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Critique de Tlivrestarts


Editions Luce Wilquin

Tout commence avec une citation de François EMMANUEL, "L'oeuvre, une ombre plus fidèle que la biographie." semant le doute entre la fiction et la réalité. Dominique COSTERMANS s'est effectivement inspirée de faits réels pour l'écrire...

Nous sommes en mai 1969, il y a tout juste 48 ans, une petite fille, Lucie, est convoquée par ses parents pour la préparation de sa première communion, cette "première visite de Jésus dans son coeur". Sa mère lui présente une image pieuse servant de modèle. Il s'agit de celle d'Hélène Morgenstern célébrée en mai 1946. Qui est Hélène Morgenstern ? Quels liens avec sa propre famille ? Quelle influence sur sa propre vie ? Lucie, interpellée, va partir en quête du passé de cette enfant dont les premières traces apparaissent il y a une bonne vingtaine d'années. Nous étions à la fin de la seconde guerre mondiale !

Je ne vous en dis pas plus car il s'agit du sujet même de ce roman.

Lucie est la narratrice. Elle explique sa démarche :

"Je l'écris pour Hélène. Je l'écrits contre son gré.

J'écris aussi cette histoire pour mes enfants. Je l'écris pour mettre à plat, comprendre, reconstituer, mettre de l'ordre. Pour transmettre." P. 19-20

Vous l'aurez compris, ce roman va alterner les passages dédiés aux recherches menées par Lucie et la vie d'Hélène découverte progressivement au gré des pièces qui vont lentement trouver leur place dans le grand puzzle familial. Il va y avoir une alternance aussi dans le temps, avec chaque fois une génération d'écart.

Et puis, il y a un mystère qui éveille tout de suite la curiosité de Lucie enfant, sa propre mère s'appelle Hélène. Y a-t-il un lien entre les deux femmes ? Un secret plutôt ? précieusement gardé ! Pourquoi cette intonation dans la voix de sa mère quand Lucie pose la question de qui est Hélène, ce ton employé comme voulant mettre un point final à l'échange, un ton qui ne semble pas laisser de discussion possible autour d'un passé de longue date resté caché. Il n'en faudra pas plus, bien sûr, pour susciter les convoitises de Lucie, les punitions dans la chambre de ses parents dont toute l'intimité semble servie sur un plateau doré ne feront que renforcer les velléités de l'enfant à découvrir l'histoire d'Hélène.

La grande Histoire va ponctuer l'itinéraire d'Hélène, voire de Lucie. Elle va laisser des traces plutôt inavouées vous l'aurez compris. Pendant la seconde guerre mondiale qui s'invite régulièrement maintenant dans la littérature contemporaine que l'action d'écrvain.e.s s'évertue à montrer, il y a eu des résistants à l'image de Jeanne Heon-Canone magnifiée sous la plume de Aude le Corff dans "L'importun", il ya eu des femmes dont l'amour supposé ou assumé pour des Allemands a été rappelé par Jacky DURAND avec "Marguerite", il y en a eu d'autres qui ont mené la vie d'ordinaires français percutée par les événements et le départ au front des maris comme Emélie et Muguette, les héroïnes du dernier roman de Valérie TONG CUONG "Par amour", il y a eu des structures pour emprisonner des êtres humains désignés comme les hommes et les femmes à exterminer comme le Camp de Gurs dénoncé par Diane DUCRET dans "Les indésirables", d'autres pour soigner comme le sanatorium d'Aincourt dont la mémoire est assurée par Valentine GOBY avec "Un paquebot dans les arbres", et puis, il y en a eu qui ont collaboré avec l'ennemi notamment dans le Nationalsozialistiche Kraftfahrkorps (NSKK), une organisation paramilitaire du parti nazi qui n'a pas recruté qu'en terres allemandes mais a aussi accueilli des volontaires étrangers.

Certains Belges y ont trouvé leur voie, c'est le cas de Charles Morgenstern. Comme d'autres juifs, il s'y est engagé pour servir l'occupant, celui dont les siens sont pourtant l'une de ses premières cibles. Mais pourquoi ?

Dominique COSTERMANS essaie d'en exposer les motifs :

"[...] par opportunisme, par naïveté, par jeunesse, pour sauver leur peau, pour manger." P. 66

Quel passé bien lourd à porter pour les générations suivantes, c'est ce que la famille de Lucie essaie de surmonter au quotidien.

"Ils savent cependant qu'ils avancent dans le passé comme des démineurs, les bras chargés de grenades dégoupillées." P. 100

La démarche de ce roman est à l'image de celle menée par Marie BARRAUD dans son 1er roman "Nous, les passeurs", publié également lors de cette rentrée littéraire de janvier 2017.

Il n'en a toutefois pas la même construction. J'avoue avoir été parfois désarçonnée par la multitude de personnages dont les destins individuels sont imbriqués les uns dans les autres. L'arbre généalogique des dernières pages est indispensable pour donner une vision globale de la famille. L'émotion y a été moins forte aussi mais il n'en reste pas moins un roman puissant.

Je voudrais saluer le devoir de mémoire auquel l'écrivaine concourt et pour cette voix donnée à

"toute une génération après la guerre, celle des rescapés, celle des revenus-de-l'enfer, celle des enfants cachés, celle des survivants. [...] Ils avaient survécu, leur souffrance était inaudible : on les priva de parole. Ou ils se résignèrent d'eux-mêmes au silence." P. 26

Avec ce roman, elle contribue aussi à offrir une certaine émancipation du passé à des générations qui en étaient privées :

"Je sais que les secrets de famille se nourrissent dans l'ombre de nos inconscients, restreignant la part de liberté de ceux qui les subissent." P. 110

Quant à la plume, le nombre de citations révèle une grande qualité, des mots justes. Je voudrais maintenant accéder au registre des nouvelles de Dominique COSTERMANS.
Lien : http://tlivrestarts.over-blo..
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