Entre cet homme et moi se signa,sans un mot,un pacte absolu et indéfectible,un pacte qui m'apporta une forme de paix.
Il s'appelle Werner.Werner Zilch.Ne changez pas son nom.Il est le dernier des nôtres.
"Il écartait les chaises sur son passage, tandis qu'elle avançait, tête légèrement baissée, avec cet air modeste des filles qui se savent admirées"
Le delta noir était la marque des asociales, à savoir des prostituées ou des criminelles de droit commun allemandes. Elles ne risquaient pas d'être victimes d'une exécution sommaire comme les autres prisonnières. La demande d'ouvrières sexuelles était forte. A partir du printemps 1944, les SS se mirent à choisir selon leur critères esthétiques ou leurs perversions, sans se préoccuper des codes établis par Himmler selon lesquels "seules les femmes dont le peuple allemand n'a plus rien à attendre de bon peuvent être sélectionnés". Ils ont fait croire que ce travail était "volontaire". Même les prisonniers le pensaient. Ma mère comprit très vite ce qui l'attendait.
Une fois l'issue connue, il est facile de juger. Nous marchions dans les marécages d'une réalité trouble.
Dommage que vous n'ayez pas mis cette énergie à venger votre épouse au lieu de la faire enfermée. Vous n'avez pas le sens des priorités...
On croit souvent que les êtres timides et effacés sont gentils alors qu'ils sont simplement faibles. Ils vous égorgeront dès que l'occasion leur en sera donnée pour se venger de leur propre médiocrité.
J'ai compris que cette douleur fait partie de notre amour. Quand nous parviendrons à la dépasser, il n'y aura pas de plus belle histoire que la nôtre. Werner, si nos chemins se sont croisés, c'est parce que cette faute existe et que nous devons, toi et moi, la réparer.
Je croyais au pouvoir infini de la volonté et j'étais résolu à me forger un monde à la force du poignet. Je ne savais pas d'où je venais. A qui je devais ce visage taillé à la serpe, ces yeux délavés, ma crinière sable, ma taille hors norme qui m'obligeait à me plier, genoux au menton, dans les bus et au cinéma. J'étais libre de tout héritage, de tout passé, et je me sentais maître de mon avenir. L'envie de prouver qui j'étais, l'envie que mon nom trop souvent moqué inspire le respect et, s'il le fallait, la crainte, me brûlait. Mes parents me considéraient comme un être étrange. Mes aspirations les plus basses dépassaient leurs espoirs les plus fous. Je refusais obstinément de me limiter.
L'amour n'était qu'un jeu, mais cette période bénie a pris fin le jour où, au restaurant Gioccardi, une jeune femme a écrasé mon insouciance de ses sandales bleues.