AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,02

sur 533 notes
Polonais né en Ukraine, Joseph Conrad parlait couramment l'allemand et le français mais écrit en anglais. Capitaine dans la marine marchande britannique, il abandonne sa carrière pour écrire. Lord Jim est un jeune homme plein de nobles pensées qui faillit en abandonnant les pèlerins à leur sort lors du naufrage du bateau qui les transportait. Schéma narratif complexe et plein de digressions qu'il appelle « vision oblique », des aventures d'un personnage torturé par sa conscience.
Commenter  J’apprécie          00
Après avoir lu Typhon, du même auteur, roman court et efficace qui m'avait passionnée, j'ai voulu connaître ce must de la littérature anglaise qu'est Lord Jim.
Mal m'en a pris ! Je me suis forcée à lire ce bouquin jusqu'au bout, mais quelle épreuve : je n'ai pas accroché à l'histoire, je n'ai rien compris aux différents personnages, ni qui était l'interlocuteur du moment, le récit est confus, les commentaires inutiles, et les commentaires sur les commentaires plombants.
Dommage.
Commenter  J’apprécie          30
« Je suis voué par le destin à ne jamais le voir nettement ; mais je peux vous affirmer que nul homme n'aurait pu être moins que lui « à la similitude d'un cadavre » comme l'avait dit ce prophète de malheur de métis. »

Qui est donc ce Jim ? Et pourquoi alors que j'avais jusqu'alors apprécié les romans de Joseph Conrad au point de les trouver hypnotiques, ai je trouvé celui ci soporifique ?

Qu'est ce qui m'a posé problème dans cette histoire d'un lâche marin qui bénéficiera du titre de Lord que par les autochtones d'une ile de Malaisie lui servant de rédemption après avoir abandonné en tant que capitaine en second un bateau rempli de pèlerins ?

Aprés une rapide comparaison avec les titres que j'avais précédemment aimé, je pense que la réponse est bêtement arithmétique : il y a trop de pages. Ce n'est pas la qualité d'écriture qui reste admirable, c'est bien la construction de l'histoire qui semble gonfler ce qui aurait pu être qu'une nouvelle ou un court roman. le récit s'attarde sur la longue descente aux enfers de Jim jusqu'à son acceptation d'une sentence finale. L'exact opposé du portrait littéraire du capitaine MacWhirr de « Typhon » à mon gout.

Le récit se concentre sur l'analyse de la psyché du pusillanime Jim dans l'attente de l'événement qui le confrontera à son destin. Un entomologiste même se penche dessus et lui offre un échappatoire après divers actes manqués. Malgré la seconde partie plus dynamique et le fait que c'est le marin Marlow du « Au coeur des ténèbres » qui est le narrateur, j'avoue avoir compté les pages .
Commenter  J’apprécie          30
Ce livre fut l'une de mes toutes premières lectures issues de la littérature britannique. Ce livre ne m'a pas vraiment emporté, mais je dois reconnaitre que le texte et l'intrigue sont tous deux de très bonne facture.

Nous suivons ici l'histoire de Jim. Ce marin subit un déshonneur après avoir abandonné un navire et - on pense - tué un homme, persuadé que ledit navire allait couler alors qu'en fait, il n'en était rien. Jim finit ainsi déshonoré et part dans un endroit reculé pour repartir de zéro.

