L'erreur de Jim n'est pas tant d'avoir sauté que de ne pas avoir accepté ce saut. Cela va engendrer une culpabilité en lui, un besoin inassouvi de rédemption. Il s'est en effet enfermé dans un personnage imaginaire, précisément celui qu'il n'était pas : ne pas accepter le saut du Patna, c'est ne pas accepter sa lâcheté. La conscience de l'échec du Patna ne sera pas le résultat d'un processus intellectuel, mais est ressentie, comme un péché originel désormais intégré à l'état de l'homme. Nouvel Adam, Jim va errer géographiquement pour tenter de cacher la faute et de correspondre, par ce que lui renvoie son entourage, à ce qu'il n'est pas.
Son moi idéalisé a engendré un moi divisé insupportable. Il est victime de sa propre imagination. Il est bien en quête d'une transcendance éthique, mais son caractère est bien incapable de l'assumer. Ne pouvant être à la hauteur de son propre sens de la transcendance, n'ayant pas de rédemption extérieure à lui-même, il se retrouve acculé à la mort. Pour se sauver lui-même, il se donne la mort. Ainsi, l'acte instinctif de Jim, celui de sauter, révélant une faille de caractère, aura déterminé sa vie entière, jusqu'à la mort, dans une sorte de conflit intérieur, un cercle vicieux, sans rédemption, sans issue dans lequel le héros s'enferme.
Commenter  J’apprécie         00