Sandrine Collette est une autrice dont j'aime lire les récits toujours très différents, même si mon ressenti fait souvent des yoyos émotionnels.
J'ai hésité avant de débuter cette lecture, peur d'être déçue, mais j'ai fini par me laisser convaincre par les billets d'ami.es babeliotes et les thématiques autour de la famille et de la reconstruction.
Attirée également par ce magnifique bandeau entourant la couverture dans lequel on peut voir un magnifique lac teinté d'un bleu froid rappelant les paysages canadiens. Cette photographie est comme un microcosme où les hommes isolés, égarés, survivent dans une nature sauvage, indomptable et sans pitié.
J'ai commencé cette histoire avec un soupçon de méfiance, mais tentée par ce voyage.
Puis petit à petit, s'est dessiné un tout autre voyage, plus intime dans lequel un homme part à la rencontre de lui-même et de son enfant.
Un voyage douloureux et bouleversant.
« … en ce temps-là
on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas de différence on était le monde. le chant des loups nous appelle parce que c'est notre chant et aussi loin qu'on puisse remonter il y a l'éclat d'un
animal en nous… »
*
Liam vit dans les montagnes, au milieu de nulle part avec sa femme Ava et son tout jeune fils Aru. C'est une vie dangereuse et solitaire qu'ils ont choisie, mais une vie qui correspond au tempérament de Liam.
Un jour, en rentrant de la chasse, il s'attend à trouver son fils jouant devant la maison, puis courant à sa rencontre, heureux de se jeter dans ses bras. Mais ce sont le silence et le vide qui l'accueillent.
En s'avançant dans la cour, le jeune homme découvre alors le corps sans vie d'Ava, lacérée par les puissants coups de griffes d'un ours. Sous son corps mutilé, Aru est indemne, sa mère ayant réussi à le protéger de l'
animal.
Commence alors un long périple initiatique, un combat intérieur dans un superbe décor où l'homme et l'enfant vont cheminer pour apprendre à s'apprivoiser, s'accepter, s'aimer.
« C'est le jour où elle est morte que j'ai compris que le monde sans quelqu'un pour qui on donnerait tout c'est l'enfer, et pour moi l'enfer c'est quand il n'y a plus de sens, où que tu ailles ça sonne creux. Quand c'est creux c'est vide ce n'est pas compliqué tu tends la main et il n'y a rien ni personne. »
*
C'est vraiment l'écriture de l'auteur, à la fois tendue, dense, sèche, voire bourrue qui m'a séduite et a participé à mon immersion dans le récit. Ce changement de style de
Sandrine Collette est saisissant au regard de ses autres romans et demande un peu d'attention au départ, mais on s'y habitue très vite, y trouvant même un rythme, une pulsation.
En effet, l'écriture sous forme d'un monologue s'est adaptée au sujet en s'allégeant des marques de la ponctuation, ce qui donne beaucoup de fluidité au récit. La lecture aurait pu en être allégée, mais au contraire, sans aucune respiration, les longues phrases participent à rendre le récit oppressant et inquiétant.
*
C'est un roman qui m'a accrochée par ses nombreux contrastes.
Tandis que le récit s'ouvre sur un environnement grandiose, hostile, sans cadre spatio-temporel,
Sandrine Collette choisit d'isoler ses personnages. Perdus dans cette immensité, leur monde fragile et instable vacille et le drame qui les touche nous enferme dans un huis-clos sombre et intimiste.
Mais l'histoire brutale, rêche, est traversée par des instants inattendus et bouleversants. Dans cette atmosphère chargée et âpre, c'est un peu comme si la lumière du soleil réussissait à pénétrer le feuillage des arbres, révélant la beauté intérieure de Liam, étouffée par le chagrin, la colère, l'impuissance et la sauvagerie.