Ce récit permet une bonne critique sociale et propose un nouveau type de figure héroïque. le récit a une certaine variation dans son rythme, notamment dans un ou deux moments épiques. Cependant, une partie du récit est rapportée, on a divers éléments qui viennent selon moi casser le rythme, d'où ma vision relativement critique de ce livre qui devrait néanmoins, je pense, intéresser certains lecteurs.
Commenter  J’apprécie          00
On sent planer une ombre diabolique sur ce roman méandreux, aux superbes descriptions, mais dominé par la présence du Diable, personnifié par certains personnages, mais qui vit également, à mon sens, dans la culpabilité de Jim, éternel ressasseur d'une occasion manquée, obsédé par une volonté de se racheter. Immense roman, immense romancier, par certains points il m'a fait penser à Diadorim, de Guimaraes Rosa, par le caractère conté, mais aussi par la présence diffuse du mal, d'un mal qui fleurit dans l'imprécision, dans le doute, dans le conflit obscur d'un coeur mélancolique.
Commenter  J’apprécie          60
J'ai commencé à le lire, mais je n'ai pas accroché. Je n'aime pas du tout ces guillemets à l'intérieur des guillemets, on est perdu, on ne sais plus qui parle et de qui on parle. Sans compter qu'il y a de multiples périphrases pour désigner un même personnage, ce qui est normal puisque le rôle du narrateur passe d'un personnage à l'autre, mais c'est sans prévenir et on est perdu.

A contrario, l'auteur fait dire un même juron, invraisemblable (« par Jupiter ») par deux, peut-être même trois personnages extrêmement différents, n'ayant aucun rapport.

Je n'ai pas compris le schmilblic, j'ai laissé tomber.
Lien : https://perso.cm63.fr/node/303
Commenter  J’apprécie          10
LORD JIM de JOSEPH CONRAD
Jim est un jeune officier de marine, très romantique, se pensant brave et rêvant d'aventures. Mais confronté au réel ses rêves vont se briser. Lieutenant sur le Platna, il pense que le navire va couler rapidement et avec le Capitaine il va quitter le navire abandonnant plusieurs centaines de passagers. le navire n'ayant finalement pas coulé, les passagers secourus, il assumera seul sa responsabilité. Marqué à vie par cette faute, il va aller d'un boulot à l'autre sur les ports jusqu'à ce que quelqu'un mentionne l'aventure du Platna, et il fuira un peu plus loin. C'est Marlow qui nous conte son aventure et c'est Marlow qui, assistant à son procès dans lequel Jim perdit sa license de navigation, se prendra d'amitié pour Jim et l'aidera à trouver un travail aux Célèbes en Indonésie.
Jim écartelé entre ce qu'il pense être et ce qu'il est, incurable romantique, va suivre un chemin pénible où rien ne lui sera épargné malgré l'aide bienveillante de Marlow et seule la mort le libèrera.
On retrouve dans ce livre envoûtant le même schéma narratif que dans « Au coeur des Ténèbres » avec le même Marlow conteur et des retours en arrière permanents.
Ce roman paraîtra d'abord sous forme de feuilleton autour de 1900 et fait partie d'une trilogie comprenant Jeunesse et Au coeur des Ténèbres.
Un des meilleurs Conrad pour moi et belle adaptation cinématographique avec un Peter O'Toole flamboyant!
Commenter  J’apprécie          00
Bizarrement, quand on évoque les grands écrivains de l'ère victorienne, et spécialement les auteurs de romans d'aventure, on trouve facilement les noms de Stevenson, de Conan Doyle ou de Wells, à la limite de Rider Haggard, un peu moins connu chez nous, mais on ne pense pas à y associer Joseph Conrad. Etonnant, non ? Pourtant, né en 1857 et mort en 1924, il est tout à fait leur contemporain. Les curieux - et je sais que vous en êtes (curieux, bien sûr) - se posent la question. J'y vois pour ma part deux ou trois explications (elles valent ce qu'elles valent, je n suis pas un historien de la littérature, seulement quelqu'un qui lit, comme Jean-Claude).
D'abord Conrad n'est pas Anglais d'origine. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour un Anglais ça veut dire beaucoup... D'ailleurs, ils ont mis du temps à le reconnaître, ce n'est qu'en 1913 qu'il rencontre son premier succès commercial britannique, "Chance", il avait déjà écrit tous ses grands romans (Le Nègre du Narcisse - 1897, Au coeur des ténèbres - 1899, Lord Jim - 1900, Typhon - 1903, Nostromo - 1904) bien accueillis par la critique mais boudés par le public. Ensuite, ses romans sont cosmopolites, se passent tout autour du globe (souvent en mer, d'ailleurs - oui je sais "en mer d'ailleurs" c'est pas très joli, mais c'est pas ma faute s'il y a plus de bateaux sur la mer que sur les montagnes). Enfin, les héros "conradiens" n'affichent aucune des vertus britanniques traditionnelles, bien au contraire, ils sont souvent complexes, désabusés, se cherchent un but, et leur courage, souvent réel, est parfois plus désespéré qu'autre chose.
Lord Jim, justement, est un héros "conradien". Il passe sa vie à expier une faute commise au début de sa carrière (il a laissé couler un bateau plein de passagers). Torturé par la culpabilité, il est écartelé entre ses envies d'héroïsme et la paralysie qui le prend au moment de l'action. C'est un profil psychologique particulièrement tourmenté, qui fait de Lord Jim un antihéros, et de Conrad un maître du roman d'analyse, doublé d'un maître du roman d'aventure. Certains critiques y verront même l'origine de l'existentialisme, en fonction de "l'étrangeté" du personnage, sa dualité, son envie de vivre constamment en conflit avec son envie de mourir...
Pour le coup, vous l'avez deviné, Conrad n'est pas Stevenson, vous ne lirez pas Lord Jim avec le même engouement que l'Ile au trésor, mais peut-être y trouverez-vous un plaisir différent, car Lord Jim, avec toutes ses contradictions, reste profondément humain, et sa quête, somme toute, est une quête du bien, et une forme de rédemption...
Au cinéma, qui d'autre pouvait incarner Lord Jim que Peter O'Toole, (qui avait incarné Lawrence d'Arabie, un personnage finalement assez proche de Jim, ne trouvez-vous pas) ? C'est dans un très beau film de Richard Brooks, réalisé en 1965...
Commenter  J’apprécie          134
D'autres écrivains ont raconté des histoires émouvantes sur ceux qui font des affaires dans les grandes eaux, et ont donné des descriptions vives et pittoresques de l'océan dans ses tempêtes et dans ses calmes. Mais quand nous ouvrons un livre de M. Conrad, nous ne sommes conscients de rien de tout cela. Aussitôt survient 'un si grand appel de la mer ' que nous nous embarquons avec l'écrivain dans la grande aventure des profondeurs. Nous sentons toute l'exigence prosaïque de la vie, et, en même temps, nous sommes fascinés et retenus par l'esprit mystérieux et dominant qui couve toujours sur la mer.

