Il est vrai que parfois, j'atterris, et je découvre des BD devenues classiques. Mais c'est ça qui est bien avec les livres : il y en a toujours un qui sort du lot parmi ceux qu'on a empruntés à la bibliothèque. L'oeuvre qui vous interroge, vous force à vous poser des questions, voire même à remettre en cause votre mode de vie. Eh bien, ça a été le cas de Lulu, femme nue, d'Étienne Davodeau, cycle de deux tomes (Premier livre, en 2008 et Second livre, en 2010) paru aux éditions Futuropolis. J'avais envie, aujourd'hui, de partager la drôle d'impression que j'ai eue à la lecture de cette BD.
> Coup de crayon
Étienne Davodeau a su se faire un nom dans la BD franco-belge, puisque nombre de ses oeuvres ont été primées, telle que
Les Mauvaises Gens : une histoire de militants (2005), qui a reçu trois distinctions, dont une du FIBD d'Angoulême. Son style tremblotant est reconnaissable, et imprégné dans la culture bédéphile française. le dessinateur mélange ici son crayonné hésitant à une utilisation de l'aquarelle qui aide à l'immersion dans l'univers de cette femme, Lulu. En effet, sur fond d'une histoire peu ordinaire dans laquelle Lulu recherche un peu de poésie et de légèreté, l'aquarelle vient offrir ce cadre apaisant tant convoité. Les cases ne sont pas forcément encadrées d'un trait noir, les limites, ce sont les couleurs. Couleurs chaudes lorsque Lulu se balade sur la plage, couleurs froides lorsqu'elle se sent moins bien, atmosphère sombre et oppressante lorsqu'elle est perdue, Étienne Davodeau a su traduire les différentes ambiances grâce à l'aquarelle. Et c'est certainement cela qui rend la lecture si reposante et agréable. Malgré la décision discutable de Lulu, le lecteur parvient à se détendre.
> Coup de plume
Étienne Davodeau est ici dessinateur et scénariste. Il raconte l'histoire de Lulu, qui, suite à un entretien d'embauche raté, décide de partir sur la côte, laissant en plan son mari et ses trois enfants, recueillis par des amis. L'incompréhension est totale, les critiques sont vives, le mari empoté est désemparé, les enfants se demandent où est leur mère… Personne ne sait ce que fait Lulu, jusqu'à ce que Xavier, un ami, décide de partir à sa recherche. Alors, il va raconter ce qu'il a vu à tous les autres. D'aventures en mésaventures, le lecteur découvre, en même temps que les amis et la famille, ce qu'il est arrivé à Lulu. Il s'agit ici d'une mise en abîme très réussie, où l'auteur raconte l'histoire de personnages qui racontent l'histoire d'un personnage… Bon, vous m'avez comprise ! Étienne Davodeau n'est plus conteur, mais Xavier et Morgane (l'aînée des enfants), le deviennent. C'est un processus original et très réussi, qui permet de laisser planer quelques zones d'ombre sur Lulu. Les personnages ne sont pas, ici, omniscients, comme dirait notre prof de français, mais se rattachent à ce qu'ils ont vu ou entendu. Je pense que la beauté de Lulu, femme nue, réside dans ce récit où le doute est de mise, où nous ne pouvons savoir ce qu'il se passe dans la tête de Lulu tant qu'elle n'accepte pas de le dévoiler. le lecteur dépend ici du personnage si mystérieux et attachant à la fois, de cette femme qui a perdu goût à la vie à cause d'une routine destructrice et sans saveurs. Lulu ne se livre finalement pas à nous, mais à ses amis, et Étienne Davodeau joue avec son pouvoir de scénariste et de créateur. Ainsi que le prouve le plotwist final…
Lulu, femme nue, c'est un roman graphique plus qu'une BD qui raconte ce que l'héroïne veut bien raconter. Et je trouve ça plutôt génial !