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Citations sur Belle du Seigneur (526)

Elle aspira de I'éther, sourit. Ô les débuts, leur temps de Genève, les préparatifs, son bonheur d'être belle pour lui, les attentes, les arrivées à neuf heures, et elle était toujours sur le seuil à l'attendre, impatiente et en santé de jeunesse, à l'attendre sur le seuil et sous les roses, dans sa robe roumaine qu'il aimait, blanche au larges manches serrées aux poignets, ô l'enthousiasme de se revoir, les soirées, les heures à se regarder, à se parler, à se raconter à l'autre, tant de baisers reçus et à donnés, oui, les seuls vrais de sa vie, et après l'avoir quittée tard dans la nuit, quittée avec tant de baisers, baisers profonds, baisers interminables, il revenait parfois, une heure plus tard ou des minutes plus tard, ô splendeur de le revoir, ô fervent retour, je ne peux pas sans toi, il lui disait, je ne peux pas, et d'amour il pliait genou devant elle qui d'amour pliait genou devant lui, et c'était des baisers, elle et lui religieux, des baisers encore et encore, baisers véritables, baisers d'amour, grands baisers battant l'aile, je ne peux pas sans toi, il lui disait entre des baisers, et il restait, le merveilleux qui ne pouvait pas, ne pouvait pas sans elle, restait des heures jusqu'à l'aurore et aux chants des oiseaux, et c'était l'amour. Et maintenant ils ne se désiraient plus, ils s'ennuyaient ensemble, elle le savait bien.
Elle aspira de l'éther, sourit. Lorsqu'il partait en mission, les télégrammes qu'il lui envoyait en code si les mots étaient trop ardents, ô bonheur de déchiffrer, et elle ses longs télégrammes en réponse, télégrammes de centaines de mots, toujours des télégrammes pour qu'il sût tout de suite combien elle l'aimait, ô les prêparatifs en vue du retour sacré, les commandes chez le couturier, les heures à parfaire sa beauté, et elle chantait I'air de la Pentecôte, chantait la venue d'un divin roi. Et maintenant ils s'ennuyaient ensemble, ils ne se désiraient plus, ne se désiraient plus vraiment, ils se forçaient, essayaient de se désirer, elle le savait bien, le savait depuis longtemps.
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Il sourit à son destin. Par intelligence, il a réussi autrefois.
Député, ministre, et caetera. Une réussite fragile parce que seulement d'intelligence. Une réussite sur corde raide et sans filet. Dépourvu d'alliances, de parentés, d'amitiés héritées, d'amitiés d'enfance et d'adolescence, de toutes les protections naturelles que tisse l'appartenance vraie à un milieu, il n'a jamais pu compter que sur lui. Une gaffe généreuse l'a fait tomber. Il n'est plus qu'un homme seul. Les autres, les enracinés, un tas de fils protecteurs les relient à des alliés naturels. La vie est douce à ces normaux, si douce qu'ils ne savent pas ce qu'ils doivent à leur milieu, et ils croient avoir réussi par leur propre mérite. Le rôle que jouent les parents et les relations de longue date pour l'immense bande des veinards, conseillers d'Etat, inspecteurs des finances, diplomates, tous anciens cancres. Il voudrait bien les y voir à sa place, crétins protégés depuis leur naissance, doucement portés par le social du berceau à la tombe.
(P942)
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Alors, il avait bien fallu refaire le coq à regards filtrés, elle ravie courant se recoiffer, et mettre déshabillé inutilement voluptueux, et voiler de rouge patibulaire la lampe de sa chambre pour faire sensuel, la malheureuse espérant l’indiscutable test d’un coït réussi, croyant l’avoir obtenu et lui faisant aussitôt les affreuse caresses sentimentales sur la nuque ou dans les cheveux, effrayantes araignées de gratitude, insupportablement accompagnées de questions tendres et de tendres commentaires appréciatifs. Et de nouveau, plusieurs bains chaque jour, et deux rasages au moins, et expressions poétiques à trouver pour louer la beauté de l’aimée et les diverses parties de sa viande, et en trouver chaque jour de nouvelles parce qu’elle était insatiable et qu’il la chérissait, et qu’il aimait la voir de satisfaction aspirer longuement par les narines. Et de nouveau les redoutables disques de Mozart et de Bach, de nouveau les couchers de soleil et les couchages inutiles, suivis des sempiternelles exégèses avec grandes consommations d’âme.
