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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Des groles défoncées et des lambeaux de vêtements sont éparpillés un peu partout sur le sable blanc, la mer turquoise en arrière-plan. Ils ont à peine nettoyé après le dernier naufrage ».

Je viens de me recevoir une claque…Comme si l'auteure, Stéphanie Coste, m'avait prise par le cou et avait tenté de me mettre la tête dans ce sable, bien profond, pour que je comprenne et surtout que je puisse garder longtemps des images terribles en tête. Oui, « le passeur » fait partie de ce genre de livre qui crie, qui narre sans fioriture l'innommable, cet innommable à deux heures d'avion de nos petites vies occidentales confortables. Je ressors marquée, bouleversée, avec la nausée aussi tant le récit est brut.

Nous suivons Seyoum, très abimé par l'alcool et le khat, passeur connu de migrants sur la côte libyenne vers Lampedusa, un passeur puissant dont la réputation s'est construite en dix ans de boulot et de trahisons diverses. Un homme blasé, brutal, drogué, qui s'enrichit sur le dos de la misère la plus totale, sans état d'âme ni aucune espèce d'empathie. Or l'arrivée d'un convoi de réfugiés en provenance d'Erythrée va complètement le déstabiliser et faire remonter les fantômes du passé.
Les chapitres alternent le récit en 2015 de cette dernière traversée et le passé de Seyoum dans les années 90/2000. Nous comprenons peu à peu, avec effroi, comment cet Erythréen a perdu toute humanité et est devenu ce passeur violent, sans foi ni loi. Les deux périodes vont s'entremêler à la fin du livre.

Dès le début, le ton est donné, l'incipit nous ouvre grand les portes de cet enfer : « J'ai fait de l'espoir mon fonds de commerce. Tant qu'il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux oeufs d'or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d'en face ».

Puis…puis c'est infernal…

Entre le corps fiévreux de Seyoum du fait de ses addictions et de ses angoisses : « L'angoisse et ses hallucinations surgissent derrière le palmier, là-bas. J'éloigne le téléphone de mon oreille. le ciel se renverse. La plage devient plafond. Je suis désorienté. Une salive épaisse scotche mes lèvres. Des mouches grouillantes s'agglutinent devant mes yeux explosés, cherchent à rentrer dans mes orbites. Je tousse violemment pour relancer le battement de mon coeur, me file une baffe»

Entre la violence que fait subir Seyoum aux candidats à l'exil : « Je préfère traîner sur ce bout de sable plutôt qu'à l'entrepôt où je parque les migrants avant la traversée. Les Soudanais et les Somaliens qui y sont entassés depuis six jours n'ont plus rien à bouffer depuis hier. On leur file juste un peu de flotte pour les garder en vie. Certains portent sur leurs tronches les prémices de la révolte. Je les reconnais tout de suite. J'en fais tabasser trois ou quatre par jour pour maintenir l'ordre : l'épuisement gagne toujours, la peur les achève. Ils sont vite matés ».

Entre la violence parmi les passeurs où la concurrence se durcit. Faire de la place de manière expéditive s'avère important pour affirmer sa puissance.

Entre la passé de Seyoum qui a vécu des choses si affreuses que j'ai du détourner la tête en les lisant.

Entre le manque d'hygiène et de confort, la chaleur. Odeurs et sons nous glacent. le silence, entre deux gémissements, est parfois insupportable au point de faire défiler les images au ralenti : « Il se dirige à l'arrière et déverrouille le cadenas de la porte qui retient les passagers. Six mecs qui y étaient adossés se cassent la gueule sans un cri, entraînant les autres dans leur chute. Ils se déversent sur le sol. L'odeur de pisse et d'excréments réveille mon envie de gerber ».

Avec ce livre, nous entrons dans l'intimité du passeur, borgne parmi les aveugles, pitoyable roi d'un royaume de pauvres hères, chargé de faire passer d'une rive à l'autre les humains les plus pauvres du monde, les faire passer de la rive de la misère à celle de l'espoir pour un prix absolument énorme, les économies de toute une vie. Or s'il les mets sur la bonne direction, le passeur les laisse souvent seul, désignant un pigeon parmi les migrants, sur le dos duquel il fait reposer toutes les responsabilités, eux qui n'ont jamais mis le pied sur un bateau, embarcation de piètre qualité qui plus est. Les naufrages sont ainsi très fréquents.

