Viendra le temps du feu est notre futur, d'ailleurs l'autrice se sert de l'actualité pour poser les bases de son Etat totalitaire. Elle évoque, à travers les témoignages, les événements de notre monde réel qui se sont accumulés, et à partir desquels tout a commencé à partir en vrille.
C'est ça le principal point fort du roman : sa ressemblance avec notre monde actuel. C'est ce qui rend le texte si terrifiant. Plusieurs fois les personnages parlent d'ailleurs du passé (notre présent donc) en disant que tout le monde savait qu'on allait dans le mur, mais que personne n'a rien fait.
Viendra le temps du feu est donc le mur et l'après-mur, ce qui nous attend.
Le roman décrit à travers les témoignages ce régime totalitaire à travers sa capitale, seul lieu que l'on va parcourir. Nulle mention d'autres villes, d'autres endroits de cet Etat. Cela pourra être un peu frustrant pour certaines personnes. Parce que ça manque de précisions. Mais dans le fond on n'a pas non plus besoin de plus pour se faire une idée de la vie dans cette ville.
Par ailleurs, celle-ci parait encore plus terrifiante par le contraste qu'elle offre avec la sororité en place de l'autre côté de la rive, et dont sont issues plusieurs des femmes qui rapportent leur témoignage. Deux systèmes de valeurs, deux mondes et deux fonctionnements différents, irréconciliables. On fait un va-et-vient constant entre avant et maintenant, la rive opposée et la ville, les femmes de la sororité et le mélange dans la ville.
Viendra le temps du feu montre alors une porte de sortie possible, mais sans le faire de manière manichéenne. Si la représentation des deux clans peut être assez schématique et tracée à gros traits, la vie dans la sororité n'est pas non plus idyllique. Ca ne fait pas rêver non plus. La violence est partout et même là. D'ailleurs, l'évocation a posteriori de cette sororité dont il ne reste que des vestiges en dit long sur la pérennité d'un tel modèle.
Enfin,
Viendra le temps du feu est un roman choral, court, divisé en petits chapitres. de ce fait, il se lit très vite. La rapidité est accrue par la diversité des voix narratives et des temps. Les souvenirs s'entremêlent au récit du présent, à l'instantanéité.
Wendy Delorme offre ici un roman intimiste, la voix de corps qui s'expriment. Beaucoup de sensualité se dégage de ce roman, qui offre quelques passages assez crus. A la fois entiers et violents, car rien dans ce monde ne permet à la douceur de se répandre…
Cela aurait pu être vraiment chouette mais j'ai trouvé l'exécution moins parfaite.
D'abord parce que les dernières pages du roman proposent quelque chose de beaucoup plus guerrier, en total contraste avec le roman intimiste qui se dévoile de page en page. Ce que j'ai trouvé assez maladroit, car ce changement de cap et de ton tombe un peu comme un cheveu sur la soupe et est à la fois vite amené et vite torché. La précipitation finale m'a laissée perplexe, complètement à l'écart de ce que proposait le roman jusque-là.
Et ensuite, parce qu'il se dégage par ailleurs du texte une sorte de flou. On ne sait pas trop comment ni par quel biais les personnages s'expriment. Ni à qui. On ne sait pas non plus comment ces textes nous parviennent, comment ni par qui ils ont été assemblés, et dans quel but. L'absence de réponses à ces questions, même pas posées d'ailleurs, a généré chez moi une distance assez importance avec les propos, ce qui m'a empêché de ressentir de plein fouet les émotions partagées.
Enfin, j'ai trouvé que l'aspect choral était un peu loupé.
Parce que finalement, il n'y a pas vraiment de choeur. Plusieurs personnes racontent, écrivent et parlent, mais je n'ai pas ressenti non plus d'individualité particulière. Hormis lorsque « l'enfant » parle, chaque personnage est semblable à un autre.
C'est d'autant plus marquant que si la forme des témoignages diffère peu, le fond est également redondant. Les récits se ressemblent beaucoup.
Il n'y a pas vraiment de voix qui se détache des autres. On retrouve partout la même prose douce et poétique, qui relate l'horreur vécue. C'est certes beau à lire, mais je n'entends pas de choeur. Juste une voix; belle mais monocorde.
Mais cela pourrait être fait exprès, pour insister sur le poids du collectif plutôt que sur l'individu seul. En somme, un récit qui souhaite davantage mettre l'accent sur le groupe sororal, comme la voix unique de toutes ces femmes qui ont été meurtries de manière similaire par l'Etat totalitaire en place. Une manière de faire corps, de faire front uni. Quelque chose comme « nous sommes plusieurs, mais nous ne faisons qu'une ».
C'est d'autant plus pertinent que le roman n'est vraiment pas dans le détail des individus.
Viendra le temps du feu peut alors se lire comme le schéma d'un système en place, qui regroupe ses différents acteurs à leurs fonctions actantielles. Ce faisant, même si cela peut sembler manquer de nuance et de finesse, le poids et la voix de chaque groupe est amplifiée, et le message du roman est limpide.
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