AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,26

sur 390 notes
5
66 avis
4
19 avis
3
7 avis
2
1 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Seyoum chiqueur de Khat a fait de « L'espoir son fonds de commerce » : passeur sans pitié à la frontière Libyenne il n'hésite pas moyennant des sommes indécentes à faire embarquer sur des chalutiers en mauvais état, proches de l'épave, les réfugiés venus de Somalie d'Erythrée ou d'ailleurs, vers l'Italie porte de l'Europe tant espérée à laquelle ils ne parviennent pour la plupart jamais, leur bateau sombrant en pleine mer.
Seyoum est sans foi ni loi et semble n'avoir aucune conscience, il noie son affect dans le gin et le Khat. Pourtant un événement surgit de son passé, laissant remonter alors à la surface son humanité perdue, enfouie au plus profond de son être, qui va bouleverser son existence pour la faire chavirer de l'autre côté des rives.
Ce roman a reçu le prix de la closerie des Lilas mais également le prix littéraire du Barreau de Marseille 2021, remis par Laurent Petitmangin, lauréat en 2020 avec « ce qu'il faut de nuit ».
On peut dire sans trahir les délibérations que le jury a été sensible à la qualité de l'écriture, à la construction impeccable du roman, à sa progression romanesque sans faille et surtout à l'humanité qui se dégage du personnage de SEYOUM qui alterne entre passé et présent, du statut de victime à celui d'acteur de l'infâme.
Un roman d'actualité qui ne pouvait que toucher au coeur ceux pour qui l'humanité est au nombre des valeurs énoncées par leur serment . Un roman à ne pas manquer et malheureusement tellement d'actualité.

Commenter  J’apprécie          51
C'est un petit roman qui a tout d'un grand, par la force de l'écriture de Stéphanie Coste et par l'immersion dans le monde de violence des migrants africains.

Côte libyenne.
Seyoum est un passeur, alcoolique et drogué, vivant du trafic juteux de l'espérance d'individus, transportés et abandonnés en Méditerranée. Son monde de malfrats sans scrupules le laisse en permanence sur la corde raide de l'autodestruction.
Seyoum a été un autre homme dans une autre vie, un jeune homme amoureux et plein de projets. L'épouvantable dictature de l'Erythrée en a décidé autrement, le mettant lui aussi sur les routes de l'exil.

En quelques chapitres alternant les époques, la vie d'un homme se résume à peu de chose, qui peut passer de victime torturée et embrigadée à bourreau brutal et déshumanisé. Mais la part d'humanité de l'Homme est une petite chose précieuse qu'il ne faut jamais craindre de perdre complètement…

Un roman fort, rapide, nerveux, sur l'exil et la rédemption. Aucun répit dans le souffle romanesque et le cynisme des situations. On est intrigué par l'envers du décor, par l'originalité d'une histoire racontée du point de vue du tortionnaire, éloignant ainsi les images de bateaux surpeuplés, aux individus interchangeables, pour découvrir ce qui précède les traversées.
Commenter  J’apprécie          320

Moi, Seyoum, je suis un passeur.
Passeur de vie à trépas, pourvu que ces désespérés paient, et ils paient cher leur passage, depuis la Somalie ou l'Erythrée, après une traversée du Sahara ( où il en meurt un tiers, c'est ça de moins à gérer)pour arriver sur les côtes de Libye, et tenter Lampedusa.
Moi je suis le caïd, et mon fond de commerce, c'est le désespoir ou plutôt l'espoir , le rêve imbécile qui les fait ramper devant tout.
J'ai à dos les gardes côtes, qui se sucrent tant qu'ils peuvent et doivent jouer au plus fin avec les ONG. Tout le monde sait bien que la côte est une passoire. J'ai à dos les autres mafieux qui de plus en plus veulent goûter au plus juteux de tous les trafics, celui des êtres humains, plus juteux que les armes , plus juteux que la drogue, c'est dire.

J'ai mes sbires, qui m'obéissent comme des chiens, et à qui je donne l'ordre de fouetter de temps en temps la marchandise massée dans l'entrepôt, elle attend le passage, cette masse de marchandise, or il ne faudrait pas, en plus, qu'ils trouvent leur sort injuste, ou que l'on devrait les nourrir, par exemple.
Bref, ils attendent le passage, sauf que cela devient compliqué de trouver des rafiots qui font de toute façon un voyage unique Lybie/Italie. Et qui en pleine mer, on le sait, couleront. C'est là qu'ils commencent tous à m'emmerder, il y a trop de naufrages, disent-ils, sauf que trouver des bouts de bois pour réparer des fonds de vieux bateaux, il faut s'y mettre sec , car marché noir et manque de matériel.

