Philippe Claudel - «
Le rapport de Brodeck», Stock, 2007 "Livre de poche" (ISBN 978-2-253-12572-3)
Philippe Claudel est né 1962 en Lorraine, l'une de ces contrées où le mot « guerre » a souvent pris hélas toute sa férocité.
Après "la guerre" (comme Camus dans "la peste", l'auteur ne précise pas de quelle guerre il s'agit, il y en eut tant et tant…), Brodeck, un rescapé des camps (la Shoah ?), rentre dans son village perdu dans des confins germanophones. le lieu n'est pas précisé, certains critiques (parisiens) ont inventé qu'il s'agirait d'un village perdu en Alsace-Lorraine (c'est vraiment méconnaître cette région par rapport aux éléments donnés dans le roman), pour moi je pencherais plutôt pour l'ex-empire d'Autriche, en Europe centrale, car certaines phrases concernant l'administration de ce lieu imaginaire sont carrément kafkaïennes.
Au début du récit (émaillé de nombreux retours en arrière), les hommes du village viennent de commettre un meurtre collectif en tuant "l'Anderer", (ce qui signifie "l'autre" en langues tudesques), celui qui était arrivé environ un an auparavant, venant de nulle part. Les hommes coincent Brodeck, perçu comme le seul intellectuel puisqu'il est allé faire des études "dans la grande ville", et le charge de rédiger un rapport de style administratif pour expliquer le meurtre et les disculper. Brodeck rédige ce rapport en tenant la chronique de son élaboration, ce qui constitue la trame du roman.
Au fil des pages, il se remémore le passé, ses études à "la capitale" (Vienne ???), la montée de la peste (le nazisme ? il y en eut tant d'autres, des pestes… allusion à Camus ?), sa déportation en camp de concentration, l'effet que produisit son retour, fort inattendu, sur la population du village, la survenue de l'Anderer. Dès le début, on se doute évidemment de la fin, de la fonction de révélateur que va assumer l'Anderer, mais cela n'ôte rien à la lecture car le récit est magistralement mené.
La description, toute simple, sans effet grandiloquent, de la cruauté humaine, est saisissante. L'auteur réalise le tour de force de restituer l'épouvante, dans ce qu'elle eut de pire lors de la Shoah, sans jamais mentionner spécifiquement "les juifs". le récit est parsemé de termes germaniques intelligemment explicités, ce qui est rarissime dans la littérature française d'aujourd'hui.
Un aspect : la description de la difficulté d'écrire, sans grands effets de manche, comme par exemple au début du chapitre XVI (voir citation).
Ce roman a remporté de nombreux prix (pour une fois, c'était vraiment justifié), dont celui du «Goncourt des lycéens». C'est un fait rarissime à souligner de la part d'un auteur contemporain : ce roman publié en 2007 peut effectivement être chaudement recommandé aux lycéens.
Une belle écriture.
Un beau livre.