Ah, l'argent ! Qu'on en ait ou qu'on en manque, c'est toujours lui la cause du mal.
"Mais trouvez-vous croyable, monsieur, qu'un homme se donne tant de mal pour atteindre un certain objectif, à savoir le moment où il pourra occuper ses loisirs à sa guise ; qu'il sue sang et eau pour y parvenir et que, une fois ce but atteint, il regrette le bon vieux temps et les activités qu'il se croyait si heureux d'abandonner ?
- Oui, répondis-je après réflexion, j'estime le phénomène assez fréquent. Il se peut même que ce soit mon cas.
- Les chaînes de l'habitude... Nous travaillons en vue d'un but précis et, celui-ci atteint, nous découvrons à quel point notre tâche quotidienne nous manque. Et notez bien, monsieur, que mon travail était particulièrement intéressant. Le plus intéressant qui soit au monde.
- Ah oui ?
- Je parle de l'étude de la nature humaine, monsieur.
On peut pressurer un homme éternellement... mais pas une femme ! Car les femmes gardent au fond du coeur un grand désir de vérité. Combien y a-t-il de maris qui, ayant trompé leur compagne, emportent sans remords leur secret dans la tombe ! Mais combien y a-t-il de femmes qui, ayant trompé leur mari, détruisent leur bonheur en avouant leur faute !
- Nous sommes au complet, dit Poirot.
Sa voix avait un accent de triomphe et je vis une vague d'inquiétude passer sur tous les visages groupés à l'autre extrémité de la pièce. Chacun avait l'impression qu'une trappe venait de se refermer.
-Ah, l'argent! Qu'on en ait ou qu'on en manque; c'est toujours lui la cause du mal.
Je me sentis fort mal à l'aise et je me souviens à peine de ce qui arriva ensuite. Il y eut des exclamations et des cris de surprise. Lorsque je fus redevenu suffisamment maître de moi, pour me rendre compte de ce qui se passait, Ralph Paton était debout près de sa femme dont il tenait la main dans les siennes et il me souriait à travers la pièce.
Poirot souriait également et secouait élogieusement un doigt dans ma direction.
"Ne vous ai-je pas dit au moins trente-six fois qu'il est inutile de cacher quelque chose à Hercule Poirot? demanda-t-il, et que dans un cas semblable, il découvre tout."
Il se tourna ensuite vers les autres personnes.
A ma connaissance, les femmes résolues à se suicider révèlent volontiers les raisons de leur geste fatal. Elles ont un sens inné du spectacle.
- ...et il est très probable que cette affaire soit ma dernière investigation. Or, Hercule Poirot ne reste jamais sur un échec. Je vous le dis, mesdames, messieurs, je veux savoir et je saurai. Malgré vous tous.
Mme Ferrars mourut dans la nuit du 16 au 17 septembre, un jeudi. On m'envoya chercher le vendredi 17, vers huit heures du matin. Mais il n'y avait rien à faire et la mort remontait à plusieurs heures.
Je rentrai chez moi peu après neuf heures. J'ouvris la porte avec ma clef et je restai exprès dans le vestibule quelques instants de plus qu'il n'était nécessaire, pour prendre mon chapeau et mon pardessus. En réalité, j'étais bouleversé et préoccupé. Je ne prétendrai pas, maintenant, que j'aie, dès cet instant, prévu les événements qui devaient se dérouler au cours des semaines suivantes, car ce ne serait pas exact. Mais mon instinct m'avertissait que j'allais éprouver des émotions.
Il ne faut jamais craindre de dire aux hommes leurs quatre vérités : ils sont tellement vaniteux qu’ils ne vous croient jamais, si le portrait n’est pas flatteur.