Retour en arrière, après la guerre d'indépendance entre l'Ethiopie et l'Erythrée, s'est instauré dans ce dernier pays devenu indépendant une des pires dictature qui soit : service militaire obligatoire et à temps indéterminé, pour tous (TOUS et TOUTES), période qui relevait plus de la torture organisée (par exemple au camp de rétention de Sawa, violences inouïes, tortures et viols) que de la préparation militaire devenue inutile d'ailleurs, puisque l'indépendance était gagnée. Un des pays les plus pauvres du monde, et qui se retrouve entre les mains sanglantes d'un fou furieux.
Ne pouvant évidemment pas quitter ( avant de se faire exterminer) l'Erythrée pour
le Yémen ou l'Arabie Saoudite , beaucoup se rattachent au pays connu des grands parents, l'Italie , et commence alors l'aventure mortelle que l'on ne peut comprendre que si on a compris la misère et la folie qu'un peuple doit subir et qu'il doit absolument fuir.

Alors, moi Seydoum, j'ai tout perdu jusqu'à mon humanité, je m'enferme dans ma cabane et dans ma tête, je mâche des boulettes de khat, je les arrose de gin, beaucoup de gin, je pars loin dans la défonce.
Des chauves souris entrent dans ma tête, tout est brasier, je descends dans le sadisme, mais, merde, « le môme de vingt ans résiste et ne veut pas disparaitre dans la cuve des chiottes comme le gin. »

Epoustouflant roman, premier roman de Stéfanie Coste « le passeur », avec ses phrases acérées , sa manière percutante d'entrer dans la tête du passeur cynique, son évocation rapide et ciblée des exactions du camp de Sawa, ainsi que de la corruption des différents protagonistes de la côte libyenne à Zaouara, les ONG, le banquier, les gardes côtes, les différents passeurs et leur hiérarchie impitoyable, enfin Seyoum, dont l'auteur rappelle l'enfance presque heureuse à Asmara, la capitale de l'Erythrée. Presque, puisque la guerre de libération avait fait place à la tyrannie et à la folie.
Epoustouflante, l'écriture, la tension, le retrait apparent de l'écrivain, ce qui donne mille fois plus de force à son récit, à la fois dur et sobre, gagnant en force par cette sobriété racontant la folie des hommes, leur appât du gain, leur cruauté et leur sadisme.
Chef d ‘oeuvre, chef d'oeuvre, j'insiste, à lire, et merci aux babeliotes dont Cannetille, Kittiwake ,LaBiblidOnee et Terrainsvagues qui m'ont donné envie de lire « le passeur ».
Commenter  J’apprécie          5316
Nous sommes en 2015. Abîmé par l'alcool et le khat, Seyoum n'en impose pas moins sa brutale autorité sur toute la côte libyenne, où il est devenu l'un des plus gros passeurs de migrants vers Lampedusa. Contre toute attente, l'arrivée d'un énième convoi de réfugiés en provenance d'Erythrée le déstabilise soudain, en lui renvoyant à la figure un passé dont il pensait être quitte. Car Seyoum est lui-même érythréen. Vingt-deux ans plus tôt, la dictature érigée dans son pays brisait sa famille et sa vie : l'attendaient les camps d'embrigadement forcé, la torture et l'emprisonnement, jusqu'à sa fuite et son établissement sur ces plages de la Méditerranée…


Entré de plain-pied dans la peau d'un passeur écoeurant de cynisme et d'indifférence, le lecteur se retrouve, d'emblée et sans ménagement, confronté à l'immonde absence de vergogne d'un caïd aussi minable que meurtrier. L'abjection semble sans limite, lorsqu'un événement fortuit vient déchirer les abrutissants brouillards de la drogue et pourfendre la carapace du tortionnaire. Peu à peu, les réminiscences apportent un éclairage qui, sans l'excuser, finit par amener un début d'explication au comportement criminel de cet homme. de 1993 à nos jours, depuis l'indépendance de l'Erythrée après trente ans de guerre contre l'Ethiopie, la dictature militaire a multiplié les conflits internes et externes, achevant de mettre le pays à feu et à sang et provoquant de massifs déplacements de la population. Torturé dans son âme et dans sa chair, embrigadé de force et trahi au plus intime de son être, Seyoum s'est transformé de victime en bourreau, au fil d'une déshumanisation par bien des aspects suicidaire.