Nous ressentons tout cela dans Lord Jim , mais Lord Jim est bien plus qu'un roman marin. On dit que son auteur a voulu faire un bref récit, mais qu'il s'est pris en main et a écrit une étude approfondie d'un phénomène psychique.

Lord Jim est l'histoire d'un garçon né dans un paisible presbytère anglais, mais rempli d'une soif d'aventure qui le conduit très tôt à la vie de marin. Il a ce jeune égoïsme sublime, cette jeune foi pathétique en lui-même, ce refus de croire possible que la vie puisse lui réserver une défaite ou un échec, en un mot, ce ressort et cette essence même de la jeunesse. Enfin, quand il a vingt-quatre ans, et qu'il set le second d'un navire naviguant dans une mer calme d'Orient, sous les étoiles silencieuses, avec 800 pèlerins paisibles dormant sur le pont, rapidement, effroyablement, se dresse à côté de lui 'l'opportunité voilée' , le rêve de sa vie Et il tremble devant.

Conrad commence alors son étude d'une âme. Il raconte son histoire non pas de l'intérieur, mais de l'extérieur, le mettant dans la bouche d'un observateur intéressé qui ne peut pas s'arroger le privilège d'omniscience du romancier. Il tâtonne, pas à pas, le long des chambres obscures de ce jeune coeur embrumé et grossier, qui sent toute la signification, la tache ineffaçable de son moment recroquevillé, et pourtant qui parvient, d'une manière ou d'une autre, à reconstituer la foi brisée en ses hautes potentialités.

