Alphonse Daudet a publié plusieurs recueils de contes, parmi lesquels les deux premiers ont établi sa célébrité, au point d'éclipser quelque peu le reste de l'oeuvre. "Les
lettres de mon moulin" datent de 1869; "Les
contes du lundi" de 1873. Entre les deux, deux évènements terribles, qui bouleversent le déroulement de l'Histoire, et entraînent inéluctablement un profond changement de mentalités : la Guerre de 1870 contre les Prussiens, et la Commune de Paris.
Ce changement imprime de façon très nette sa marque entre les deux recueils : "Les
Lettres de mon moulin" est une chronique du Sud (Provence, beaucoup, et Algérie, un peu), marquée par le soleil, la chaleur (physique et humaine), une certaine joie de vivre..."Les
Contes du lundi" au contraire sont plus sombres, et pour cause, ce sont des anecdotes de guerre, d'occupation, de mort, ou alors de souvenirs, qui par contrepoint les rendent encore plus aigus, avec de façon insolite, pour garder peut-être le lieu avec le premier recueil, quelques contes provençaux.
Toute la première partie ("La fantaisie et l'histoire") est consacrée à la guerre. le terme "fantaisie" ne doit pas prêter à confusion, il n'est pas question de présenter ici la guerre comme une gaudriole, un prétexte à facéties. le ton reste réaliste d'un bout à l'autre, mais
Alphonse Daudet (c'est sa nature) tient à montrer un côté populaire, affable, humain pour tout dire, et c'est de ce contraste entre la dureté, parfois cruauté des situations, et la façon dont elles sont rendues que naît l'émotion. Car Daudet, on le sait, on en a eu maintes fois la preuve, est un écrivain qui sait faire naître lés émotions, que ce soit le rire ou les pleurs, la joie partagée ou la compassion. de ce point de vue, le premier conte "La dernière classe", est un chef-d'oeuvre.
A côté de cette première partie saisissante, les deux autres ("Tableaux parisiens" et "Caprices et souvenirs", paraissent, il est vrai, un peu fades. le propos est sans doute d'offrir un contrepoint aux situations dramatiques qui font l'objet de la première partie. de valeur inégale, ces petites historiettes restent dans le domaine du superficiel, de l'anecdotique. J'ai un souvenir personnel avec "Le pape est mort". Ce conte m'avait frappé par sa naïveté et l'exquis talent de l'auteur pour la restituer. J'avais rendu un devoir de français bâti sur le même style, mais le prof, ne saisissant pas qu'il s'agissait là d'un "devoir de composition" (comme on dit un "rôle de composition") m'avait sèchement aligné...
Daudet, lui n'imitait personne, et c'est lui qui, au contraire, est inimitable. Je ne connais pas beaucoup d'auteurs, dans notre littérature (à part
Pagnol, peut-être) qui allient dans leur oeuvre une si grande connaissance de l'âme humaine, une si grande compassion, une si grande tendresse pour "les gens", bref une si grande humanité, liée avec une écriture aussi fluide, aussi proche du lecteur.
"Les
Contes du lundi" paraissent très différents, en apparence, des "
Lettres de mon moulin", mais en fait, les deux recueils se complètent, et finalement reflètent assez parfaitement le profil de l'auteur : un homme particulièrement sensible et humain, et un grand écrivain.