L'écriture, dynamique et lapidaire, ne laisse aucun répit. Les phrases s'alignent comme autant de gifles, dans un récit coup de poing qui, en quelque cent trente pages couvrant quatre jours seulement, réussit à embrasser toute l'ampleur du désastre érythréen, à toucher du doigt l'intime détresse des migrants, et à dresser un tableau sans fard et sans manichéisme des violences et de l'inhumanité que leur réservent passeurs, mais aussi souvent, autorités complices et prétendument aveugles. Dans cet océan de noirceur brutale et insoutenable, brille malgré tout une lueur d'espoir, cette étincelle que l'auteur a choisi de préserver envers et contre tout, et qui permet de croire que, peut-être, l'âme humaine reste toujours capable d'un minimum de rédemption.


Ce livre choc ne laissera aucun lecteur indifférent. Sans pathos ni jugement, il aborde la question des migrants sous un angle inédit et dérangeant, et nous interroge quant à nos propres responsabilités et à celle de nos gouvernements, quand le souci de notre confort l'emporte si facilement sur notre humanité. Un premier roman percutant et remarquable, et un nouvel auteur à suivre. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          11111
Un livre court et fort, direct comme un coup de poing, qui lève une partie du voile sur les conditions terribles de traversée de la Méditerranée par les migrants. Stéphanie Coste va nous aider à mettre des visages sur des histoires de vies d'hommes, de femmes et d'enfants aux trajectoires douloureuses.
Son angle de vue est original, en prenant le parti de nous raconter l'histoire de Seyoum, un caïd local, passeur de son état. Nous ressentons un profond écoeurement à la lecture de la vie de Seyoum, drogué jusqu'aux yeux la majeure partie de la journée, incapable de la moindre compassion envers ceux qui lui permettent de réaliser un juteux business au goût de mort et de sang. Ce personnage ne nous semble initialement n'être qu'une brute, abjecte et sans âme.
Cependant, nous allons petit à petit nuancer notre jugement, et mieux comprendre qui est vraiment Seyoum. Stéphanie Coste va nous révéler l'origine des douleurs de son pseudo-héros par le biais de chapitres qui vont nous le faire découvrir enfant, puis adolescent, dans son Erythrée natale. Mais attention, il n'y aura de la part de l'auteure nulle volonté de justifier sa conduite.
Un roman qui va à l'essentiel, intense et dérangeant, sans manichéisme simplet, qui nous amène à voir au-delà des apparences et des clichés, et à nous poser des questions essentielles. Une lecture qui nous force à ouvrir les yeux sur une partie du monde que nous préférons ne pas voir, l'Autre, le migrant, et nous rappelle nos conditions d'extrêmes privilégiés.
Tout cela, avec une écriture très sobre, un récit qui sonne juste, sans que l'auteure ne nous donne de leçons. Sans porter de jugement, avec humilité et virtuosité, elle donne les rênes au lecteur et lui laisse tirer ses propres conclusions. Une auteure à suivre …

Commenter  J’apprécie          232
C'est un roman, mais ce qui y est raconté est si plausible que je regrette de ne rien avoir trouvé sur l'auteur, ni sur sa connaissance du monde décrit. Dommage car le choc des mots vaut celui des photos, d'autant plus s'il se fonde sur une expérience sinon vécue, du moins partagée. Malgré tout, et même s'il s'agit d'une fiction intégrale, la force du texte est telle qu'elle oblige à une prise de conscience de ce qui se cache derrière ces hommes, femmes et enfants dont l'actualité quotidienne banalise la situation. Il n'est nulle part question de responsabilité et pourtant …. Bravo à l'auteur de ce coup de poing pour réveiller nos consciences.
Le livre est court et très bien écrit. Il se lit très facilement.
Commenter  J’apprécie          223
Ce premier roman de Stéphanie Coste est époustouflant. D'une force inouïe il vous percute de la première à la dernière page, vous laissant KO après l'épilogue. Il vous faudra quelque temps avant de reprendre votre souffle après avoir lu d'une traite et quasiment en apnée les 130 pages de ce court roman d'une rare densité.
Comment cette jeune romancière dont on ne sait pas grand-chose si ce n'est qu'elle a vécu jusqu'à son adolescence entre le Sénégal et Djibouti, est-elle parvenue à entrer dans la peau d'un homme aussi brutal, alcoolique et drogué, d'apparence si inhumaine, au passé douloureux l'ayant laissé désincarné. Comment est-elle arrivée à pénétrer son âme qu'il semble pourtant avoir perdue. Où est-elle allée chercher les attitudes, l'univers et les mots qui rendent ce récit fictif si authentique et poignant ? Les mots d'une crudité surprenante et l'univers cruel d'un passeur sans foi ni loi paraissent bien éloignés de ceux d'une jeune femme, romancière et civilisée.