Vous l'aurez compris, c'est une lecture éprouvante qui a plus de poids qu'un simple article dans un journal ou un simili de reportage à la va vite dans un journal télévisé. C'est toute la puissance de la littérature de nous sensibiliser réellement, au plus profond de nous. de soulever le voile, de nous faire sentir, de nous ouvrir les yeux. de considérer avec bienveillance et humanité ces personnes que nous voyons dans nos villes et que nous regardons parfois avec distance. Ils ont vécu la pire horreur qui soit, des épreuves inracontables. « Ils ont lourdé leur dignité quelque part dans le Sahara ». Un grand merci à Stéphanie Coste pour ce message que je ne suis pas prête d'oublier.


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Nous sommes en 2015. Abîmé par l'alcool et le khat, Seyoum n'en impose pas moins sa brutale autorité sur toute la côte libyenne, où il est devenu l'un des plus gros passeurs de migrants vers Lampedusa. Contre toute attente, l'arrivée d'un énième convoi de réfugiés en provenance d'Erythrée le déstabilise soudain, en lui renvoyant à la figure un passé dont il pensait être quitte. Car Seyoum est lui-même érythréen. Vingt-deux ans plus tôt, la dictature érigée dans son pays brisait sa famille et sa vie : l'attendaient les camps d'embrigadement forcé, la torture et l'emprisonnement, jusqu'à sa fuite et son établissement sur ces plages de la Méditerranée…


Entré de plain-pied dans la peau d'un passeur écoeurant de cynisme et d'indifférence, le lecteur se retrouve, d'emblée et sans ménagement, confronté à l'immonde absence de vergogne d'un caïd aussi minable que meurtrier. L'abjection semble sans limite, lorsqu'un événement fortuit vient déchirer les abrutissants brouillards de la drogue et pourfendre la carapace du tortionnaire. Peu à peu, les réminiscences apportent un éclairage qui, sans l'excuser, finit par amener un début d'explication au comportement criminel de cet homme. de 1993 à nos jours, depuis l'indépendance de l'Erythrée après trente ans de guerre contre l'Ethiopie, la dictature militaire a multiplié les conflits internes et externes, achevant de mettre le pays à feu et à sang et provoquant de massifs déplacements de la population. Torturé dans son âme et dans sa chair, embrigadé de force et trahi au plus intime de son être, Seyoum s'est transformé de victime en bourreau, au fil d'une déshumanisation par bien des aspects suicidaire.


L'écriture, dynamique et lapidaire, ne laisse aucun répit. Les phrases s'alignent comme autant de gifles, dans un récit coup de poing qui, en quelque cent trente pages couvrant quatre jours seulement, réussit à embrasser toute l'ampleur du désastre érythréen, à toucher du doigt l'intime détresse des migrants, et à dresser un tableau sans fard et sans manichéisme des violences et de l'inhumanité que leur réservent passeurs, mais aussi souvent, autorités complices et prétendument aveugles. Dans cet océan de noirceur brutale et insoutenable, brille malgré tout une lueur d'espoir, cette étincelle que l'auteur a choisi de préserver envers et contre tout, et qui permet de croire que, peut-être, l'âme humaine reste toujours capable d'un minimum de rédemption.


Ce livre choc ne laissera aucun lecteur indifférent. Sans pathos ni jugement, il aborde la question des migrants sous un angle inédit et dérangeant, et nous interroge quant à nos propres responsabilités et à celle de nos gouvernements, quand le souci de notre confort l'emporte si facilement sur notre humanité. Un premier roman percutant et remarquable, et un nouvel auteur à suivre. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Presque une semaine que j'ai refermé ce livre, et il me hante.

J'avais vraiment décidé de ne pas écrire de retour. J'avais aussi besoin de parler de mon ressenti avec quelqu'un qui l'avait lu, plus précisément avec Chrystèle, parce que je ne partageais pas tout à fait son sentiment.
Par contre, nous sommes tout à fait d'accord quant au ressenti post-lecture.

