Les amants de l'apartheid

Quant aux Noirs, comme lui, ils pouvaient rester s’ils avaient du travail, car c'était leur labeur qui leur conférait une certaine utilité aux yeux des Blancs. On leur fournissait des papiers d’identité, on prenait leurs empreintes digitales, on leur délivrait des laissez-passer et on les autorisait à travailler et à dormir en pays blanc quand on avait besoin d’eux. Pour le reste, ils étaient confinés dans le territoire tribal qui leur avait été dévolu, le homeland de KaNgwane, où résidaient leurs familles. Dans les villes blanches, Noirs et Blancs cohabitaient selon un système de relations symbiotiques, de rapports de maîtres à serviteurs, les uns pourvoyant aux besoins des autres et l'ensemble continuant à fonctionner tant qu'on le lui permettrait.

Tout le monde racontait de cruels mensonges dans son dos ! Elle ne comprenait que trop bien les chuchotements et autres provocations sournoises, maintenant... Car il n’y avait rien au-dessous d'une personne métisse. Même les Noirs les méprisaient.

Si nous ne réussissons pas à faire fonctionner l'apartheid de manière correcte et durable, nous serons submergés par une véritable marée de Noirs — ils se compteront par dizaines de millions. Nous serons expulsés de nos emplois, de nos maisons, de nos écoles et, pis que tout, de notre terre. Il n'est peut-être pas facile de faire vivre deux populations côte à côte sans qu'il y ait jamais d'interférence, mais nous voulons vivre comme nous l'entendons — non comme eux l'entendent. Or il n'y a qu'une seule façon d'y arriver: l’apartheid. C’est lui et lui seul qui nous permet de survivre en Afrique, et pour lui nous devons faire quelques sacrifices.

Elle considérait avec mépris les Blancs à la peau trop tendre et aux yeux trop pâles qui détalaient comme des termites pour aller se réfugier dans leurs nids de béton et de verre. Elle les avait tous visités, elle en connaissait le luxe climatisé, les moquettes épaisses, les meubles et les tableaux chics et les vasques pleines de Heurs fraîchement coupées; elle avait sillonné leurs couloirs en enregistrant tout ce qu'elle voyait et en esquivant toutes les tentatives de capture, comme un mulot entré par erreur dans une maison, jusqu'à ce qu'on fonde sur elle et qu'on la jette dehors.

Ne vous méprenez pas sur le sens de ce mot. Il ne s’agit pas de l’amour romantique comme dans les livres, ni même de celui qu’on porte à ses parents ou à ses frères et sœurs, mais de l’amour qu’on doit ressentir pour chaque minute de la vie, de la passion qu’on doit investir dans tout ce qu'on fait, qu'il s’agisse d'étudier à l'école, de jouer au football ou de balayer l'étable du patron. Aimez l'instant présent, car l'amour, c'est l'énergie. Servez-vous de cette énergie-là et vous ne pourrez jamais perdre.