La dystopie, ça me flanque le cafard, une roulette russe où l'abattement se loge dans le barillet. Tu y greffes du féminisme et là, d'un bloc, ça te pond
Viendra le temps du feu.
Si j'étais assez douée pour écrire autre chose que des critiques, c'est au grand jamais que je me lancerais dans la dystopie. N'est-ce pas que la dystopie est exigeante ? Une forme de vérité des choses dramatisée au futur. Elle engage le lecteur sur un terrain politique, d'un éveil à la vigilance. Et puis on n'imagine pas un récit conçu à la va-vite, entrecoupé astucieusement de séances vidéo YouTube au mordant complotiste.
Puis fatalement vient le temps des comparaisons. Car s'il existe un genre aux gros cuissots, sorte de bordel encombrant qui fait flipper quand on veut se lancer au feeling, c'est bien celui-là. Tiens, par exemple, 1984, le meilleur des mondes, Fahrenheit 491 ou The Handmade's Tale, ça pleut dur, jusqu'ici certains ont bricolé plus que sérieusement.
Alors quid de notre bouquin ? Je ne suis pas une toquée de récit futuriste, d'un rétro post-apocalyptique piqué de technologies qui nous branlent tour à tour les neurones ou nous les lobotomisent.
À mon soulagement, le livre en est exempt. Ceinturé d'amulettes pour mieux asservir son peuple, l'impénétrable État balance ici un peu de tout en termes de mesures coercitives. L'épouvantail ultime, c'est le dehors, sorte de sombre far west où l'eau se fait rare, le sol infertile, en gros, tout est clamsé dans les terres inhospitalières.
Et c'est forcé, la liberté trinque, scalpée par un régime despotique sans visage. Alors on instruit aux têtes blondes une parfaite docilité d'esprit et de corps, l'épuration du langage en étant une facette, et on encourage la surveillance de ses pairs. Les classiques du genre sont bien là dans un pays qui ségrège la population, amas mou traversé d'une forme de renoncement neurasthénique.
Les femmes, sans surprise, sont les premières à dérouiller se dandinant tout contre la Père-patrie. Sur fond d'obligeances patriarcales, les nénettes suent, bassinées par un catéchisme nataliste où l'empowerment féminin prend un billet aller simple pour les chiottes, complété par un nationalisme bien trempé. Ainsi on ferme les portes, rien ne doit passer, l'étranger, ça dégage.
Aussi les LGBTQIA+ prennent leur mandale, c'est comme dans les fratries, pas de favoritisme, la distribution des dérouillées, c'est pour tout le monde. Il faut que ça file droit et en ligne droite, le contrat hétéronormatif ou rien. N'escomptez pas vous fendre la poire, la plume est de circonstance, aride et froide, l'ensemble roulé dans de courts chapitres extrêmement cadencés.
Dans le même temps, car on ne saurait imaginer une dystopie sans des lueurs d'espoir, des formes embryonnaires de résistance s'organisent. J'ai bien apprécié cette communauté de femmes, braves tailleuses de pierre se méfiant des hommes. Loin de lancer des confettis,
Wendy Delorme dresse un portrait attachant d'amitiés et d'amours au féminin, de deuils douloureux, d'abandons à peine digérés, de vies de labeur où les corps se déploient dans leur pleine force physique, qualité trop souvent découplée du corps féminin.
J'ai aimé cette sororité aguerrie faite de rocs et de pieux, loin de la figure maintes fois singée de la féministe, celle de l'hystérique aux aisselles poilues, de sa voix de crécelle venant agacer les tympans fragiles de ces messieurs. Un bon bouquin à offrir à votre pote progressiste.