" Se donner à corps perdu", "Aimer à perdre la raison" : si ce n'est Camille Claudel qui a inspiré ces expressions, assurément, rien n'est plus vrai pour "tenter" de cerner cette femme rebelle, habitée par la passion, les passions, le mot est faible tant il est porté à son paroxysme.
Ce besoin d'absolu est en elle dès sa plus tendre enfance. Les éléments sont autant de sensations dont elle se repaît, faisant corps avec la beauté aride et lugubre de son sol natal, dont elle prélève la terre forte, glaiseuse qu'elle pétrit avec frénésie. Rien ne compte plus que de donner naissance à sa vision du monde par ses sculptures à la facture déjà prometteuse.
A l'initiative de son père qui lui voue une admiration inconditionnelle, incomprise de sa mère et de sa soeur, vénérée par son petit frère Paul, Camille avec la ferme intention de valoriser son art entraîne sa famille qui s'installe à Paris. le sacrifice est grand, le père reste en province, Paul s'ennuie, sa mère et sa soeur mènent une vie restreinte et monotone. Pour Camille le coup de foudre avec la capitale est immédiat, elle seule ressent cette ville qui vibre et à n'en pas douter l'attend.
Recommandée par Alfred Boucher, Camille est admise à l'atelier d'
Auguste Rodin. Très vite le sculpteur remarque la singularité de cette jeune fille ombrageuse, insolente dont le talent est aussi intrigant qu'elle-même. Une attirance mutuelle naît entre Camille si jeune et cet homme mûr, ingrat de sa personne mais dont le génie s'anime dès qu'il devient le Maître. Une liaison orageuse, débridée et sublimée par leur art prend vite une place grandissante, envahissante au mépris des convenances. Tous deux n'ont cure des qu'en diras-t-on. Ils abritent leur passion au "Clos Payen" loué par Rodin. Camille veut ignorer la liberté de moeurs de Rodin ainsi que sa double vie avec Rose la mère de son fils.
Anne Delbée raconte ensuite les trahisons du Maître, le sentiment d'abandon, la lente déchéance jusqu'à la démence. Sa soif de reconnaissance l'entraînera vers l'abîme ; l'amour et le génie lui seront fatals.
Quelques vers de la chanson de de
Jacques Brel "La quête" pourrait illustrer la violence de cette perte d'identité :
"Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile"
Cette biographie m'a marquée : c'est un livre "fort" qui ne peut pas laisser indifférent. Si on n'ignore pas la passion tumultueuse partagée par Rodin et la soeur du poète
Paul Claudel, l'écrit d'
Anne Delbée permet d'en mesurer la force et la folie. Je recommande sans réserve.