Delacomptée Jean-Michel - "
Petit éloge des amoureux du silence" – Gallimard-folio, 2011 (ISBN 978-2070443420)
Le titre est trompeur, il provient probablement de l'éditeur, car il s'agit en fait d'une longue vocifération exaspérée contre l'un des fléaux majeurs de notre société actuelle, à savoir le bruit, le bruit sous toutes ses formes, mais surtout en tant que nuisance gratuite imposée à d'autres gens par des sadiques tout contents d'avoir une victime à leur disposition.
Ce livre est mal écrit, l'auteur déballe toutes ses rancoeurs en vrac, sans plan précis, sans argumentation, avec rage et hargne, de telle sorte qu'il ôte beaucoup d'intérêt à son entreprise pourtant fort louable. L'importance de ce livre vient de ce qu'il ose témoigner d'un fléau dont la simple dénonciation est aujourd'hui à peine tolérée.
Comme l'auteur le répète à plusieurs reprises, c'est le plus souvent la victime du bruit qui est aujourd'hui suspectée d'être coupable d'antimodernisme, d'antijeunisme, de ringardise, bref de relever d'un traitement psychiatrique, tant notre époque tente constamment d'écraser dans l'oeuf toute tentative de réflexion approfondie et continue, entre autre en bombardant les gens de bruits incessants.
L'auteur n'a malheureusement pas vraiment travaillé son sujet, car il passe sous silence l'un des pires aspects du bruit d'aujourd'hui, à savoir ce téléphone portable omniprésent, qui brise même les conversations les plus affables, et déglingue toutes les réunions de façon ahurissante.
Il ne fait qu'effleurer l'autre vérité essentielle : chez les plus pauvres, chez les plus démunis intellectuellement, le bruit sert de manifestation de puissance (surtout chez ces pauvres gamins abrutis dans la misère morale et matérielle des banlieue, confinés dans leur bêtise crasse, faisant par exemple ronfler de ridicules pétrolettes) de façon pitoyable : c'est le règne de la brutalité la plus criante.
Hélas, tout ceci n'est guère développé dans cet opuscule qui se veut plutôt pamphlet. A part une page ou deux, il manque également un chapitre qui aurait dû être consacré à celles et ceux qui luttent contre ce fléau, en obtenant peu à peu des résultats. Comme l'auteur le signale lui-même, les fumeurs tenaient le haut du pavé jusque dans les années 1970, il fallut de nombreuses campagnes de prévention pour inverser la tendance, mais c'est à peu près fait maintenant. Il est permis d'espérer qu'il en ira de même pour le bruit...
L'auteur aurait pu et dû replacer son pamphlet dans le cadre plus général de la destruction systématique de l'attention sciemment organisée (cf aveu de Patrick le Lay avec son trop célèbre Coca-Cola) et des réflexions entreprises depuis peu dans le domaine de l'économie politique de l'attention par des gens comme Matthew Crawford ou
Yves Citton.