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3,87

sur 1295 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le capitaine Marlow est chargé de récupérer Kurtz, un chef de poste en Afrique équatoriale. Après une longue remontée du fleuve Congo sur un vieux vapeur rouillé il trouve l'homme moribond. Celui-ci, devenu le gourou d'indigènes dont il se sert pour collecter l'ivoire, ne tarde pas à mourir, mais Marlow reste fortement impressionné par ce philanthrope qui a basculé et s'est mué en tyran sanguinaire.

Rencontre avec le mal, rencontre avec un homme civilisé qui n'était pas préparé à la vie sauvage, primitive et fabuleuse de l'Afrique, Au coeur des ténèbres n'est pas une charge contre le colonialisme mais une réflexion sur le côté obscur de l'homme prêt à émerger à tout moment. Un livre sombre, envoûtant et indélébile.
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Difficile d'ajouter ses pauvres "nouveaux" mots aux somptueuses & érudites critiques de nos amis d'ici : celle de Woland [pionnière en novembre 2012] m'épatant tout particulièrement ! (Mon Dieu, quel boulot et quelle culture... ). Citons aussi le bel éclairage d'ordreterne [février 2016], et sa flamboyante conclusion ! le Mythe vivant.

Eh bien, si "Heart of Darkness" (écrit en 1899, publié pour la première fois en 1902) est invariablement découvert par tant de générations de lecteurs (grâce au "bon" Francis Ford Coppola, "son" Vietnam et sa "Chevauchée des Walkyries"), on ne s'en plaindra pas ! Car l'odyssée de l'aventurier Marlow remontant le fleuve Congo (jusqu'aux sources d'Humaine Barbarie) est toujours aussi hallucinante ; le vapeur pourri, rafistolé, reprenant sa route jusqu'à ce que le dinosaure de métal et de bois vermoulu s'immobilise sous les sagaies des assaillants et les pièges de la brume grise... Un parfum d' "Aguirre la colère de Dieu" [1972] de Werner Herzog, avec le regard halluciné de l'acteur "fou" Klaus Kinski au milieu du fleuve, face à la jungle... Puis la nuit complète, enfin... L'apparition de Kurtz mourant, âpre aventurier trafiquant d'ivoire entièrement "passé à la sauvagerie"... sa disparition presque anonyme sur le vapeur qui repart... le retour européen de Marlow qui veut rencontrer la fiancée du "sauvage"...

On se demande un peu pourquoi tant d'autres romans - pourtant également fameux - de l'ukraino-polono-brittanique Joseph Conrad n'ont pas eu la gloire française de "Heart of Darkness", sombre tragédie d'allure shakespearienne (moderne) sous forme de court roman : et je pense particulièrement aux "jeunes" romans de sa quarantaine : "The Nigger of the Narcissus" - le Nègre du Narcisse" (1897) et "Lord Jim" (1900) ou même au "Nostromo" (1904) qui gardera la tonalité de ce "coeur des ténèbres"... (cité dans le très noir "Alien" de Ridley Scott : Nostromo étant le nom de baptème du navire-cargo spatial en route vers la "mauvaise "planète...)

Et je pense aussi à "Sous les yeux de l'Occident" (son énorme et passionnant roman "russe" tardif, paru en 1911, travail de trois années qui le laissa complètement exténué... ) ou encore au mélancolique "The Shadow Line" (1916) - "La Ligne d'Ombre" qu'adapta brillamment Andrzej Wajda pour la télévision polonaise.

