Moi, j'ai pas fait le Vietnam !
Les vétérans de cette guerre napalmée mériteraient une liste sur Babelio. Elle doit exister. le casting est toujours le même. Des héros inadaptés à la vie civile, objecteurs de mauvaises consciences, insomniaques, sapés comme des serpillères, détectives privés alcooliques (pléonasme) aux douleurs anonymes, fans de poudreuse et de neiges artificielles, avec pou seules béquilles des amitiés viriles bien hirsutes, des amours éphémères oubliables et une certaine propension stallonienne à la violence. Des auteurs et des personnages qui biberonnent aussi à la testostérone. le détox, c'est de l'intox.
En résumé, les enquêtes des anti-héros de
James Crumley ne sont pas faites pour les réformés P4 ou les pacifistes déconstruits.
James Crumley est considéré comme une des plus grands auteurs de polars et je ne suis pas loin de penser la même chose depuis la lecture du « dernier baiser », qui mettait déjà en scène son détective C.W.Sughrue, détective marginal miteux au nom de meuble scandinave, clébard renifleur de disparus volontaires.
Sughrue est chargé ici par des jumeaux obèses, collectionneurs d'armes de guerre, de récupérer… des poissons tropicaux rares volés par le chef d'une bande de bikers surnommé Norman l'Anormal. Pas de foulure de l'hippocampe en vue pour comprendre l'intrigue. Un QI de poisson rouge suffit pour surnager. Rien à voir donc avec le titre trompeur du livre qui fait référence à des magrets mal élevés.
Tout se complique dans le bocal quand le détective est débauché par le kidnappeur d'écailles pour retrouver sa pov'moman disparue. Cette dernière, d'origine mexicaine, est mariée à un politicien aussi véreux que raté, qui arrive à perdre les élections qu'il achète et qui fricote avec des trafiquants de drogue.
Aidé par d'anciens vétérans sortis d'une cour des miracles revenus de l'enfer en treillis, avec un avocat unijambiste, un flic cancéreux et un postier hargneux comme un téquel de grand-mère, Sughrue se lance dans une croisade qui ne va pas s'attaquer aux infidèles mais à des narcos infréquentables.
Chez
Crumley, comme ses personnages, on ne dessaoule jamais vraiment en s'abreuvant de cette prose jamais sevrée d'ironie. C'est le meilleur moyen d'éviter la gueule de bois. Il n'a pas la plume pâteuse du lendemain mais ses polars ancrés dans l'Amérique profonde avec une ambiance de bar poisseux dans lesquels il est plus facile de déclencher des bagarres générales que des ateliers philosophiques, placébos des blessures de l'âme, est à conseiller aux mauvais esprits.
Par contre, la sécurité routière ne prescrira pas la lecture des romans de
James Crumley pendant les grandes transhumances. Circulez, y'a rien à boire. Sughrue assume sa dépendance à la picole et aux drogues. Ordonnances contre son désenchantement du monde.
Moins abouti que «
le dernier baiser », je me suis perdu un peu dans le dernier tiers de roman dans lequel les expéditions punitives se succèdent de façon un peu confuse et où il devient difficile de distinguer les méchants des très méchants. Peu importe, je me suis laissé porter par le souffle alcoolisé de ces personnages déjantés et par le style de
James Crumley, dieu du Montana.
A lire cul sec.