Algérie, fait remonter en elle une promesse faite devant une tombe.... Parler de sa famille, une famille de médecins, aisée mais dont son père, enfreindra toutes les règles, qu'elles soient professionnelles ou familiales en épousant Eve, une femme tellement éloignée des critères attendus. Mais parler également d'elle, de cette femme orpheline de père, de ce séisme engendré inconsciemment par ce fantôme dans sa vie jusqu'au jour où elle retrouvera les traces de celui qu'elle aurait voulu peut-être voulu rejoindre.

Mais pour comprendre il faut remonter le temps, revenir aux racines, à cette famille qui a bâti sa fortune grâce à des cliniques privées d'abord en Algérie puis en France. Une famille bourgeoise, installée, ayant ses règles et ses codes, où l'argent et le pouvoir règnent, où le frère aîné, Armand, correspond aux attentes alors qu'Harry s'en éloigne, avant de rencontrer celle qui chamboulera son coeur et son existence.

L'auteure, psychologue et psychanalyste, dans une écriture d'une beauté extrême, concise, se penche et analyse pourquoi, à un moment de sa vie, la répercussion de la mort de son père à tant influée sur la sienne, la poussant même au bord du précipice, dans une sorte de non-vie, d'oubli d'elle-même alors qu'elle n'a aucun souvenir de l'homme qu'il était et que ceux qui l'ont connu disparaissent peu à peu.

"Les morts ne sont pas avalés, ni par l'eau ni même par la terre. Ils continuent de marcher parmi les vivants. Quand nos souvenirs avec nos proches s'effacent dans le lointain de chambres, d'écoles, de fêtes d'anniversaire, de champs, de sentiers de montages ou de plaques, que nous n'arpentons même plus dans nos songes, restent les récits que nous tenons des autres.  Puis un jour, ces autres 'évaporent eux aussi. La dernière personne qui pouvait nous parler de la personne que nous avons perdue meurt à son tour ; et dans cette césure fatale, le temps devient, dit-on, irréversible. (p27-28)"

Un travail de mémoire nécessaire et il faut du temps, le chemin est semé d'embûches car il touche à ce qu'il y a de plus intime à la personne, ce qui l'a constituée, avec des questions parfois à jamais sans réponse, ou alors des brides, recollées les unes aux autres. Tout est palpable comme dans les lieux qu'elle traverse, les objets, les odeurs, tout est prétexte à sa recherche, à son travail de deuil plus de 30 ans plus tard.

Tel Saturne dévorant son propre fils, tel le cancer dévorant son père, l'auteure se retrouvera pendant trois ans dévorée par une dépression profonde, enfermée dans un espace sans repères jusqu'à la délivrance par quelques images et la révélation paternelle qu'elle n'espérait plus.

Ce roman est d'une maîtrise totale que ce soit dans le thème traité, celui du deuil sans traces de l'absent que celles laissées ou tues par les autres, de la compréhension des origines familiales et du rôle joué dans sa propre vie, du fonctionnement de cette famille où il ne fait pas bon ne pas correspondre à la lignée décidée par les patriarches. L'écriture résonne de mélancolie, parfois de colère mais aussi de nostalgie, du temps qui passe, des présents qui disparaissent et des disparus qui laissent leurs empreintes, elle est d'une réelle beauté à la fois dans sa simplicité mais aussi dans sa force.

J'avais déjà entendu parlé de Sarah Chiche lors de la sortie Des enténébrés, son précédent roman, que je n'ai pas lu (mais que je vais me procurer dès aujourd'hui à la bibliothèque) mais ce roman très personnel, très introspectif m'a profondément touchée par ce qu'il soulève en nous de sentiments. Elle réussit à faire de son histoire personnelle, un roman d'une grande intensité et je vous avoue qu'une fois terminé, j'ai relu les premières pages pour reprendre, comme elle, l'origine du récit, la mort de ce père, qu'elle décrit en quelques pages avec une charge émotionnelle puissante, nous faisant témoin du drame de son existence.

"Pour nous, le temps du deuil ne cesse jamais.(...) Nous n'aimons pas être consolés, séparés de la chose perdue. Nous vivons en permanence, dans et avec nos morts, dans le sombre rayonnement de nos mondes engloutis ; et c'est cela qui nous rend heureux. de Saturne, astre immobile, froid, très éloigné du Soleil, on dit que c'est la planète de l'automne et de la mélancolie. Mais Saturne est peut-être aussi l'autre nom du lieu de l'écriture - le seul lieu où je puisse habiter.  C'est seulement quand j'écris que rien ne fait obstacle à mes pas dans le silence de l'atone et que je peux tout à la fois perdre mon père, attendre, comme autrefois, qu'il revienne, et, enfin le rejoindre. Et je ne connais pas de joie plus forte. (p204)"

Une très belle restitution, d'une rare intensité à la fois dans la simplicité apparente de la narration alors que tout est pesé,  par son humilité face à des événements qui ont influé consciemment ou inconsciemment sur sa vie, dont elle refusait jusqu'à ce jour d'Avril 2019, d'en voir toute la portée mais que sa formation de psychanalyste lui a sûrement servi pour mieux le comprendre. Un travail de mémoire, d'analyse dans une écriture sensible que ce soit pas le sujet mais également par la façon de nous la transmettre.