Je me permets de citer un passage de la critique de notre amie :

" le passeur fait partie de ce genre de livre qui crie, qui narre sans fioriture l'innommable, cet innommable à deux heures d'avion de nos petites vies occidentales confortables. Je ressors marquée, bouleversée, avec la nausée aussi tant le récit est brut."

Près d'une semaine après ma lecture, elle m'obsède encore, notamment parce que je n'arrive pas à faire le tri dans mes pensées.

Nous sommes en Lybie, le 15 octobre 2015, et les Croisières Seyoum s'apprêtent à effectuer la dernière traversée de l'année. Fermeture hivernale.

Les places sont chères pour embarquer sur le magnifique paquebot de 11 mètres de long, 2 mètres de large et 1.50 mètre de profondeur.
Capacité : entre 100 et 150 personnes.

Soudanais et Somaliens sont arrivés en masse, déjà trop nombreux.
La traversée du désert aura été moins fatale que l'avait prévu Seyoum.
Ajoutez à ça l'arrivée prochaine d'une soixantaine d'Érythréens.

Toute une vie d'économies pour prendre ce bateau, qui déposera les passagers en Italie... s'ils l'atteignent.
Nul besoin de vous faire un dessin.

Tout lecteur est prêt à le trouver immonde, ce Seyoum, qui se fait un fric monstre sur le malheur des désespérés... sur "l'espoir des désespérés".

Il est loin d'être le seul, le business a explosé, la concurrence se fait rude, les petits nouveaux étant bien décidés à profiter de la manne, ce qui n'arrange pas les garde-côtes.

Mine de rien, ça leur fait du boulot, tous ces naufrages successifs, résultats de l'inexpérience... entre autres, mais si on commence à parler de l'état des coquilles de noix, dont les fuites sont colmatées au petit bonheur la chance, on n'en sort plus.

Mais revenons à Seyoum, qui carbure au khat et à l'alcool de contrebande.
C'est important la qualité pour être bien dans ses pompes.

10 ans que le puissant et très connu Seyoum exerce dans la "profession", prenant grand soin de ses cargaisons, selon ses termes.
Pensez donc, un hangar presque spacieux, dans lequel les humains affamés et deshydratés s'entassent, avec le soleil impitoyable qui cogne sur les parois.

À propos de cogner, Seyoum et ses sbires ne s'en privent pas quand l'un des passagers tente d'émettre une plainte sur les conditions de déten... (pardon, j'ai failli critiquer) la chaleur, les odeurs insoutenables, au point qu'on suffoque en ouvrant la porte, sans parler de l'état des hommes, femmes, enfants.
Tous les sens sont sollicités...

Normalement, c'est là que je devrais dire que l'émotion m'étreignait intolérablement pour les pauvres gens, victimes ++
Mais en fait, lors de ma lecture, je n'ai pas ressenti ça du tout.
C'est venu ensuite.

En fait, j'étais tellement immergée dans la peau de ce passeur en particulier qu'au fur et à mesure de ma découverte de tout ce qu'il avait vécu comme horreurs, Érythréen lui aussi, arraché à sa famille, à la fille qu'il aimait, à tous ses proches et amis, dont certains furent assassinés.
Un sort terrible alors qu'il était à peine adolescent... je vous laisse découvrir...

Seyoum, après une enfance choyée, a connu de telles souffrances qu'il en a perdu toute confiance. La douleur l'a déshumanisé, les trahisons l'ont anéanti.

Tout le récit ne parlant que de lui, il est difficile de ne ressentir aucune empathie, d'autant que pratiquement aucun personnage secondaire n'est vraiment mis en avant, même si ceci ne justifie pas cela.

C'est d'ailleurs le reproche que je ferais à l'autrice. J'aurais aimé qu'il y ait davantage de pages, que certains aspects du récit soient creusés, mais finalement on reste en surface.

Stéphanie Coste nous fait connaître Seyoum, un peu trop superficiellement, et puis une petite poignée de personnes importantes rapidement évoquées.

Je me suis retrouvée sous le choc, bouleversée, le cerveau en vrac, le coeur au bord des lèvres et des larmes.