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Cette animale adoration, le vocabulaire même en apporte des preuves. Les mots liés à la notion de force sont toujours de respect. Un "grand" écrivain, une oeuvre "puissante", des sentiments "élevés", une "haute" inspiration. Toujours l'image du gaillard de haute taille, tueur virtuel. Par contre, les qualificatifs évoquant la faiblesse sont toujours de mépris. Une "petite" nature, des sentiments "bas", une oeuvre "faible". Et pourquoi "noble" ou "chevaleresque" sont-ils termes de louange? Respect hérité du Moyen Âge. Seuls à détenir la puissance réelle, celle des armes, les nobles et les chevaliers étaient les nuisibles et les tueurs, donc les respectables et les admirables. Pris en flagrant délit, les humains! Pour exprimer leur admiration, ils n'ont rien trouvé de mieux que ces deux qualificatifs, évocateurs de cette société féodale où la guerre, c'est-à-dire le meurtre, était le but et l'honneur suprême de la vie d'un homme! Dans les chansons de geste, les nobles et les chevaliers sont sans arrêt occupés à tuer, et ce ne sont que tripes traînant hors de ventre, crânes éclatés bavant leur cervelles, cavaliers tranchés en deux jusqu'au giron. Noble! Chevaleresque! Oui, pris en flagrant délit de babouinerie! A la force physique et au pouvoir de tuer ils ont associé l'idée de beauté morale!
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Elle aussi sans doute se savonnait en ce moment, pensait-il dans son bain. Enthousiaste de la voir bientôt, il ne pouvait pourtant s'empêcher de ressentir le ridicule de ces deux pauvres humains qui, au même moment et à trois kilomètres l'un de l'autre, se frottaient, se récuraient comme de la vaisselle, chacun pour plaire à l'autre, acteurs se préparant avant d'entrer en scène. Acteurs, oui, ridicules acteurs. Acteurs, lui, l'autre soir en son agenouillement devant elle. Actrice, elle, avec ses mains tendues de suzeraine pour le relever, avec son "vous êtes mon seigneur, je le proclame", fière sans doute d'être une héroïne shakespearienne. Pauvres amants condamnés aux comédies de noblesse, leur pitoyable besoin d'être distingués. Il secoua la tête pour chasser le démon. Assez, ne me tourmente pas, ne me l'abîme pas, laisse-moi mon amour, laisse-moi l'aimer purement, laisse-moi être heureux.
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Arrêtés devant le Kolhn's Restaurant, ils discutent puis de décident, entrent et s'attablent, leurs valises en sûreté entre leurs jambes. Resté dehors, il les contemple à travers la vitre et ses rideaux, contemple ses errants aux yeux langoureux, ses bien-aimés pères et sujets caressant leurs barbes et leurs passeports, tâtant leurs reins douloureux et leurs foies surchargés, tous extrêmement argumentant, mains agiles et pensantes. D'aigus regards percent, déduisent et savent, des doigts bouclent des barbes pensives, des nez computent, des sourcils supputent, des paupières baissées concluent. Rouges de vie sous la noirceur des poils, trop rouges et charnues, des lèvres s'écartent pour de résignés sourires de neurasthénique science, puis se referment, s'angoissent, combinent en se serrant, méditent, spéculent, ruminent, délibèrent cependant que des diamants circulent dans des papiers de soie.
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La lecture terminée, elle s'étendait sur le canapé, chassait de son esprit toutes préoccupations matérielles, fermait les yeux, se forçait à penser à leur amour afin d'être fluide et décantée, deux de ses mots favoris ; et toute à lui lorsqu'elle le reverrait. Sortie du bain, elle allait le retrouver, coiffée et parfumée. Alors commençaient leurs heures hautes, comme elle disait. Grave, il lui baisait la main, sachant combien leur vie était fausse et ridicule. Après le déjeuner, s'il sentait qu'il était devenu moralement indispensable de procéder à une union sexuelle, il lui disait qu'il aimerait se reposer un peu avec elle, car il y fallait des manières. Elle comprenait, lui baisait la main. Je vous appellerai
disait elle, une petite victoire dans le coeur, et elle allait dans sa chambre. Là, elle fermait les volets, tirait les rideaux, voilait de rouge la lampe de chevet pour faire lumière voluptueuse, peut être aussi pour neutraliser d'éventuelles rougeurs d'après déjeuner, se déshabillait, couvrait sa nudité d'une robe d'amour, sorte de péplum soyeux de son invention qui n'était mis que pour être enlevé, se refaisait une perfection, passait à son doigt l'alliance de platine qu'elle lui avait demandé de lui offrir, remontait le sacré gramophone, et l'air de Mozart s'élevait, tout comme au Royal. Alors il entrait, officiant malgré lui, parfois se mordant la lèvre pour maîtriser le fou rire, et la prêtresse en sa robe consacrée renflait ses muscles maxillaires pour se mettre ou se croire en état de désir. Mon sacré, lui avait elle dit un jour en le déshabillant doucement. Massacrée, lui avait il répondu intérieurement. Pauvre vengeance.