Le difficile et dur sujet des migrants est traité ici d'un point de vue inhabituel, celui du passeur. le roman se développe de façon concomitante sur deux époques de la vie de Seyoum, le passeur. En 2015, où il s'apprête une énième fois à "fourguer" de la Lybie vers l'Italie "une cargaison de migrants", et parallèlement dans les années 2003-2005 en Érythrée où des événements déterminants et dramatiques sont survenus lors de sa jeunesse.

Seyoum, au passé terrifiant, semble avoir perdu toute humanité jusqu'au jour où… Je ne révélerai pas la suite pour laisser la surprise. Dans une vie, même la plus noire, il subsiste toujours une petite touche d'espérance, une petite étincelle.

Ce roman a obtenu le Prix de la Closerie des Lilas 2021, une récompense amplement méritée.
Que nous réserve Stéphanie Coste à l'avenir ? Je l'attends avec curiosité et impatience.

Commenter  J’apprécie          145
Seyoum est passeur en Lybie. C'est un homme animé par la violence et l'appât du gain, sans coeur pour les centaines de migrants dont il organise la traversée vers l'Italie. Il boit beaucoup et mâche du khat pour oublier sa vie. Mais un jour, parmi la marchandise, il reconnait quelqu'un de son passé.
Le récit alterne entre les moments présents où il prépare les différentes opérations avec ses hommes, et son passé. Car c'est en se tournant vers son histoire familiale et celle de son pays natal, l'Erythrée, que le lecteur comprend comment Seyoum, fils de journaliste, en est arrivé à ce commerce inhumain.
Je découvre tout un pan de l'histoire d'un pays, la dictature en Erythrée. Certaines scènes, notamment de torture, sont insoutenables. Ce roman raconte une partie des horreurs vécues par les migrants tentant de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. Les passeurs achètent sans scrupules des vieux bateaux qu'ils savent voués à couler avec toutes les personnes à bord.
Un premier roman court, prenant et fort en émotions, d'une réalité implacable.
Il a reçu le Prix de la Closerie des Lilas 2021.
Lien : https://joellebooks.fr/2021/..
Commenter  J’apprécie          80
Cruelle beauté que celle de l'histoire, très actuelle, de cet intermédiaire aussi médiatisé qu'invisible : le Passeur. Censé aider à traverser clandestinement la mer pour fuir guerres ou dictatures, il représente le dernier espoir de milliers de persécutés, contraints de quitter leur terre et leurs proches dans des conditions pire que précaires. Mais cet homme, qui va les aider à marcher sur l'eau, est-il leur sauveur ? Ou une épine de plus sur leur chemin de croix, un homme extorquant leurs économies pour n'organiser que leur naufrage ?


« « J'ai fait de l'espoir mon fonds de commerce. Tant qu'il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux oeufs d'or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d'en face. » »


Stéphanie Coste explore la question dans la peau de l'un d'eux : Seyoum. Après une nuit chargée d'alcool et de khat, contre la boule d'angoisse, de désespoir et de solitude qui l'étouffe un peu plus chaque jour, Seyoum reçoit sa dernière cargaison de migrants pour la saison. Pour engranger un max de pognon, il a un peu forcé sur le recrutement : si quelques-uns ne meurent pas dans les prochaines 24 heures, le bateau ne pourra pas tous les contenir. Alors il les parque dans sa réserve hermétique jusqu'à la nuit, sans eau ni nourriture histoire que la nature fasse son travail, baignant dans leurs excréments comme des cafards dans une boîte. Pour la der, le bateau acheté est un peu miteux mais une fois en pleine mer, ce n'est plus son affaire : il laissera le GPS à l'un de ces désespérés et rentrera peinard dans son zodiac, comme d'habitude. Faudra juste penser à retaper la coque, histoire que le bateau ne coule pas trop vite : Quand les morts reviennent s'échouer sur la côte, le garde-côte qu'on paye grassement pour fermer les yeux est sur les dents et augmente ses commissions… « Ce mec se prend pour Dieu. Il négocie même les cadavres ».