Le roman n'en est pas moins excellent et je ne regrette pas de l'avoir lu. J'espère ne pas vous avoir découragés, chaque ressenti est différent.
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Court et puissant, ce roman est un coup de poing. Parce que même si c'est une fiction, il est le reflet de ce qui se passe au quotidien pour des milliers de fantômes errants, dont le rêve d'un ailleurs rédempteur s'est transformé en un cauchemar de la pire espèce.

Le narrateur est comme l'indique le titre un passeur, un type qui a trouvé un filon pour se faire du fric, beaucoup de fric, en organisant la fuite des « cargaisons », qu'il aperçoit le temps d'affréter un bateau de fortune. Armé d'une carapace d'indifférence, condition nécessaire pour survivre à ce qu'il vit, mais pas suffisante : les paradis artificiels et le khat sont nécessaires pour consolider le clivage qui le maintient en vie.

Un être abject, donc. Seulement malgré l'ivresse de l'alcool et du pouvoir, des images reviennent, une histoire passée se construit entre les chapitres, celle d'un enfant puis d'un jeune adulte trahi, bafoué, humilié au nom de causes politiques ou religieuses, qu'il n'a jamais eu envie de soutenir. Juste pris dans l'engrenage. Avec une seule issue, la fuite…

Un équilibre précaire aux confins de la folie, qu'une « cargaison » pas comme les autres, un regard croisé et un passé qui ressurgit viendront mettre en péril.


C'est une lecture terriblement éprouvante, en raison du thème mais aussi de la force des mots pour raconter en peu de pages l'horreur à nos portes. Ce n'est pas une découverte, de temps à autre en fonction des priorités de l'actualité, les médias s'emparent de ce qui devient un fait divers, le temps de quelques gros titres. Et c'est la force de la littérature, de créer une prise de conscience plus marquante qu'une photo éphémère à la une d'un journal.
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Il y a des livres comme ça, comme le passeur, des livres qui vous laissent ko. Des livres qui vous laissent la gorge nouée, le coeur serré, enfin dont on ne peut sortir sans bleus à l'âme.
Sonné par cet uppercut… difficile de trouver les mots à chaud. Juste… whaou !!!

C'est un premier roman et autant vous dire que j'attends déjà avec impatience le prochain Stéphanie Coste.
Le passeur c'est Seyoum. Un nom, un homme qui incarne une des nombreuses manifestations des bas-fonds de l'être humain. Marchand d'espoir, trafiquant d'Hommes, spéculateur de misère, vendeur de larmes. Les migrants qu'il envoie à la mort c'est sa petite entreprise qui elle ne connait pas la crise.
Des raisons d'en arriver à ne voir que de la marchandise en des êtres désespérés aux alibis qui anesthésient la conscience d'un passeur, Stéphanie Coste met le lecteur dans la peau de cet homme qui s'il a choisi d'être une ordure, a peut être été un peu orienté par le destin. A chacun son histoire.
Difficile de croire en l'Homme, en sa bonté. Compliqué de se dire que derrière l'ignominie, il y a peut être un sentiment, une émotion. Et pourtant… ou pas…
Deux jours de la vie de cet homme qui nous entrainent dans les années 90 et dans la guerre entre Erythrée et Ethiopie et en 2015 entre la Libye et l'Italie. Deux jours pendant lesquels quelques cent cinquante vies vont basculer.
C'est court, ça se lit d'une traite, en apnée. C'est violent pour la dignité, pour l'honneur. Impitoyable pour le genre humain.
Comme on dit souvent, s'il y a un livre à lire en ce moment, c'est celui là. En fait les autres, là, tout de suite, je m'en tape.
Groggy après une telle lecture, je vois des étoiles partout, au moins six pour ce bouquin.
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Cruelle beauté que celle de l'histoire, très actuelle, de cet intermédiaire aussi médiatisé qu'invisible : le Passeur. Censé aider à traverser clandestinement la mer pour fuir guerres ou dictatures, il représente le dernier espoir de milliers de persécutés, contraints de quitter leur terre et leurs proches dans des conditions pire que précaires. Mais cet homme, qui va les aider à marcher sur l'eau, est-il leur sauveur ? Ou une épine de plus sur leur chemin de croix, un homme extorquant leurs économies pour n'organiser que leur naufrage ?