Et vous savez quoi ? Mais vous le savez déjà... Joseph Conrad avait longuement "vécu" (bourlingué sur les mers du globe, de 1875 à 1894) avant de commencer à écrire et publier... "Petit détail" qui contribue fortement au réalisme des situations et peut expliquer le pessimisme (structurant) de ses "récits" : si peu d'espoir placé dans l'espèce humaine... Expliquant aussi les personnages-relais (marins, capitaines) de la pensée de l'auteur... Expliquant enfin - selon nous - l'exigence et la grandeur de son art littéraire, d'une extrême modestie de forme et ne s'encombrant pas de "faire littéraire" (un peu "L'Ecole Simenon" avec le vécu périlleux d'un Antoine de Saint-Exupéry).
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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Qui dit "Au coeur des ténèbres" dit désormais "Apocalypse Now". L'un ne va plus sans l'autre.
A l'instar de Blade Runner - qui est un des rares films à avoir su à ce point transcender un roman - Apocalypse Now est certainement une des meilleures adaptations cinématographiques réalisées à ce jour.
C'est celle de cette longue nouvelle de Joseph Conrad - ancien marin devenu écrivain -, qui inspira autant Orson Welles que Robert Silverberg.
Si Apocalypse Now est un chef-d'oeuvre, c'est d'abord pour la pertinence de sa transposition (Au coeur des ténèbres est une allégorie anthropologique de la descente aux enfers psychologique. Un enfoncement progressif et inéluctable dans les parties les plus sombres de l'âme. Par ses perpétuels contrastes visuels, l'oeuvre révèle des zones de lumière effrayantes, tout autant que splendides).
Ensuite bien sûr pour la peinture de ces époques qui atteignent sans broncher les tréfonds de la sauvagerie (mais qui sont les vrais sauvages ? le film de Coppola préférera la sauvagerie de la guerre du Vietnâm à celle de la domination colonialiste, mais peu importe. Same player, do it again).
Enfin également pour le seul spectacle opposant le sombre au clair, le noir à l'aveuglante lumière. Au coeur des ténèbres/ Apocalypse Now est un 'tableau' dans les multiples acceptions du terme. le film, bien sûr, qui décline un clair-obscur démesuré, un feu d'artifice de contrastes. Mais le livre tout autant.

Pour l'histoire du court roman de Conrad, elle est assez simple : un jeune officier de la marine marchande est envoyé au coeur du Congo belge, à la recherche d'un collecteur d'ivoire dont on est sans nouvelles. A priori une mission sans saveur.
Ce sera une plongée en enfer.

L'intérêt de ce récit ? Retenons le génie narratif. Rarement un récit d'horreur pure aura autant pris les traits du récit d'aventures.
Ici tout est gluant, la jungle isole son héros du monde civilisé en même temps qu'elle brise les illusions de ce jeune idéaliste au fur et à mesure qu'il remonte le bras de ce fleuve noir. le monde, d'un ennui mortel, ne paraît beau à voir que dans les flammes. Voilà ce qu'il ne peut s'avouer.
Rarement autant de thèmes si ardus à traiter (la folie, la barbarie, la sauvagerie, l'oubli de soi, l'arrogance colonialiste, la réclusion dans des idéaux flous et hypocrites) auront su trouver un écho aussi lumineux.
Au coeur des ténèbres est un chef-d'oeuvre inspirant un chef-d'oeuvre. Il relève non plus de la littérature, mais du mythe. Il ressemble à l'un de ces récits que devaient se faire les Dieux entre eux le soir au coin du feu pour se faire peur. Et dont l'homme est le héros.
"La lumière, la lumière, la lumière". Voilà comment se terminait le leur.

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Très beau récit d'aventure et réflexion sur le colonialisme. Quelle est la part du sauvage et celle du civilisé en chacun ? On entre vraiment dans "le coeur des ténèbres" en pénétrant dans la forêt congolaise pillée par les Blancs.
Chef d'oeuvre d'écriture avec en plus, dans la collection biblio,des notes qui éclaircissent les mots anglais et les rapports du personnage Marlow/Conrad.
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Au coeur des ténèbres, librement adapté par Stéphane Miquel (scénario) et Loïc Godart (dessin) du roman de Joseph Conrad, éditions du Soleil, collection Noctambule, 104 pages, 17,95 €, à partir de 15 ans

Quand il était petit Charles Marlow voulait découvrir les espaces vides des planisphères. Après plusieurs expéditions, il restait un grand espace vierge en Afrique et Marlow mit tout en oeuvre pour s'y rendre. C'est ainsi qu'il rejoint un comptoir colonial au coeur de l'Afrique et qu'il découvre la population en esclavage, le trafic d'ivoire, la cruauté des Blancs et le personnage fascinant et mystérieux de Kurtz.

L'avis de Vianney, 16 ans : C'est une BD assez difficile avec sa violence et son dessin très sobre, mais à la fin, comme le personnage, je pensais à "l'horreur". 