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... d'ailleurs vous pensez bien que si je suis revenue pour mon service ici, laissant ma pauvre sœur bien fatiguée encore, cinq médecines sur sa table de nuit, c'est pas pour la chameau Deume avec ses dents en dehors qu'on dirait la glissoire pour les enfants, la Poison comme jui dis entre moi et moi, soi-disant qu'elle prie pour vous, mais vous lançant des piques en perfidie avec des sourires, et se croyant une personne du grand monde, mademoiselle Valérie que j'ai servi chez elle presque vingt ans, ça oui c'était le grand monde, ayant connu la reine de l'Angleterre et lui ayant fait la révérence une fois par an que c'est un honneur, mais la Poison c'est rien du tout sans éducation, chassant pas la difference entre verre à bordeaux et verre à vin fin, c'est pas pour elle que je me serais dérangée de revenir et pas non plus pour le Didi, son fils chéri avec le nez en I'air quand il passe devant moi et son air de je suis le fils du pape, et ses guettes blanches grand orgueil qu'il se met au souyiers et ça le fait pas plus plaisant avec sa barbette, non ça serait à cause un peu de monsieur Hippolyte que c'est un agneau faisant pitié, et puis surtout à cause madame Ariane étant ma grande amitié que je suis revenue, parce que vous savez la Suisse moi c'est pas dans mon tempérament étant française parce que chez nous la France c'est varié il y a toujours du nouveau, tandis qu'ici la Suisse c'est la tranquillité ça fait monotonie, oui à cause madame Ariane ah oui on s'aime bien nous deux, je suis un peu sa petite maman pour de dire étant qu'elle est orpheline pauvre petite et il y a personne qu'elle aime autant comme moi, allez je vous garantis, pensez je l'ai vue bébé langes et tout, et puis en été y donnant des bains au jardin dans une seille avec I'eau chauffée au soleil pour la santé, quand je suis arrivée l'autre jour fallait voir comment qu'elle s'est jetée dans mes bras à peine descendue du taxi, enfin toute panouie de me revoir, ce qui me fait plaisir c'est que je l'ai trouvée changée, I'année dernière, avant donc de partir à Paris pour les gonfles de ma soeur, elle était triste des fois, parlant pas beaucoup, toujours à des écritures, pour moi c'était son mariage, le Didi la contentant pas peut-étre, vu que c'est pas un homme pour la femme, ah là là si vous aviez vu mon défunt, tout beauté, cent kilos d'homme, et des bras blancs que vous auriez dit une femme, tandis que maintenant. elle, grand changement, contente, changeante, ce matin pour vous dire, levée à bonne heure...
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Ô debuts, deux inconnus soudain merveilleusement se connaissant, lèvres en labeur, langues jamais rassasiées, langues se cherchant et se confondant, langues en combat, mêlées en tendre haine, saint travail de l'homme et de la femme, sucs des bouches, bouches se nourrissant l'une de l'autre, nourriture de jeunesse, langues mêlées en impossible vouloir, regards, extases, vivants sourires de deux mortels, balbutiements mouillés, tutoiements, baisers enfantins, innocents baisers sur les commissures, reprises, soudaines quêtes sauvages, sucs échangés, prends, donne, donne encore, larmes de bonheur, larmes bues, amour demandé, amour redit, merveilleuse monotonie.

O mon amour, serre-moi fort, je suis à toi purement toute, disait-elle. Qui es-tu, qu'as-tu fait pour m'avoir prise ainsi, prise d'âme, prise de corps?
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Par conséquent, du tact et de la mesure. Se borner à lui faire sentir que tu es capable d'être cruel. Cette capacité tu la lui feras sentir entre deux courtoisies, par un regard trop insistant, par le fameux sourire cruel, par des ironies brusques et brèves, ou par quelque insolence mineure comme de lui dire que son nez brille. Elle sera indignée, mais son tréfonds aimera. Lamentable de devoir lui déplaire pour lui plaire. Ou encore un masque subitement impassible, des airs absents, une surdité soudaine. Ne pas répondre par distraction feinte à une question qu'elle te pose la désarçonne mais ne lui déplaît pas. C'est une gifle immatérielle, une ébauche de cruauté, un petit plain-pied sexuel, une indifférence de mâle. De plus, ton inattention augmentera son désir de captiver ton attention, de t'intéresser, de te plaire, la remplira d'un sentiment confus de respect. Elle se dira, non, pas se dira, mais vaguement sentira, que tu es habitué à ne pas trop écouter toutes ces femmes qui t'assaillent, et tu seras intéressant. Il est parfait de courtoisie, pensera-t-elle, mais il pourrait être méchant s'il le voulait. Et elle savourera. Ce n'est pas moi qui les ai faites. Affreux, cet attrait de la cruauté, promesse de force. Qui est cruel est sexuellement doué, capable de faire souffrir, mais aussi de donner certaines joies, pense le tréfonds. Un seigneur quelque peu infernal les attire, un sourire les trouble. Elles adorent l'air démoniaque. Le diable leur est charmant. Affreux, ce prestige de méchant.
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