Citations sur Le cerf-volant (227)
La vie doit être comprise en regardant en arrière. Mais il ne faut pas oublier qu'elle doit se vivre en regardant vers l'avenir. Kierkegaard
Elle raconte comment, dans l'état voisin du Kerala, les gens de sa condition devaient jadis marcher à reculons munis d'un balai pour effacer les traces de leurs pas, afin de ne pas souiller les pieds des autres habitants qui empruntaient le même chemin. Encore aujourd'hui, il leur est interdit de toucher les plantes et les fleurs, dont on prétend qu'elles fanent à leur contact.
Dans ce nouveau monde, elle a cru dissoudre sa peine - humaine tentative, pauvre rempart qu'elle a voulu opposer au malheur, comme on construit un château de sable au bord d'une mer déchaînée. La digue n'a pas tenu. Le chagrin la rattrape, lui colle à la peau comme ses vêtements trempés dans la moiteur d'été.
« Les enfants ont tout sauf ce qu’on leur enlève », écrivait Jacques Prévert – cette phrase l’a guidée durant cette odyssée, tel un mantra.
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Léna voit les enfants courir autour d'elle sur la plage. Ils jouent au ballon, au cerf-volant, défiant les vagues.Elle se surprendd à s'amuser, les plus jeunes entreprennent de l'éclabousser. Dans cette bulle hors du temps, elle se sent légère, ses pieds nus, ses jolis orteils dans l'eau, les cheveux au vent, le bonheur ressemble à ça.
Leur histoire n'était pas de celles qui inspirent les films bollywoodiens : il n'y avait pas de rebondissements, pas de péripéties, pas de grandes déclarations. Juste une tendresse infinie, une complicité de corps et d'esprit. Un bonheur fait de mille petits riens, qui ne craint pas l'épreuve du quotidien mais s'en trouve renforcé. Un amour au long court.
Un amour, tout court.
Elle aimait l’effervescence de la reprise après les longues vacances d’été. L’odeur des protège-cahiers lisses et neufs, les crayons, les feutres venant gonfler le cuir souple des trousses, les agendas immaculés, les tableaux fraichement nettoyés lui procuraient une indicible joie, la certitude réconfortante d’un éternel recommencement. Elle se revoit à la maison, dans les couloirs du collège, active, empressée. Le bonheur était là, tapi dans ces infimes instants du quotidien, dont la régularité lui offrait le sentiment d’une existence immuable, protégée.
L’avenir d’une gosse de dix ans ne les intéresse pas. Le sort des filles n’émeut personne. Elles sont abandonnées de tous, illettrées et asservies, dans ce pays qui ne les aime pas. Voilà la vérité. Voilà l’Inde, la vraie, conclut-elle. Celle qu’aucun guide touristique n’osera lui raconter.
- Tu as le feu sacré, avait dit l'un de ses professeurs à l'université.
Si Léna reconnaît que ces années d'enseignement ont érodé son ardeur et son énergie, ses convictions restent inchangées : l'éducation comme arme de construction massive, elle y croit.
La tendresse de Lalita est un baume, un onguent, quelques grammes de douceur face au tumulte du monde, qui viennent adoucir sa peine, alléger ses tourments.