La personnalité frappante d'Alfred ne pouvait manquer d'attirer la sympathie ou l'admiration. Un de ses condisciples nous fait de lui le portrait suivant : « Haut de six pieds, avec une large poitrine, des membres robustes, une figure Shakespearienne, des paupières profondes, un front ample couronné de cheveux bruns ondulés, un port de tête distingué, une main qui faisait l'admiration des sculpteurs..., douce comme celle d'un enfant, bien que large et puissante.
Ce qui frappait le plus chez lui, c'était l'union de la force et de la finesse. Cet adolescent au teint basané, au cadre puissant, à l'abord farouche, avait le cœur tendre et la sensibilité d'une jeune fille.
Nous ne pouvons comprendre pleinement un homme que si nous connaissons les influences diverses qui ont contribué à sa formation; chaque être est, en quelque sorte, la résultante d'une multitude de forces composées qui déterminent sa pensée et sa sensibilité. On ne saurait accorder une trop grande importance à l'étude de l'enfance d'un écrivain. Sa tournure d'esprit, la qualité de son imagination, sa façon de sentir dépendent beaucoup des premières impressions qu'il a reçues du monde. Pour bien comprendre la « mentalité » de Tennyson, il nous est indispensable d'étudier soigneusement ses origines.
Pour donner du relief et de la couleur à l'analyse, j'ai multiplié les citations qui font parler le poète lui-même dans sa belle langue imagée ; pour la même raison, j'ai raconté beaucoup de petits traits, des mots, de menus incidents de sa vie privée. Les anecdotes ne sont pas un hors-d'oeuvre, ni un pur amusement : elles ont souvent une réelle valeur psychologique, car elles nous révèlent d'une manière piquante le fond des caractères.
Avant de savoir lire, il avait déjà l'habitude de se promener en plein orage, étendant les bras et disant très haut : « J'entends une voix qui parle dans le vent. »