Aucun autre titre n'aurait pu être plus approprié pour ce petit bijou de noirceur.
Le
kintsugi, c'est d'abord l'art japonais de réparer des porcelaines avec une laque saupoudrée d'or. Les objets brisés prennent alors une apparence unique, leurs cicatrices dorées sont mises en valeur. Ces objets chargés d'histoire sont prisés par les collectionneurs.
Par extension, le
kintsugi est devenu l'art de soigner les âmes, d'être en paix avec soi-même.
"Elle ne peut pas comprendre que je suis en train de recoller les morceaux de ma blessure ouverte."
La poupée fracassée, puis réparée, en couverture, l'illustre superbement.
Le roman de
David Coulon évoque le deuil brutal de Marie, héroïne torturée par l'inacceptable mort de son époux Marc et de leur fille Lilas dans un accident de la route.
La résilience devra passer par les cinq étapes que l'on connaît : Déni, Colère, Marchandage, Dépression, Acceptation.
Le lecteur vivra chaque moment au travers du prisme déformé par l'absolue souffrance du personnage principal, qui devra trouver des raisons de continuer à avancer.
Qui ne comprend pas.
Qui ne sais pas pourquoi.
Qui nie une réalité intolérable et ne voit plus que la réalité qui l'arrange.
Sombrant dans une réconfortante folie.
Quelques personnages secondaires vont accompagner son parcours, sans qu'on sache si leurs interactions sont vraiment celles qu'elle nous décrit ou seulement celles qu'elle imagine.
La femme médecin qui évoquera le possible don d'organes de Lilas avec l'empathie d'une porte de pénitencier.
L'inspecteur Paulic, curieusement prêt à tout pour l'aider à franchir ce cap difficile.
Un couple de cas sociaux, violent et alcoolique.
Une belle-mère très à cheval sur les règles.
Ses meilleures amies, le chauffard meurtrier, le petit bonhomme...
Ils n'ont que peu de relief, et c'est très bien comme ça. Nous ne connaissons d'eux que la perception déformée, tronquée, d'une femme qui a perdu tous ses repères du jour au lendemain et qui sera envahie par le deuil, sous toutes ses formes.
Marie vit avec ses morts, pas avec les vivants.
"Les fantômes n'existent pas et pourtant, cela ne les empêchent pas de hanter notre existence."
Ce qui m'a le plus épaté, c'est l'écriture du roman.
Elle est totalement au service des méandres de solitude et d'obsessions de Marie. de son étouffant chagrin. de son dérapage vers sa propre réalité parallèle. le lecteur plonge en apnée avec Marie.
Un livre peut se dévorer tout en ayant un style extrêmement travaillé.
Epuré, haché, hanté, lancinant, désespéré. Toujours dans l'urgence.
"Seul leur monde a de l'importance.
Là, dans ce monde qui n'est pas le mien."
Le propos est dur, mais le d'une rare intelligence. On sort des sentiers battus. C'est profond et marquant. Habilement construit.
La religion en prend pour son grade.
"Nous sommes les latrines de Dieu. Dieu tue nos maris et nos enfants."
Les vivants deviennent abstraits tant les disparus occupent toutes nos pensées.
L'anonymat du don d'organes revêt un aspect cruel qui ne laisse pas indifférent.
Le petit côté décalé de la trame permet en outre de retrouver sa respiration de temps en temps, voire de sourire parfois devant l'étrangeté ( ou même l'absurdité ) de la tournure des évènements.
Après le décès d'un proche, la route de l'acceptation est un chemin de croix, et
David Coulon propose au lecteur de tenir la main de Marie et de l'accompagner tout au long de son parcours.
Et non, envers et contre tout, je n'ai jamais songé à la lâcher.