Un titre est déjà une porte d'entrée vers un livre, un univers, une plume. Ceux de
Mia Couto sont emplis de profondeur et de poésie. Ils nous invitent à entrer dans son monde, celui de l'absence et des silences, de la mémoire et de l'histoire du Mozambique.
Après «
l'accordeur de silences », je m'étais promise de revenir vers cet auteur mozambicain dont la plume m'avait marquée par sa beauté et sa force narrative empreinte d'onirisme et de folie. J'ai donc choisi «
Le cartographe des absences », suite au billet de Chrystèle (@HordeDuContrevent) qui n'a pas son pareil pour trouver des perles.
C'est un récit émouvant et profond qui nous amène à réfléchir à travers l'histoire familiale de Diogo Santiago, au colonialisme et aux guerres d'indépendance, au poids des souvenirs et aux réalités cachées, au pouvoir de l'écriture et à la place du poète face à la guerre.
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Alors que le cyclone Idai se rapproche des côtes du Mozambique, Diogo Santiago, un poète reconnu et estimé, revient à Beira, sa ville natale, pour y recevoir l'hommage de ses concitoyens.
Mais en quête de son histoire et des lieux de son enfance, ce retour est avant tout pour lui un rendez-vous avec son passé et ses fantômes, ses souvenirs de jeunesse et ses drames, alors que le Mozambique était encore à l'époque sous domination portugaise.
« C'est ici que mon enfance s'est déchirée, … je viens réparer cette déchirure. »
« Voici ma maladie : il ne me reste plus de souvenirs, je n'ai que des rêves. Je suis un inventeur d'oublis. »
C'est un passé révolu qui a laissé des cicatrices certes anciennes, mais visibles et indélébiles. Nous voilà entrainés à la suite de Diogo dans sa recherche de lui-même. Et c'est un véritable cheminement qui l'enlace aux souvenirs de son père, poète également et journaliste engagé dans la lutte contre la colonisation portugaise dans les années 1970.
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J'ai trouvé l'histoire assez complexe.
Le roman restitue avec justesse et profondeur, les évènements tragiques de la décolonisation au travers de lettres, d'extraits de journaux intimes, d'interrogatoires, d'archives et de témoignages des vivants, mémoire indispensable pour ne pas oublier.
Tout se mélange, passé et présent, époque coloniale et violences de l'armée portugaise à l'encontre des populations noire, histoire familiale et collective, oubli et besoin de se souvenir, comme si le cyclone était déjà présent entre les lignes, tourbillonnant, de sorte que la mémoire du passé s'incruste dans le présent.
Dans ce remous où se rejoignent présent et passé, réalité historique et fiction, victimes et tortionnaires, rapports de force entre blancs et noirs, oubli et héritage, une multitude de personnages se croise, dont le destin sera changé par leurs rencontres.
Chaque personnage est finement brossé, même les personnages secondaires. Dans ce récit spiralaire, chacun gagne peu à peu en consistance. Il y a de très beaux portraits de femmes, comme celui de Maniara ou d'Almalinda, toutes deux entraînées dans un monde chaotique de violence et de haine.
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L'auteur crée une ambiance étrange et hantée par les souvenirs de la décolonisation et des disparus, soulignant ainsi l'impact psychologique de cette période douloureuse.
« … la nuit est la même araignée sombre qui émerge des entrailles de la terre et grimpe par le toit de la maison. Tous les matins, je défais la toile. Toutes les nuits l'araignée renaît. »
A travers la narration du fils et les écrits du père, l'auteur fait naître des personnages authentiques animés par la violence et la peur, la douleur et les regrets, la solitude et le manque, la perte et le chagrin.
Dans les notes de l'auteur, on apprend que ce roman est inspiré d'évènements et de personnages réels. Celui qui apparaît central dans cette oeuvre est sans aucun doute l'image de son père. Journaliste et poète, il reçut les preuves d'un massacre commis par les troupes portugaises au Mozambique, en 1973.
« S'il y avait un enfer sur terre, cet enfer était la ville d'Inhaminga »
L'auteur a hérité de son père cette attirance pour les mots. La poésie lui permet le langage des émotions et de l'intime. Elle ose voyager au coeur des sentiments pour les rendre visible au regard des autres.
C'est un récit empreint de mélancolie et de tristesse qui ne peut que séduire par son écriture aussi délicate que profonde. L'écriture est remarquable, les dialogues ciselés.
« La poésie n'est pas un genre littéraire, c'est une langue antérieure à tous les mots. »
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Le cartographe des absences » est l'histoire d'un père et d'un fils pris dans les turbulences de l'Histoire, une vie qui tente de se reconstruire après les traumatismes en rassemblant et recousant les morceaux épars de son histoire.
Le roman le plus personnel de l'auteur, sans aucun doute.