Léa Delmas est une adolescente qui ressent beaucoup de désir pour les jeunes hommes qui l'entourent. Cette pulsion naturelle, explosive chez elle, va être contrariée par cette drôle de guerre qui envoie les hommes au front et ne laisse que quelques adolescents transis amoureux auprès d'elle.
L'action se passe en partie dans une élégante propriété viticole du bordelais, près de Saint Macaire, le village de Mauriac, et non loin de Sauternes et ses grands crus. Dans ses pérégrinations diverses et variées, Léa ira jusqu'à Paris, d'abord chez ses tantes, capitale où elle retrouvera successivement ses deux amants. Laurent, le mari de sa cousine, duquel elle pense être très amoureuse et Pierre, charmeur et viril ami de la famille avec qui la sexualité est simple et débridée.
Mais l'exode arrive et Léa va traverser la France avec ces milliers de gens lancés sur les routes. Cette partie importante du roman retrace avec justesse une période historique parfaitement restituée, plus vraie que nature.
Il semblerait que l'inspiration de l'auteure vienne tout droit du roman de
Margaret Mitchell (
Autant en emporte le vent). Je ne peux me prononcer, n'ayant pas lu ce dernier. Mais une chose est certaine, j'ai retrouvé dans l'oeuvre de
Régine Deforges un exode très semblable à celui que décrit
Pierre Lemaitre (
Miroir de nos peines), jusqu'à y trouver une ressemblance étonnante (par exemple, quand elle évoque la file de cars militaires emmenant des détenus vers une prison aux alentours d'Orléans… passage essentiel chez Lemaitre). Il ne fait pas de doute que l'inspiration des écrivains se nourrit parfois des lectures de l'auteur… C'est un procédé courant je pense, même s'il est à peine avouable. Deforges a-t-elle copié Mitchell ? Lemaitre a-t-il copié Deforges ? Cette question reste ouverte à ceux qui voudront s'en saisir.
Léa découvre, en peu de temps la souffrance et l'amour, la perte d'êtres chers, mais aussi la joie d'en retrouver certains, presque par miracle. Engagée dans ce tourbillon guerrier où ses repères sont brouillés, elle connaitra le courage, la trahison, les héros ordinaires et les piètres collaborateurs.
Revenue chez elle dans le bordelais, elle va devenir un élément de la résistance presque contre son gré.
Personnage d'abord très égocentrique, égoïste et fantasque, elle gagne au fil des pages une densité dont on ne la sentait pas capable de prime abord. Malgré tout, elle reste un personnage assez futile guidé par ses seules émotions et pas toujours très sympathique, même si elle fait preuve de courage et d'indépendance.
Cette fresque historique est composée de trois parties, cette critique n'abordant que la première. Manifestement, l'auteure prend le temps de mettre ses personnages en place, de leur donner une certaine densité sculptée par les évènements historiques. La psychologie des uns et des autres est travaillée. On regrettera juste une façon un peu caricaturale d'aborder les bons résistants et les méchants collaborateurs.
Les chapitres s'enchainent rapidement et le style simple mais souvent délicat accroit ce plaisir qu'on ressent à tourner les pages sans lassitude.
Pour bien connaitre la région de Langon, le sauternais et avoir visité la maison de Mauriac, j'ai apprécié les efforts de
Régine Deforges pour rendre ces beautés palpables pour le lecteur.
Ce roman n'est certes pas un chef d'oeuvre littéraire, mais je comprends qu'en 1983 il ait suscité l'émoi dans le monde littéraire. Léa est subversive, ses compagnons sans complexe, et les scènes de sexe torrides. Mais force est de reconnaitre que tout cela a bien mal vieilli et les presque quarante ans de bouteille n'ont pas bonifié cette cuvée.
Michelangelo 15/04/2020