Pour la force de ce roman, pour son écriture, pour les thèmes abordés avec justesse c'est pour moi un coup de 🧡.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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Véritable coup de coeur, lu en quelques heures, d'une seule traite.
Peut-être, parce que l'auteure est psychanalyste, peut-être parce que la mort précoce d'un père fait écho à mon vécu, j'ai été bouleversée par ce roman-témoignage.
Mon libraire m'avait prévenue : vous avez entre les mains une oeuvre rare.








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Le prologue de ce livre est juste splendide, lu trois fois, comme happée, il m'impose deux images qui ne vont plus me quitter : celle d'une petite fille qui échappe à la surveillance des adultes, elle marche pieds nus sur la sente du château qui mène au marais, elle s'enlise peu à peu et immédiatement une autre image surgie la petite fille est devenue adulte, elle est là devant un feu de cheminée, le regard vague tourné vers les flammes des bûches crépitantes qui ne la réchauffent pas…
C'est ainsi que le lecteur sait entrer dans une histoire qui n'est pas la sienne mais qui lui est offerte.
Une histoire en deux volets au sens de l'objet, deux battants, le premier s'ouvre sur la lumière, figure du père que l'auteur ressuscite des ténèbres, à la recherche de cet amour perdu et le second celui que l'on referme sur ses blessures, comme un animal blessé se cache pour mieux panser ses plaies ou mourir.
Autant dire que ce voyage littéraire a été riche en émotions, en tensions.
Christian Bobin a écrit : « Les livres sont des cloîtres de papier. »
En 1977 Sarah avait seulement dix-neuf petits mois quand son père Harry meurt d'une leucémie.
« La porte de ma chambre claqua brusquement. La nounou raconterait d'une voix blanche qu'elle avait regardé autour d'elle, mais qu'il n'y avait personne, hormis moi, assise au milieu de mes cubes, dans cette chambre dont la porte s'était entrouverte et que, malgré un splendide soleil ce jour-là, c'était probablement le vent. »
Harry n'avait que 34 ans.
Le lecteur découvrira sa vie et celle de sa famille, celle de médecins juifs de génération en génération, de l'Algérie à la France où ils bâtirent un empire de cliniques privées.
Harry fut le « vilain petit canard » de cette famille grandiose, naufrage qui s'avéra lors de la rencontre d'une femme à la beauté incendiaire.
Mais après la mort de son mari, celle-ci se fabrique des histoires pour survivre et engloutir son entourage.
« Il y avait, dans ses yeux, une douceur avec laquelle je ne me souviens pas qu'elle m'ait déjà regardée, une douceur après laquelle j'ai longtemps couru, jusqu'à ce que j'y substitue l'écriture. »
L'enfant est engloutie dans une histoire familiale qui la dépasse, où des choix sont faits sans tenir compte d'elle.
Le temps fait son oeuvre, il creuse profond l'âme de cette enfant.
Le second volet se clôt sur la bête blessée à mort. C'est une longue descente aux enfers pour celle qui est tombée dans l'urne des cendres de son père et qui les remue jusqu'au moment où les fantômes du passé ressurgissent. Elle a besoin de leur redonner vie, d'avoir le temps d'appréhender les morceaux du puzzle. Certains ne veulent pas faire leur deuil, ils ont besoin de laisser leurs fantômes vivre en eux.
« S'il est possible de faire comprendre aux personnes bien portantes ce qu'est une douleur physique, par exemple la douleur que l'on peut ressentir quand on a atrocement mal au ventre, il leur est plus difficile de se représenter ce qu'est l'autoaccusation mélancolique consécutive à un deuil. Dès que vous sortez de l'inconscience du sommeil, ce que fut votre existence s'étale devant vous comme une flaque de goudron, poisseuse, puante. Tout ce que vous avez fait. Tout ce que vous auriez dû faire. Tout ce que vous auriez pu dire à la personne disparue. »
Sarah Chiche, écrivain et psychanalyste a une expression que je trouve très belle : « La mélancolie est un passé qui ne passe pas. »
C'est une véritable plongée dans les affres d'une âme que l'auteur offre aux lecteurs. J'ai tendance à penser que c'est un cadeau quand l'écriture et la construction du livre font un tout qui, du très personnel, de l'intime fait ressortir l'universel.
Un livre d'une densité douloureuse, bouleversant et régénérant aussi.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 02 octobre 2020.






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