Il faut beaucoup aimer les hommes

« L’Afrique est une fiction d’ethnologues. Il y a des Afriques. Idem pour la couleur noire : une invention. Les Africains ne sont pas noirs, ils sont bantous et bakas, nilotes et mandingues, khoïkhoïs et swahilis. » (p. 93)

Elle se tint immobile. Et les heures jusqu'au matin, crucifiantes furent comme un condensé de ce qu'elle vivait avec lui, à attendre encore un autre jour, à attendre insoutenablement.

Certes il y a des Afro (lui expliquait Kouhouesso) , des Afro-Américains qui veulent devenir africains. Retrouver l'Afrique qu'on leur a volée. En général la fin de l'épisode est peu glorieuse. Soit ils ont peur de quitter une seule seconde le Sheraton de Monrovia. Soit ils sont rapatriés pour dysenterie. Au pire ils finissent en ratas à Addis-Abeba, à prêcher que les femmes ont la souillure du diables, sans renoncer jamais à leur passeport américain. Infiniment plus nombreux sont les Africains qui veulent devenir américains.

Cela faisait des mois qu'elle n'entendait causer que de son film, il pouvait peut-être s'intéresser deux minutes à ses dadas à elle ? Ou était-ce une incapacité congénitale à écouter ce qu'elle avait à dire ?

Le début est comme une entaille, elle ne cesse de revoir le début, net tranché dans sa vie, alors que ce qui suit semble monté à l’envers, ou coupé, ou dans le désordre.

Et il ne croyait pas que l'amour soit plus fort que la mort, c'était bon pour Walt Disney. Non, on ne peut pas s'aimer dans une bulle ou sous le parapluie de Mary Poppins.

Elle pouvait le tenir dans ses bras, et elle se disait : il est ici, avec moi, dans moi. Provisions pour la mémoire. Provisions pour la force. Car déjà une autre le force le voulait, elle le savait, qui chercherait à le lui prendre, toujours.

Il aime lire. Elle s’enhardit, rit de son vrai rire. « Il n’y a rien de plus sexy qu’un homme qui lit. »

Ils étaient politiques. Elle qui n’usait jamais de ce mot goûtait la provocation de se promener à son bras. Rien : une infime perturbation de l’espace, une légère vacillation dans le regard des passants : un Noir et une Blanche. Ensemble.

Aujourd’hui encore elle frotte ce souvenir contre sa mémoire et il en sort du chaud, du rouge. Des fulgurances de joie. Elle se revoit, elle se re-sent, entrer dans l’attente comme dans une mer effervescente. L’attendre merveilleusement.