« « J'ai fait de l'espoir mon fonds de commerce. Tant qu'il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux oeufs d'or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d'en face. » »


Stéphanie Coste explore la question dans la peau de l'un d'eux : Seyoum. Après une nuit chargée d'alcool et de khat, contre la boule d'angoisse, de désespoir et de solitude qui l'étouffe un peu plus chaque jour, Seyoum reçoit sa dernière cargaison de migrants pour la saison. Pour engranger un max de pognon, il a un peu forcé sur le recrutement : si quelques-uns ne meurent pas dans les prochaines 24 heures, le bateau ne pourra pas tous les contenir. Alors il les parque dans sa réserve hermétique jusqu'à la nuit, sans eau ni nourriture histoire que la nature fasse son travail, baignant dans leurs excréments comme des cafards dans une boîte. Pour la der, le bateau acheté est un peu miteux mais une fois en pleine mer, ce n'est plus son affaire : il laissera le GPS à l'un de ces désespérés et rentrera peinard dans son zodiac, comme d'habitude. Faudra juste penser à retaper la coque, histoire que le bateau ne coule pas trop vite : Quand les morts reviennent s'échouer sur la côte, le garde-côte qu'on paye grassement pour fermer les yeux est sur les dents et augmente ses commissions… « Ce mec se prend pour Dieu. Il négocie même les cadavres ».


« « Une chauve-souris vampire est entrée dans ma tête, puis deux, puis vingt, et leur vol de pensées morbides se cognent sur les parois de mon cerveau en sang. » »


Seyoum n'est-il qu'un businessman insensible qui empoche le prix de la traversée, économise en achetant du matos chinois et tabasse sans sourciller les rares migrants ayant la force de se rebeller ? « Une fois que je les ai tous bien regardés et que chacun a baissé les yeux, je repose mentalement sur ma tête la couronne du roi tout-puissant de ces abrutis, et je quitte la pièce soumise. » le fait-il pour survivre ou par amour de l'argent facile? « Ma seule famille c'est le pognon. Dans ce monde y a que ça qui compte et qui te met à l'abri. » Est-il inhumain, où ce qu'il a vu et vécu l'a-t-il changé ? Lui-même s'interroge : « Je me demande quand exactement ma peur s'est transformée en résignation. A quel moment précis j'ai arrêté de me sentir humain. Je ne suis pas tout à fait une bête. Je suis une mécanique bien programmée ».


Stéphanie Coste y répond en alternant le récit de cette dernière traversée, des côtes libyennes à destination de l'Italie en 2015, avec le récit foudroyant et brutal du passé de Seyhoum (Érythrée), dans les années 90 puis 2000. Il y a de quoi perdre la raison lorsqu'on vous arrache tout, jusqu'à votre humanité. Alors elle achève de nous fait basculer dans l'horreur lorsque les deux époques se rejoignent. Preuve que le passé demeure toujours présent, tapi en chacun d'entre nous…


« « Le magma des formes entassées les unes sur les autres geint d'une seule voix épuisée, moquée par les rafales. Des bras et des jambes s'agitent dans le bordel, en quête d'espace et de respiration. Toujours les mêmes gestes inutiles entamant le processus habituel. L'asphyxie ne fait que commencer et avec elle, une fois en mer, viendront la panique, les piétinements, les affrontements, la loi du plus fort, les premiers morts balancés par-dessus bord. A ce stade, la notion d'être humain aura aussi été balancée dans les tréfonds marins. » »


Heureusement pour le lecteur, la plume sublime amortit le choc ; Paradoxalement, elle met aussi en lumière, par le contraste de beauté qu'elle apporte, l'atrocité de ce qu'elle décrit. En seulement 120 pages, elle nous livre un roman complet, addictif et puissant, sur une situation délicate dont les intrications échappent complètement aux protagonistes, pour leur plus grand malheur.