L'avis de la rédaction : Une belle adaptation du roman de Joseph Conrad. J'ai particulièrement été sensible à l'esthétique de cette BD avec l'évolution chromatique au fil du récit.
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Tout le monde, à part peut-être les ermites ou les habitants du Tadjikistan, connait le chef d'oeuvre de Francis Ford Coppola, le fabuleux, l'incontournable, le majestueux, Apocalypse Now. Mais peu, ou en tout cas beaucoup moins, ont lu l'ouvrage dont s'est inspiré le réalisateur américain pour faire son film. Etant un des groupies de ce film, il fallait que je m'attaque tôt ou tard au livre de Joseph Conrad. C'est chose faite.

Dans Au Coeur des Ténèbres, point de guerre du Vietnam, logique, étant donné que le live a été écrit au tournant du XXe siècle, place ici à l'univers colonial africain.
L'histoire débute à Londres où Marlow, un marin britannique raconte son expérience coloniale, de découverte de l'Afrique à ses camarades. Tout jeune, alors Officier de la marine marchande, désireux de vivre l'aventure, il est recruté par une compagnie belge pour retrouver un dénommé Kurtz, receleur d'ivoire perdu au fin fond de l'Afrique, décrit comme un génie par ses semblables, mais qui se révèlera plutôt instable. Pour cela il devra remonter le fleuve, et s'avancer dans l'inconnu, le fleuve d'ailleurs, un personnage à part entière dans le roman, représente parfaitement cette route vers la folie que prend Marlow. Plus il avance, plus il se rapproche de sa destination, plus ce qu'il vit devient mystérieux.

Pour moi, Joseph Conrad développe principalement deux points dans son récit. Une description (plutôt classique assez très bien faite) de l'enfer colonial et une description de la nature humaine, ainsi que la folie qui lui est liée.

L'enfer colonial tout d'abord, que découvre très rapidement Marlow dans une station coloniale et au fil de son parcours qui le mènera jusqu'à Kurtz. Il constate la violence, la dureté, l'âpreté de la vie dans ces colonies africaines, notamment de par la farouche nature qui ne compte pas se laisser dompter par l'homme.
Mais c'est aussi un lieu où tout le monde semble perdu et déambule sans but tel des morts vivants, et où les agissements échappent à la règle de la logique (Mention spéciale aux emplois fictifs de surveillants de route imaginaire). La colonie, c'est aussi un lieu de perdition.
L'univers colonial, c'est également un endroit d'incompréhension entre le colon et le colonisé, comme si chacun était une anomalie pour l'autre. L'incompréhension de deux mondes différents. Conrad qui d'ailleurs n'évite pas de taper comme il faut sur les colonisateurs, et cet esclavagisme, qui sous couvert d'une mission civilisatrice, permet aux colons de légitimer toutes les ignominies sur des peuples jugés inférieurs. J'ai d'ailleurs noté une version un peu caricaturale des autochtones, volontaire sans doute…

Mais c'est bien la nature et la folie humaine qui restent pour moi au coeur du roman de Joseph Conrad. Folie qui s'incarne d'ailleurs parfaitement dans le personnage de Kurtz, ce brillant individu qui a sombré dans la démence de l'hybris, cette folie de se croire tel un dieu. Grande déconvenue d'ailleurs que sera cette rencontre entre les deux hommes, Marlow attendant beaucoup de celle-ci, ayant entouré de mysticisme la personne de Kurtz, constatant dans quelle déchéance celui-ci est tombé, dans les plus bas instincts de l'humanité, où la violence est reine, et les instincts animaux prédominants.
Serait-il aussi pour Conrad une parfaite métaphore de la folie qui assaille chaque individu, comme si cette dernière était présente en chacun de nous, faisait partie de nous et ne cherchait qu'une occasion pour prendre le dessus ? Après tout, Kurtz n'était-il pas un homme comme les autres ?
Ici, la nature sauvage, le milieu hostile dans lequel vivait Kurtz a peut-être contribué à son changement de mentalité, l'homme serait-il affaibli dans un environnement qu'il ne connait pas ? On pourrait même avancer le fait qu'un individu plus « compétent », plus « intelligent » que le commun des mortels, serait aussi plus susceptible de sombrer dans la démence qu'un individu lambda ? Peut-être que le sentiment de se croire supérieur n'en serait alors que plus fort et la marche vers la folie plus simple à atteindre ? Etant moi-même médiocrement doté, je ne peux pas répondre à cette interrogation.
Ce qui est "sûr", c'est que pour Conrad, l'homme pur n'existe pas. L'âme humaine est définitivement sombre.

