Pendant ces heures de tourmente où tout l'héroïsme se dresse contre toute la barbarie, la musique parait être une chose bien petite et assez compromise, une « lampe dans le vent», comme disaient les scolastiques pour définir l'homme. Le goût des Beaux-Arts a pour domaine la région des sentiments désintéressés. Loin de la lutte pour la vie, on éprouve une sorte de pudeur à se laisser distraire de la seule beauté dont le culte soit en ce moment permis, le culte de l'action.
Liszt a écrit plus de douze cents compositions ; le drame lyrique est le seul genre qu'il n'ait pas abordé. Son oeuvre a une variété aussi déconcertante que sa vie. Cet homme singulier, fils d'un Hongrois et d'une Allemande, qui n'eut pour ainsi dire point de patrie et vécut à Paris, à Genève, à Londres, à Weimar, à Pesth, à Rome toujours sur les grands chemins de l'Europe, allant d'un nouvel amour à — un nouveau triomphe, cumulant tous les titres honorifiques gentilhomme de la chambre à la cour de Weimar, docteur de l'université de Konigsberg, président de l'Académie de Hongrie... — et qui, sur une soutane d'abbé, pouvait ceindre un magnifique sabre offert par les Hongrois enthousiastes, cet homme dont la gloire fit un demi-dieu, fut, en musique, l'artiste universel.