« « Un cri plus fort que le vent troue la tempête. Je vois à peine le mec tomber. Il a déjà été avalé par la mer ogresse. Puis un autre. Et combien encore ? le bateau se vide, et comble l'appétit de la mer. » »


Sombre histoire, où la plume apporte le souffle nécessaire pour lire l'indicible. Tandis que celle brute et épurée de Takiji Kobayashi dans le Bateau-Usine ne nous était d'aucun secours, nous sommes ici portés par une plume poétique comme une caresse, un baume sur les plaies profondes de ces âmes anonymes et des nôtres, martyrisées par leurs innommables et innombrables épreuves. Comme si l'auteure voulait repêcher chaque âme avec le son de ses mots. C'est dur bien sûr, mais c'est à lire. Parce que la littérature a aussi cette fonction merveilleuse de nous révéler ce qu'on ne voit pas des gens ou des situations, notamment derrière les faits divers qui nous semblent parfois trop lointains pour être incarnés et nous interpeler vraiment.


« Alors, qu'est-ce que tu décides, Seyoum ? Tu foires tout ou tu prends les choses en main ? »
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Il s'appelle Seyoum, il est érythréen, devenu un passeur presque incontournable de la côte libyenne. Son business fonctionne à merveille. En face, à quelques centaines de kilomètres de là, derrière ce rideau de ciel et de brume, c'est l'île de Lampedusa, la terre promise, l'eldorado, du moins c'est ce qu'on vend à ceux qui n'ont plus d'espoir, ni de cité de ce côté-ci du continent africain, fuyant la misère, la barbarie, et retrouvant une barbarie tout aussi monstrueuse, à deux enclaves de la liberté, enfermés dans des containers surchauffés, antichambre avant l'océan, les naufrages, les corps rejetés par la mer... Seyoum triomphe et s'enrichit sur ce business...
Nous sommes en octobre 2015 à Zouara, en Libye. L'automne, cela veut dire le dernier trajet pour l'année.
Le désespoir est le paysage de ce récit. Pour Seyoum, cela ressemble à une ultime séparation, la « cargaison », - ce sont ses mots, de migrants prêts à partir, mais cette fois ils sont trop nombreux, c'est une équation insoluble, comment faire alors pour que ce soit bien le dernier voyage avant le printemps, un voyage qui devra être plus allégé côté passagers, tant ils sont nombreux. C'est l'ignoble équation dans la tête d'un être devenu fou.
Ici c'est l'enfer du décor comme une plaie béante, à vif.
Pourtant, une image, celle d'un visage, va le sidérer, le réveiller de sa torpeur, le ramener à la lucidité, celle de son existence et du peu de sens qui en subsiste...
Ce texte dit l'impossible horizon, l'indicible rivage, l'insoutenable traversée, traversée des pages de ce livre qui traversent elles aussi des histoires poignantes. C'est un texte court, violent, tragique, d'une beauté effroyable par son style, l'effroi convoqué ici est à l'inverse de la poésie que Stéphanie Coste invite dans son récit comme des mots qui ont aussi le rôle de passeurs...
Le passeur est un cri de détresse qui traverse les océans, parvient jusqu'à nos oreilles, nos yeux, nos peaux, peut-être les ignorent aussi. Chacun à sa manière, avec son vécu, son histoire, ses opinions, sera une éponge ou sera verrouillé face à un récit de cette puissance dévastatrice.
C'est un peu comme si nous étions à chaque instant dans la tête de Seyoum et de cette insoutenable présence dans sa tête, dans son esprit, nous donne presque envie de vomir...
Seyoum est quelqu'un qui a échoué ici, sur cette côte libyenne. Déjà une autre guerre dans un autre pays avant, avait sans doute alors tué son enfance...
Qu'est-ce qui a transformé Seyoum en monstre ? Qu'est-ce qui a transformé cet adolescent généreux, amoureux et attachant en monstre cruel, cynique et fou ? Ravagé par l'alcool et son addiction aux feuilles de khat ?
De temps en temps, les seules respirations offertes au lecteur sont des moments de retour vers le passé, qui expliquent sans doute, ou du moins tentent de comprendre le comportement et la folie de Seyoum. Les instants où l'enfance de Seyoum s'arrêta comme un couperet sont éprouvants.
Le passé de Seyoum ressurgit comme une claque, comme un coup au ventre.
Dix ans à peine séparent deux rives d'un temps à l'autre, le temps que la barbarie fasse son oeuvre.
Des guerres insatiables depuis la nuit des temps dévastent l'humanité. À quel point le monde qu'on laisse derrière soi est-il un enfer devenu insupportable, pour "accepter" dans celui-ci ? Mais peut-être n'ont-ils plus le choix...
Passeur d'une rive à l'autre, parfois celle entre la vie et la mort paraît si peu éloignée, avec quelque chose qui y ressemble...
Le passeur, ce mot est pourtant si noble, passeur d'une rive à l'autre, d'un continent à l'autre, passeurs de mots, d'idées, de sens... Ne sommes-nous pas tous un peu des passeurs à notre manière ici ?
Ce récit m'a bousculé, m'a cogné... J'ai aimé ce roman triste et désespérant, en me demandant comment il serait possible parfois de changer le cours des choses...
Je me souviens ici d'Abdullah que nous avions accueilli à Brest dans notre association d'accueil de migrants mineurs. Il était fier, taiseux, un jour il me parla de sa soeur qu'il vit se noyer sous ses yeux dans une embarcation en Méditerranée. Devant moi il se mit à pleurer.
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Moi, Seyoum, je suis un passeur.
Passeur de vie à trépas, pourvu que ces désespérés paient, et ils paient cher leur passage, depuis la Somalie ou l'Erythrée, après une traversée du Sahara ( où il en meurt un tiers, c'est ça de moins à gérer)pour arriver sur les côtes de Libye, et tenter Lampedusa.
Moi je suis le caïd, et mon fond de commerce, c'est le désespoir ou plutôt l'espoir , le rêve imbécile qui les fait ramper devant tout.
J'ai à dos les gardes côtes, qui se sucrent tant qu'ils peuvent et doivent jouer au plus fin avec les ONG. Tout le monde sait bien que la côte est une passoire. J'ai à dos les autres mafieux qui de plus en plus veulent goûter au plus juteux de tous les trafics, celui des êtres humains, plus juteux que les armes , plus juteux que la drogue, c'est dire.