« … il y a la colère et elle enveloppe tout, elle efface le reste. Ça fait des jours qu'elle monte à l'intérieur, je la vois venir et je suis incapable de l'arrêter. Ça fait des jours qu'elle me bouffe dedans. Je ne sais pas où la mettre et je la jette contre tout ce qui passe les arbres la roche le môme, je voudrais hurler pour dire que ça ne va pas seulement je ne hurle pas et ça reste au fond de moi et les dégâts sont immenses. »
Ainsi, la nature, avec ses nuances et ses reflets, est comme un miroir de l'âme humaine. Dans ce décor impitoyable, les montagnes et les forêts résonnent de cris et de silences intérieurs. Les hommes sont face à eux-mêmes, à la violence d'autrui, leurs liens sont ténus et la mort familière.
L'amour y est bien fragile, une toute petite flamme qu'un souffle de vent peut éteindre.
« Il n'y a pas de mots pour définir ce qui m'étreint et je me dis que c'est pour ça que je vis ici, pour toucher du doigt, du bord du coeur, le territoire sauvage qui survit en moi et à ces moments-là quand les loups hurlent dans la montagne je sais que je ne suis pas seul. »
Comme tout enfant, Aru idolâtre son père qui lui, ne sait pas comment l'aimer en retour. Car la vie n'a pas été tendre avec lui, car Liam n'a jamais appris à aimer. Alors, l'innocence, la douceur, la sensibilité et les silences de l'enfant se heurtent à l'irascibilité et au chagrin de ce père taiseux.
Sans filtre, les pensées de Liam m'ont touchée, remuée, secouée. Car elles sont violentes, douloureuses, choquantes, basses, inavouables.
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Comme dans tous ses romans,
Sandrine Collette malmène son personnage principal, le confrontant à son passé pour le mettre face à ses manques présents.
L'autrice dépeint, avec justesse et finesse, la complexité des relations humaines, de même que les émotions et sentiments qui habitent et tourmentent Liam, et de manière plus subtile ceux de l'enfant.
Entièrement centré sur Liam, l'autrice ne nous épargne rien de ses pensées, de ses peines, de son désarroi, de sa colère rentrée. On est dans son esprit et on y découvre un homme aux deux visages : sauvage, solitaire, maladroit, irascible, violent, on perçoit de manière plus discrète, toutes ses faiblesses, toute son inaptitude à tisser des liens avec les autres, à avoir de l'empathie, à aimer.
Et si, au départ, l'homme nous questionne, nous effraie, nous rebute, on se surprend au final à avoir de l'empathie pour lui et à être bouleversée autant par ses pensées que par ses actes.
En se demandant comment cet homme démuni peut arriver à s'occuper d'un enfant si jeune, si vulnérable et désarmé, l'autrice ne laisse d'autre choix au lecteur que de poursuivre cette lecture devenue à la fois prenante et éprouvante.
En cela, elle nous questionne sur les liens de sang, l'instinct paternel et l'amour filial.
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Ce que je retiens également, ce sont ces plans larges sur des paysages décrits de manière aussi grandiose et majestueuse que puissante et implacable.
J'ai aimé voyager avec eux, les lacs d'un bleu intense et les forêts qui prennent d'assaut les montagnes irradient d'une beauté froide.
Le soir, mon esprit s'unissait aux hurlements des loups avant que le silence ne s'installe tout doucement autour de moi. Quoi de plus beau que d'écouter leurs chants qui redéfinissent si bien la juste place de l'homme dans la nature, l'incitant à plus de respect et d'humilité.
Puis mon regard se posait sur Liam et son fils, chacun retranché dans un mutisme pesant et malaisant et mon coeur se serrait.
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Pour conclure,
Sandrine Collette surprend à nouveau ses lecteurs avec ce récit sombre piqueté d'éclats de lumière. En adaptant parfaitement fond et forme, l'autrice nous livre une intrigue surprenante et particulièrement touchante.
Un beau roman que je vous invite à découvrir.