Conrad poursuit une situation jusqu'à son dernier retranchement ; il soumet une émotion à sa dernière analyse. Il tourne un problème encore et encore, jusqu'à ce que nous le voyions sous cent feux - mais jamais, par un heureux hasard, il ne le résout. le cas de Jim - c'est le motif de l'histoire. À quoi cela ressemble-t-il pour Jim lui-même? A quoi ressemble un homme d'honneur ? Où est l'espoir pour l'avenir de Jim ? Quel est son point de salvabilité ? Mais il n'y a, après tout, aucune conclusion. On s'enchaîne, on s'enchaîne, d'une subtilité délicieusement posée après l'autre, jusqu'à ce qu'en vérité, on commence à sentir, et on a honte de ressentir, juste un peu las de tant d'analyses, de tant de perplexités finement dessinées. .

Pourquoi, nous demandons-nous, ne pouvons-nous pas saisir quelque chose de précis ? Et à quoi, après tout, revient toute cette théorisation ? Nous ne savons pas que nous sommes appelés à nous asseoir sur le siège du jugement, pesant jusqu'au dernier scrupule l'intention du pauvre Jim par rapport à sa performance, et alors pourquoi un tel avenir ? Ne serait-il pas simple pour son ami serviable de dire : 'Tu es terriblement tombé, mon garçon, tombé, peut-être, à cause de tes propres rêves pleins d'assurance. Releves-toi et éssaye à nouveau. Pas d'esquive, pas d'évasion ! Vis cette chose, humblement et avec espoir, à la lumière du jour.'

Il y a des compensations de profondeur et de beauté à chaque page. Jamais le bonheur de la phrase et le charme de l'atmosphère de M. Conrad n'ont été plus évidents que dans Lord Jim.

Dans l'état actuel de la littérature - à quelques exceptions près- un livre de la rare qualité littéraire de "Lord Jim" est quelque chose à (re)prendre avec gratitude et joie.