J'ai mes sbires, qui m'obéissent comme des chiens, et à qui je donne l'ordre de fouetter de temps en temps la marchandise massée dans l'entrepôt, elle attend le passage, cette masse de marchandise, or il ne faudrait pas, en plus, qu'ils trouvent leur sort injuste, ou que l'on devrait les nourrir, par exemple.
Bref, ils attendent le passage, sauf que cela devient compliqué de trouver des rafiots qui font de toute façon un voyage unique Lybie/Italie. Et qui en pleine mer, on le sait, couleront. C'est là qu'ils commencent tous à m'emmerder, il y a trop de naufrages, disent-ils, sauf que trouver des bouts de bois pour réparer des fonds de vieux bateaux, il faut s'y mettre sec , car marché noir et manque de matériel.

Retour en arrière, après la guerre d'indépendance entre l'Ethiopie et l'Erythrée, s'est instauré dans ce dernier pays devenu indépendant une des pires dictature qui soit : service militaire obligatoire et à temps indéterminé, pour tous (TOUS et TOUTES), période qui relevait plus de la torture organisée (par exemple au camp de rétention de Sawa, violences inouïes, tortures et viols) que de la préparation militaire devenue inutile d'ailleurs, puisque l'indépendance était gagnée. Un des pays les plus pauvres du monde, et qui se retrouve entre les mains sanglantes d'un fou furieux.
Ne pouvant évidemment pas quitter ( avant de se faire exterminer) l'Erythrée pour
le Yémen ou l'Arabie Saoudite , beaucoup se rattachent au pays connu des grands parents, l'Italie , et commence alors l'aventure mortelle que l'on ne peut comprendre que si on a compris la misère et la folie qu'un peuple doit subir et qu'il doit absolument fuir.

Alors, moi Seydoum, j'ai tout perdu jusqu'à mon humanité, je m'enferme dans ma cabane et dans ma tête, je mâche des boulettes de khat, je les arrose de gin, beaucoup de gin, je pars loin dans la défonce.
Des chauves souris entrent dans ma tête, tout est brasier, je descends dans le sadisme, mais, merde, « le môme de vingt ans résiste et ne veut pas disparaitre dans la cuve des chiottes comme le gin. »