Pour autant, ce livre, c'est aussi un écrivain, et un style à part entière.
Au Coeur des Ténèbres est un livre étrange, complexe, d'abord rebutant, en découvrant le style assez atypique de Joseph Conrad. Ainsi, comme pendant ma lecture de la Route de McCarthy dans un genre très différent, je me sentais au départ quelque peu extérieur au récit, voire perdu, mais après un effort d'adaptation, le style de Joseph Conrad, doté d'un certain lyrisme, d'une plume sublime, devient rapidement accrocheur, saisissant, et finit par te prendre aux tripes et ne plus te lâche plus jusqu'à la fin. En somme, un style qui te ronge.
De plus, cette écriture singulière permet de développer une ambiance magistrale, tantôt oppressante, tantôt mystérieuse, mystique, laissant travailler l'imagination du lecteur. Une atmosphère, une immersion rarement atteinte dans un bouquin (enfin, je parle de mon expérience).
C'est peut-être la marque d'un grand roman écrit par un non moins grand écrivain ?

Une claque.
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Ce qui est intéressant chez l'auteur, c'est de savoir que c'est un polonais et que sa langue pour écrire est l'anglais (un anglais recherché, alors même qu'il n'y avait pas de radios et etc à l'époque). C'est déjà une sorte de mystère.
Ensuite l'épisode qui m'a le plus marqué, en mettant à part qu'on ressent très fort la peur associée à la découverte d'un nouveau monde encore ignoré, comme sûrement tous les conquérants de mondes inconnus la ressentent au début, c'est celui qui raconte qu'une famille autochtone met 6 mois à ramasser (tous ensemble) du caoutchouc naturel en espérant un bon salaire de leur labeur et qu'ils ne reçoivent en retour qu'un petit bout de tissu. Ce qui arrive trop souvent lorsqu'on n'a pas les moyens de protéger ses droits, soit à cause d'une ignorance, soit parce que l'autre ne se sent pas obligé d'être honnête car pas menacé (oignez le vilain il vous poindra, poignez le vilain il vous oindra... et ça semble parfois aller trop loin). Une erreur à la source de tous les conflits. Une tentation sûrement, mais qui n'encourage pas au travail les gens honnêtes, en tuant leur espoir. Vive le commerce équitable des deux côtés. Je ne pense pas qu'il y ait du racisme à ce phénomène, juste une faille exploitée, ce qui arrive. Mais si nul ne fait attention, certains finiront crucifiés, car les rancoeurs accumulées nourrissent un ressentiment qui un jour ou l'autre déborde, à moins que l'on ne sache s'expliquer et changer avant. Mais malheureusement, comme on le dit, la foule est silencieuse. Et si un jour elle s'exprime, c'est souvent qu'il est déjà un peu tard.
Pourtant les accusés ne sont pas toujours les coupables, et il vaudrait mieux prévenir que guérir. Mais comment s'expliquer?
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voila un livre magnifique et terriblement âpre..inutile de dire que c'est le genre de livres qui vous saisit et ne vous lâche jamais vraiment....
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Conrad n'est pas reconnu en France pour ce qu'il est : un immense auteur. À cela deux raisons qui trouvent paradoxalement leur origine à la même source : les hommages que lui ont rendu d'une part André Gide et d'autre part Francis Ford Coppola et qui masquent son Oeuvre. Gide est le traducteur de Typhon et pendant longtemps cet ouvrage a été considéré, pour cette raison, comme représentatif des productions de Conrad, ce qu'il n'est pas complètement. Pire, Typhon a été un titre phare de la bibliothèque verte : il n'en fallait pas plus pour catalogué Conrad dans les rubriques : auteur de voyage et auteur pour enfant. La première est réductrice, la seconde carrément fausse. Quant au film Apocalypse Now qui s'inspire d'Au coeur des ténèbres, il crée une attente chez le lecteur y étant parvenu par ce biais que le texte ne pourra combler : ce n'est pas un récit guerrier, on ne s'y moque pas de la