Et que dire de Peter O'Toole, si parfait dans le film de Richard Brooks...
Lien : http://holophernes.over-blog..
Commenter  J’apprécie          93
«Il était grand (un mètre quatre-vingt-deux ou trois), solidement bâti ; il marchait vers vous d'un pas ferme, le buste un peu penché en avant, le front baissé abritant un regard appuyé, un peu comme un taureau dans l'arène. Sa voix était grave et sonore, toute son attitude révélait un désir obstiné de s'affirmer, non point tant aux yeux des autres qu'aux siens propres. Rien d'agressif dans ce comportement dicté par une nécessité».
Par ces lignes ouvrant le roman, Joseph Conrad choisit de nous présenter son personnage avançant dans l'espace et comme venant à la rencontre du lecteur. Son physique, mais aussi sa jeunesse et sa détermination, la noblesse de son caractère, ainsi que sa fierté, sont d'entrée perceptibles en cette description ébauchée pourtant à grands traits, réduite pratiquement à l'attitude corporelle et à la manière particulière à Jim de se mouvoir.
LORD JIM fut initialement publié en feuilleton dans une revue écossaise entre octobre 1899 et novembre 1900. Considéré comme l'une des oeuvres les plus abouties de l'auteur, la plume y est absolument remarquable, façonnant une voix littéraire dont la «colorature» particulière est d'autant plus bluffante que l'écrivain d'origine polonaise (né Jozef Konrad Korzeniowski) avait appris l'anglais à l'âge adulte naviguant sur des bâtiments britanniques et, au moment de la rédaction du roman, ne s'était de fait mis à écrire que depuis quelques années! Empreinte d'une sensibilité et d'une sensorialité qui rendent la texture des paysages, les atmosphères et les personnages tangibles, denses, vivants, la langue de Conrad emporte naturellement l'adhésion subjective du lecteur. C'est ainsi, d'entrée de jeu, qu'une empathie inconditionnelle du lecteur envers l'énigmatique personnage de Jim s'instaure tout naturellement, à l'instar de celle qu'avait éprouvé le narrateur de l'histoire, Marlow, lorsque le chemin de ce commandant chevronné ayant roulé sa bosse aux quatre coins du monde avait croisé pour la première fois celui de Jim, à un moment déterminant pour l'avenir du jeune marin où pesait sur lui un terrible soupçon, celui d'avoir commis la faute la plus grave qui soit : abandonner un navire en mer, en livrant ses passagers à leur sort…
Conrad maîtrise avec subtilité l'art d'insuffler une grande puissance émotionnelle dans la narration des événements et dans ses descriptions en général, créant une adéquation parfaite entre les paysages et les atmosphères, les mouvements subjectifs et les vicissitudes connues par le parcours et la psychologie de ses personnages – sans forcer jamais le trait ou faire appel à des tournures superlatives comme en on retrouve assez volontiers chez la plupart de ses contemporains. Une langue qu'on pourrait qualifier de moderne et sans artifices, provoquant un effet saisissant d'authenticité (Conrad avait déclaré qu'il souhaitait, en écrivant, pouvoir «donner à voir» à son lecteur en même temps qu'à lire).
«Le bateau avançait régulièrement ; nous étouffions côte à côte dans l'air stagnant, surchauffé ; l'odeur de la boue, des marécages, l'odeur originelle de la terre féconde, nous sautait au visage. Puis, brusquement, dans un méandre du fleuve, ce fut comme si une grande main, là-bas, au loin, avait soulevé un lourd rideau (..) le ciel s'élargit au-dessus de nos têtes, une rumeur lointaine frappa nos oreilles, une fraîcheur nous baigna, emplit nos poumons, accéléra le cours de nos pensées, de notre sang, de nos regrets – et droit devant nous, les forêts s'abaissèrent devant la ligne bleu indigo de la mer»
Une langue inspirée et limpide, mise cependant au service d'une construction de récit qui, en l'occurrence, n'a rien de forcément simple ou linéaire, qu'on dirait plutôt touffue et sinueuse comme la nature foisonnante ou la topologie capricieuse des décors mythiques des îles et des mers du Sud où, comme c'est souvent le cas chez l'auteur, le roman campe son intrigue.