« « Une chauve-souris vampire est entrée dans ma tête, puis deux, puis vingt, et leur vol de pensées morbides se cognent sur les parois de mon cerveau en sang. » »


Seyoum n'est-il qu'un businessman insensible qui empoche le prix de la traversée, économise en achetant du matos chinois et tabasse sans sourciller les rares migrants ayant la force de se rebeller ? « Une fois que je les ai tous bien regardés et que chacun a baissé les yeux, je repose mentalement sur ma tête la couronne du roi tout-puissant de ces abrutis, et je quitte la pièce soumise. » le fait-il pour survivre ou par amour de l'argent facile? « Ma seule famille c'est le pognon. Dans ce monde y a que ça qui compte et qui te met à l'abri. » Est-il inhumain, où ce qu'il a vu et vécu l'a-t-il changé ? Lui-même s'interroge : « Je me demande quand exactement ma peur s'est transformée en résignation. A quel moment précis j'ai arrêté de me sentir humain. Je ne suis pas tout à fait une bête. Je suis une mécanique bien programmée ».


Stéphanie Coste y répond en alternant le récit de cette dernière traversée, des côtes libyennes à destination de l'Italie en 2015, avec le récit foudroyant et brutal du passé de Seyhoum (Érythrée), dans les années 90 puis 2000. Il y a de quoi perdre la raison lorsqu'on vous arrache tout, jusqu'à votre humanité. Alors elle achève de nous fait basculer dans l'horreur lorsque les deux époques se rejoignent. Preuve que le passé demeure toujours présent, tapi en chacun d'entre nous…


« « Le magma des formes entassées les unes sur les autres geint d'une seule voix épuisée, moquée par les rafales. Des bras et des jambes s'agitent dans le bordel, en quête d'espace et de respiration. Toujours les mêmes gestes inutiles entamant le processus habituel. L'asphyxie ne fait que commencer et avec elle, une fois en mer, viendront la panique, les piétinements, les affrontements, la loi du plus fort, les premiers morts balancés par-dessus bord. A ce stade, la notion d'être humain aura aussi été balancée dans les tréfonds marins. » »


Heureusement pour le lecteur, la plume sublime amortit le choc ; Paradoxalement, elle met aussi en lumière, par le contraste de beauté qu'elle apporte, l'atrocité de ce qu'elle décrit. En seulement 120 pages, elle nous livre un roman complet, addictif et puissant, sur une situation délicate dont les intrications échappent complètement aux protagonistes, pour leur plus grand malheur.


« « Un cri plus fort que le vent troue la tempête. Je vois à peine le mec tomber. Il a déjà été avalé par la mer ogresse. Puis un autre. Et combien encore ? le bateau se vide, et comble l'appétit de la mer. » »


Sombre histoire, où la plume apporte le souffle nécessaire pour lire l'indicible. Tandis que celle brute et épurée de Takiji Kobayashi dans le Bateau-Usine ne nous était d'aucun secours, nous sommes ici portés par une plume poétique comme une caresse, un baume sur les plaies profondes de ces âmes anonymes et des nôtres, martyrisées par leurs innommables et innombrables épreuves. Comme si l'auteure voulait repêcher chaque âme avec le son de ses mots. C'est dur bien sûr, mais c'est à lire. Parce que la littérature a aussi cette fonction merveilleuse de nous révéler ce qu'on ne voit pas des gens ou des situations, notamment derrière les faits divers qui nous semblent parfois trop lointains pour être incarnés et nous interpeler vraiment.


« Alors, qu'est-ce que tu décides, Seyoum ? Tu foires tout ou tu prends les choses en main ? »
Commenter  J’apprécie          6517
Témoignage d'une rare violence, et absolument innovant : c'est la première fois que je lis un récit sur l'émigration du point de vue du passeur.

Le narrateur est Seyoum, un passeur profondément inhumain, caractériel, drogué, un business man sans aucun scrupule qui joue avec la vie des Soudanais, Somaliens, Érythréens, en fuite. Trimballés dans des conditions insalubres, dépouillés, torturés, ils quittent la guerre civile, la dictature et des conditions de vie inacceptable sans se douter que l'horreur, l'enfer les attend et qu'ils n'auront que peu d'espoir de poser pieds un jour sur une terre accueillante.

« J'ai fait de l'espoir mon fond de commerce. Tant qu'il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux oeufs d'or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d'en face. »

Un portrait peu flatteur, mais Seyoum porte en lui des cicatrices, des blessures béantes, que l'on découvre à coup de flash backs et qui m'ont meurtrie.
Sa cargaison est, un jour, différente, elle frappe Seyoum en plein coeur et nous laisse entrevoir la part d'humanité indécelable qui sommeillait en lui.

« Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence. » Ernest Hemingway

Un premier roman percutant, exténuant et prometteur. Stéphanie Coste met des mots forts sur une sombre et déchirante réalité.
Lien : https://seriallectrice.blogs..
Commenter  J’apprécie          352



Lecteurs (938) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3247 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}