Citations sur La part du fils (68)
Il n’y a plus rien à faire. Tout se calme sur le quai rincé. La porte a grondé sur sa glissière, le wagon a été cadenassé. Des vantaux d’aération, grillagés exprès, ne montent plus qu’un piétinement, des râles, parfois des papiers pliés en quatre jetés avec des noms, des adresses...
Et Buchenwald leur paraît immense, telle une cité géante et figée, où la vie d'avant a disparu, où le temps commun n'a plus cours, où ils sont autres et anonymes, dans l'hostilité courante.
On comprend que c'est ici que tout commençait, qu'il y avait à partir de là une arithmétique, l'arrestation, le transfert, le confinement dans ces bâtiments, le tri et les listes, et puis le baluchon pour les colonnes dans la nuit, la sortie du camp, la marche sur Compiègne dans le froid de l'hiver, la trouille qui broie les tripes, jusqu'à la rampe en ciment où il fallait se hisser dans un train à bestiaux pour deux nuits à travers l'Europe, et quel train, et quelles nuits, à cent hommes par wagon, sans eau, sans secours, sans espoir.
J'avais le sentiment d'être à ma place, en phase, cette quête n'était pas une simple recherche mais bien un pan de ma vie vraie.
Qui fut ce lieutenant, cintré dans son uniforme de drap, son image reflétée sur le damier des rizières ? Quelle avait été la tessiture de sa voix ? Aimait-il lire, marcher ou collectionner des objets en jade ? J'étais là pour l'accompagner à rebours, le tenir à bras-le-corps, lui rendre ses contours et son allure. Un petit-fils devenu archéologue.
Cette tentative de reconstitution, sur une base pourtant patiemment documentée, garde sa part de fiction, et je la revendique. Il n'empêche que chacune de ces pages s'est écrite au plus près d'un homme disparu dans la tourmente de la seconde Guerre Mondiale. Elles constituent le destin de mon grand-père, des siens, des nôtres. En dépit de sa fin tragique, il s'est agi pour moi de lui rendre, par delà silence et oubli, un peu de sa vie forte et fragile.
Jean -Luc Coatalem.
Post-face de " la part du père" .
J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa premiere fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps _ tout ce qui vous souille et vous détruit _ n'auront pas pu lui voler.
Patrick Modiano. Dora Bruder. (fin du dernier chapitre)
l était devenu cet homme fiable, taciturne, mesuré en tout. Un père sur qui on pouvait compter, présent parmi les absents, tenace dans les incertitudes, mais qui ne demandait rien, ne s’apitoyait jamais ni sur les autres ni sur lui-même. Taiseux surtout.
Comme dans ce conte où le coffret interdit ne cache qu'un fragment de miroir, sa vérité était ailleurs, mon histoire raccommodée ne le résumerait pas : Paol était surtout ce que je ne savais pas, ce que je ne saurais jamais, n'apprendrais en aucun cas. Allant vers lui, j'avais fait au mieux un peu de chemin vers moi..... (p158)
« Nous avons mené la génération actuelle sur le seuil de l’espace […]. Le chemin des étoiles lui est désormais ouvert » Walter Domberger
Bergen-Belsen est surpeuplé. C'est un mouroir où le typhus règne. Les pertes sont énormes, et le crématoire ne parvient plus à tenir la cadence. Des bûchers sont installés à l'extérieur. Les villageois aux alentours se plaignent des fumées ; les escadrilles alliées peuvent en repérer les lueurs. On creuse des fosses pour dissimuler l'horreur.