Parmi les autres, qui se contentent d'observer Judith, il y a Damien.
C'est le seul qui la connaisse d'avant, le seul à avoir eu avec elle des relations un peu personnelles.
Cela remonte à loin. À leur adolescence. Aux années de l'immédiate avant-guerre, ce temps des sacs à dos, des auberges de la jeunesse, des tandems sur les routes, si loin !...
Ils venaient d'être reçus, elle à l'École normale d'Institutrices, lui à l'École normale d'Instituteurs. Les jeudis, les dimanches, on sortait en bande. Peut-être même y a-t-il eu entre eux, on ne sait pas, un commencement de flirt...
Or, voilà bien la vie: Judith n'a pas reconnu Damien.
Elle a quelques excuses: il ne doit plus guère se ressembler. Pas brillant, Damien. Le doux alcoolique un peu parti à la cloche: à mi-pente. Il le voit bien lui-même. Il encaisse. Il a l'habitude . Elle ne l'a pas reconnu. Ou pas voulu. Très bien!...Ce n'est pas lui qui fera le premier pas. Il reste à sa place.
Sa place de " localiser ", de très obscur fantassin de la rédaction.
À la libération, l'instituteur Damien commandait le corps franc qui a chassé les allemands retranchés dans le vieux bâtiment de L'Éclair. Il y est resté. Il a commencé au service politique, mais s'est retrouvé assez vite ( son peu d'ambition, la boisson déjà...)
aux informations régionales. Depuis trente ans il fait les chiens écrasés. C'est le grand connaisseur de tous les petits secrets du département.