Avec les progrès de la biologie, nous sommes même capables de contrôler nos gènes ! Finalement, nous sommes devenus plus puissants que ces gènes. Nous savons que ce sont nos expériences et nos cultures qui permettent l’expression de certains gènes ou l’inhibition de certains autres.
En revanche, si on emploie le terme d’émergence, ou encore les termes de gradualité, de gradient, on peut raisonner différemment et proposer l’idée suivante : un petit d’homme qui arrive au monde ne peut devenir qu’un homme (puisqu’il a un programme génétique d’homme) et mille hommes différents selon son façonnement affectif, maternel, familial et social.
En somme, comme l’affirme Cioran, le drame n’est pas tellement de mourir, mais d’être né, puisque la mort commence à la naissance.
Penser en terme contextuel nous fera certainement faire des progrès décisifs et pas seulement cognitifs. Aujourd’hui, toutes ces connaissances fragmentaires ont quelque chose de mortel. On a créé des catastrophes naturelles en détournant des fleuves en Sibérie ou en faisant des barrages inconsidérés, on détruit des cultures dans une logique économique close. Il s’est développé ce que j’appellerai une intelligence aveugle aux contextes et qui devient incapable de concevoir les ensembles. Or, nous sommes dans un monde où tout est en communication, en interaction…
Dès le xviie siècle, deux types de pensée se posaient. Celui de Descartes (qui a triomphé) disait : « Quand je vois un problème très compliqué, je divise ses difficultés en petites parties et une fois que je les ai toutes résolues, j’ai résolu le tout ». Celui de Pascal disait : « Je ne peux pas comprendre le tout si je ne connais pas les parties et je ne peux pas comprendre les parties si je ne connais le tout », invitant à une pensée en navette. Pascal n’a malheureusement pas été entendu, ni même compris.
En fait, le contresens est d’avoir fait croire qu’un objet de science pouvait être cohérent alors qu’il est un morceau du réel, arbitrairement découpé par la pensée, la technique et le laboratoire.
La pensée occidentale (et c’est son grand piège) a fini par croire que la partie peut être séparée du tout, alors que la partie est un élément du tout.
On peut d'ailleurs s'interroger sur la définition d'une société complexe. C'est une société, aux contraintes très faibles, où les individus et les groupes auraient beaucoup d'autonomie et d'initiative. Mais à la limite, pourrait-on dire, une société très complexe se dissout car il n'y aurait plus rien qui relierait les individus entre eux. CE serait finalement le pur désordre! Si l'on veut que la communauté existe sur le plan humain, avec le minimum de coercition, on ne peut s'appuyer que sur le sentiment de solidarité et de communauté en chacun des membres. Sans cela, c'est la destruction.