L'histoire de Jim nous est progressivement dévoilée par le récit rétrospectif qu'en fait son ami et protecteur Marlow (ce dernier étant un personnage-narrateur récurrent dans l'oeuvre conradienne, présent dans divers autres ouvrages, et notamment dans le célèbre «Au coeur des ténèbres»). Racontée essentiellement à partir de témoignages indirects, Marlow n'ayant lui-même côtoyé Jim qu'à très peu d'occasions, la narration se voit étayée en grande partie par des contributions apportées par une galerie de personnages secondaires hauts en couleur, ayant eu affaire, à un moment ou à un autre, ou croisé la route de Jim, générant de nombreuses parenthèses dans le récit, narrations emboitées les unes dans les autres ouvrant vers d'autres affluents au courant principal de l'intrigue, livrées de surcroit en une temporalité où des allers-retours entre les différents blocs temporels propres à chaque focalisation ne cessent d'intervenir. D'autre part, les réflexions personnelles suscitées chez Marlow, à la fois par l'histoire qu'il déroule et par la fascination que la personnalité de Jim avait exercé sur lui, donnent lieu à de multiples digressions, entrainant à leur tour d'autres suspensions temporaires de la narration, auxquelles viennent enfin se rajouter quelques effets déroutants créés par la technique du «décodage retardé» dont Conrad se sert magnifiquement, défiant la perspicacité liminaire du lecteur et semant le doute chez lui («delayed decoding» : technique si chère, entre autres, à Hitchcock, consistant dans la révélation anticipée d'éléments clés du dénouement d'une intrigue, passés ou futurs, de manière plus ou moins elliptique, déguisée, sans donner, bien évidemment, suffisamment d'indices permettant au lecteur d'accéder à sa pleine compréhension).
Le jeu en vaut pourtant largement la chandelle. LORD JIM est un classique magistral, et Jim un personnage inoubliable, magnifiquement construit. Libre de toute compromission, fondamentalement indomptable, emblématique par ailleurs de quelque chose dont la dimension imaginaire nous est familière et universelle : l'idéal romantique par excellence d'une liberté intérieure souveraine, radicale, inflexible, fière, foncièrement rétive à toute forme de soumission, aussi bien aux impératifs qu'aux chants de sirènes provenant de la société des hommes.
«Il est des nôtres», ne cessera pourtant de scander Marlow à l'intention de l'assemblée de vieux loups de mer réunie «après le dîner, sur une véranda ombragée par une végétation immobile, dans le profond crépuscule où luisaient seulement les lueurs rougeoyantes des cigares», cette longue soirée constituant le fil narratif principal du roman au cours de laquelle Marlow égrènera la vie et la destinée exceptionnelle de Jim. Que veut dire par là Marlow ? A quoi cette expression pourrait-elle se référer exactement? Allusion au sentiment de faute originelle et à la condition tragique à laquelle nous nous sommes vu condamner, lorsque Dieu, s'adressant aux anges, après qu'Adam eut mangé le fruit, prononça : «Voyez, l'homme est devenu comme l'un des nôtres : il connaît le bien et le mal»? Faudrait-il y voir également une référence au sentiment de trahison qu'aurait pu éprouver Conrad lui-même envers ses origines polonaises, à son exil et à sa propre quête d'expiation et de rédemption ? Ou encore l'évocation du dilemme auquel tout homme ne cesse de se confronter intérieurement, entre d'un côté son égocentrisme terrien et sa recherche de bonheur personnel, et de l'autre, sa fidélité à des principes abstraits plus élevés, à un code d'honneur et de conduite envers ses semblables ?
Beaucoup d'encre semble avoir coulé chez les commentateurs de l'oeuvre de Conrad autour du sens de cette expression récurrente du vieux mathurin, ainsi que, bien sûr, de la vraie nature de Jim, son infléchissable et taiseux protégé.
Le «comme nous autres» auquel Marlow se réfère ne pourrait-il en fin de compte nous renvoyer aussi à cette dimension idéale à laquelle nous sommes certainement très nombreux à avoir consacré une partie essentielle de nos plus beaux rêves de jeunesse, peuplés de héros romantiques et tragiques, de Werthers, d'Antigones et de tant d'autres, que nous avions à un moment ou un autre imaginé pouvoir préserver intacts en nous-même et que la vie n'aurait pourtant de cesse à vouloir éroder ? Ne serait-ce au fond ce qui nous rapprocherait si intensément, si intimement de Jim, qu'on quittera peut-être en refermant le roman, tel Marlow le voyant pour la toute dernière fois depuis le canot qui le conduisait vers son navire de transport : Jim, sur la grève, vêtu de blanc de la tête aux pieds, « la nuit dans son dos, la mer à ses pieds(..) un minuscule point blanc, sur lequel semblait se concentrer l'ultime lueur d'un univers enténébré».
Commenter  J’apprécie          3314




Lecteurs (1524) Voir plus



Quiz Voir plus

Le miroir de la mer

Quel est ce personnage qui fuira toute sa vie la honte d'avoir quitté un navire menaçant de sombrer

Lord Jim
Demian
Coeur de pirate
Kurt Wallander

10 questions
66 lecteurs ont répondu
Thème : Joseph ConradCréer un quiz sur ce livre

{* *}