Epoustouflant roman, premier roman de Stéfanie Coste « le passeur », avec ses phrases acérées , sa manière percutante d'entrer dans la tête du passeur cynique, son évocation rapide et ciblée des exactions du camp de Sawa, ainsi que de la corruption des différents protagonistes de la côte libyenne à Zaouara, les ONG, le banquier, les gardes côtes, les différents passeurs et leur hiérarchie impitoyable, enfin Seyoum, dont l'auteur rappelle l'enfance presque heureuse à Asmara, la capitale de l'Erythrée. Presque, puisque la guerre de libération avait fait place à la tyrannie et à la folie.
Epoustouflante, l'écriture, la tension, le retrait apparent de l'écrivain, ce qui donne mille fois plus de force à son récit, à la fois dur et sobre, gagnant en force par cette sobriété racontant la folie des hommes, leur appât du gain, leur cruauté et leur sadisme.
Chef d ‘oeuvre, chef d'oeuvre, j'insiste, à lire, et merci aux babeliotes dont Cannetille, Kittiwake ,LaBiblidOnee et Terrainsvagues qui m'ont donné envie de lire « le passeur ».
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Au bord de la mer, sur la côte Lybienne, Seyoum achète du matériel pourri, camions et bateaux. Il se moque de savoir si les migrants survivront ou non.
Il attend qu'on lui livre des candidats à la traversée vers Lampedusa. Les malheureux sont parvenus à réunir l'argent nécessaire pour le voyage et à parcourir le désert du Sahara.
C'est la dernière traversée de l'année pour le passeur, ensuite il ferme jusqu'à la saison prochaine. Les migrants déjà arrivés sont enfermés dans un entrepôt, sans eau ni vivres, certains commencent à se révolter, un aléa que Seyoum sait résoudre avec cynisme, mais il n'est pas préparé à la rencontre qu'il va faire.
Le style de Stéphanie Coste frappe, il est puissant. L'auteur n'a pas besoin de s'étendre sur des scènes excessivement violentes, sa façon de raconter suffit pour comprendre l'horreur quotidienne.
Une très bonne surprise que ce premier roman

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Qui est Seyoum ? Un des plus gros « passeurs » de clandestins désespérés fuyant la guerre ou tout simplement une misère noire. Cet homme jeune a l'esprit ravagé par l'alcool et le khat dont les feuilles ont un effet stimulant et euphorisant comparable à celui de l'amphétamine.
Il a perdu toute son humanité… Enfin, le bon côté car pour ce qui est du côté sombre de l'être humain, il en a à revendre.
A-t-il toujours été comme ça ? Il fut un temps où il vivait heureux à Asmara au sein d'une famille très aimante avec un père journaliste qui s'était battu pour l'indépendance de l'Erythrée et qui était proche du président, un homme qui va se révéler, une fois au pouvoir, un fou tyrannique qui va transformer son pays en « Corée du Nord » de l'Afrique…

Critique :

Âmes sensibles s'abstenir ! Ce roman est d'un réalisme cru tel qu'il ressemble davantage à un reportage en Enfer qu'à une fiction. J'ignore où Stéphanie Coste a été puiser ses informations, mais tout semble tellement véridique que l'on ne peut qu'être choqué par l'inhumanité de ces passeurs… Et s'interroger sur le fait de laisser ces gens mourir en mer… Et là, il y va aussi de notre responsabilité…
Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, il paraît… Pourtant des pays bien plus pauvres accueillent des millions de réfugiés, là où il nous paraît impossible d'en accueillir quelques centaines.
Fin de la parenthèse ! Revenons à ce livre extraordinaire, « le Passeur » … Un premier roman, paraît-il… Incroyable ! C'est tellement puissant et révoltant qu'il sera difficile de l'oublier. Il fait partie de ces ouvrages qui marquent pour longtemps. L'écriture de Stéphanie Coste sonne vrai. La construction avec ses allers-retours dans le temps permet de comprendre peu à peu comment on devient une crapule comme Seymoun que rien ne destinait à devenir un individu inhumain. le parcours qui fut le sien a de quoi transformer un ange en démon. Ce n'est pas par accident qu'il est devenu monstrueusement égoïste, non ! C'est la cruauté d'autres hommes qui a fait de lui un sans-coeur… pour lequel on finit par éprouver de la sympathie vers la fin du récit quand on découvre ce qu'il a vécu et les trahisons qu'il a subies.
C'est un pur chef-d'oeuvre !
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