société du spectacle, il n'y a pas d'histoire d'amour (comme dans la version longue)... par contre, il y a le fleuve et Kurtz. En ce sens, la fin du film de Coppola est assez fidèle à l'esprit de la seconde partie de la nouvelle. La première, où les marins s'ennuient en remontant sur Londres alors que le vent est tombé n'est pas traitée. Et la troisième partie, magnifique, qui montre le gouffre entre la fascination pour le mal ressentie au coeur de l'Afrique et la superficialité de la société anglaise est chuintée tout autant. À lire sans a priori et si possible d'une traite ! Quel expérience !
Lien : https://www.tristan-pichard...
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Marlow au Congo... ce roman court de Conrad est un incontournable de la littérature anglaise contemporaine, non pas un classique scolaire, mais une oeuvre visionnaire issue de l'observation des transformations de son époque, au même titre que les fameux romans d'Orwell. Écrit à la toute fin du 19ème siècle, on y trouve évoqués des thèmes importants du 20ème siècle.
Comme l'a très justement fait remarquer LaLo, le récit est un subtil enchevêtrement de réalité et d'aventures, de cauchemars. La part du réel est imposante: Conrad l'a fait, cette remontée du fleuve Congo, sur un vapeur fantomatique (le Roi des Belges), pour chercher l'agent Georges Alain Klein de la compagnie d'exploitation du Congo, lequel est mort sur le chemin du retour; si l'on tient compte de l'enfance dans les Bouches-du-Rhône de l'auteur, on parlera simplement d'un récit autobiographique à la marseillaise ! Et il l'a vu, la colonisation façon Léopold, pas celle prônée par Livingstone, modèle de la société victorienne, qui ajoutait toujours au C du commerce, ceux de christianisation et de civilisation. On parle de la boucherie de l'État Indépendant du Congo, d'une conquête à la rapacité convertible en massacres, d'une dizaine de millions de morts parmi les populations indigènes entre 1888 et 1908, barbarie dénoncée à travers l'Europe en son temps.
Le romancier n'a pas attendu les conclusions européennes (il les a plutôt influencées) pour voir la réalité en face. Soit : une entreprise qui respecte moins les vies humaines que les revenus qu'elle en tire, des exactions terribles au titre du profit, une maximisation des bénéfices par les biais les plus abjects. Aujourd'hui on dit "mondialisation". Et, à travers elle, les hommes les plus "civilisés" perdent leur contenance, leur retenue, leur raison; la chaleur, les moustiques, la jungle les coupent de la réalité telle qu'ils l'ont connue jusqu'alors.
Marlow possède une capacité rare pour l'époque à se mettre à la place des populations autochtones, on peut rapprochée sa démarche du décentrement anthropologique de Lévi-Strauss, et l'on ne trouve pas dans son discours d'affirmation de la supériorité de la civilisation européenne sur les autres, du moins, pas plus que l'homme armé d'un fusil n'est supérieur à celui muni d'une pierre.
La confusion des ténèbres au dehors avec celles que renferment les âmes, ainsi que le caractère creux avoué du personnage dont on cherche à percer le mystère, propos centrale, sont autant d'anticipations sur l'existentialisme tel que Sartre le formulera.
Mais ce qui m'amène à penser que ce récit est véritablement prophétique, c'est la figure de son anti-héros: un orateur spécialement doué, artiste n'ayant pas connu le succès, parti dans une quête de reconnaissance, le coeur plein de nobles aspirations, que l'exercice d'un pouvoir qui le dépasse va faire basculer dans l'occultisme et la barbarie.
On a dit qu'Hitler avait copié Léopold, dont il admirait l'emploi de la manière forte dans l'entreprise (racistement légitime) de colonisation, au profit de la grandeur de son pays. Avait-il lu Conrad ? Connaissait-il Kurtz ? S'est-il senti lui-même comme une baudruche remplie de folie et d'horreur ?
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