Ingrid Desjours, votre talent n'est plus à prouver. Un talent que la Cour ne pourra réfuter, un talent pluricéphale qui fait de vous une auteure dangereuse à tous points de vue. Un talent enfin, qui réunit de nombreux lecteurs. Ceux-là même qui se pressent devant ce tribunal, attendant un verdict qu'ils espèrent clément et retenant leur souffle pendant ce réquisitoire auquel je sais qu'ils n'adhéreront pas.
Puisqu'il n'est de pire juge que soi-même, je mets en garde mon auditoire quant au manque d'objectivité qui pourrait m'envahir mais il est de mon devoir, en tant qu'avocate générale, de pointer du doigt les quelques imperfections qui nous réunissent aujourd'hui. Pour autant, je n'en oublierai pas les preuves à décharge qui vous démontreront ma totale intégrité.
Que jugeons-nous aujourd'hui ? Un roman ou bien l'état d'une société qu'il dépeint ? Qui avons-nous sur le banc des accusés ? Une auteure ou son oeuvre ? Je répondrais que nous jugeons un tout car il n'est de roman sans écrivain et sans tableau pour faire évoluer des personnages.
Lors de ce procès, nous avons pu entendre le témoignage du médecin légiste qui a effectué l'autopsie et je reviendrai peu sur les preuves de qualité qu'elle a su présenter devant ce tribunal. Certes,
Ingrid Desjours a utilisé un tableau social que tous nous connaissons, la montée de certains partis que je qualifierais d' »extrême honte » vous parle autant qu'à moi et c'est avec crédibilité que l'auteure en tire partie.
Il est a noter que sa formation de psychologue transparaît dans ce roman et que les déviances et les intolérances de certains personnages sont expliquées, voire étudiées, à travers leurs enfances et leurs éducations.
Pour paraphraser l'écrivain belge
Joseph Messinger : « Toute notre éducation est fondée sur le chantage affectif et la double contrainte, la carotte et le bâton, et l'apprentissage sans intelligence des préjugés les plus stupides ». Nous ne sommes pas ici pour disserter sur les terribles conséquences de graves manquements éducatifs mais ce tribunal appréciera ma reconnaissance de la légitimité de l'auteure et son expérience en la matière.
Voyez comme je m'adresse à cette Cour en mettant l'accent sur les qualités d'un roman qu'aujourd'hui je ne défends pas ou si peu. Voyez comme j'ai apprécié cette construction insolite et assez remarquable… Je me fais procureure devant une presse qui est unanime et pourtant je n'ai su voir en ce roman autr
e chose qu'un divertissement éphémère. Si bien que je n'ai su me déparer de cette impression d'excès de romantisme qui a entaché mon jugement.
Les quelques incohérences que j'ai pu noter auraient pu être oubliées si pour ma part, j'avais pu ressentir une quelconque sympathie pour les protagonistes de cette affaire, or ils furent les artisans de leur propre perte et en dépit du travail acharné de l'auteure pour faire perdre les repères à son lecteur, je n'ai pas su en saisir la substance et je n'ai su lesquels d'entre eux aimer.
Ingrid Desjours, votre récit est pavé de bonnes intentions et j'en ai apprécié le fond. Vous dénoncez certains travers de notre chère patrie et vous y mettez votre coeur et votre sueur. Vous avez gagné mon respect et mon admiration là où d'autres se seraient heurtés à un rempart. Mais je n'ai d'autr
e choix que celui d'exercer le rôle qui m'est dévolu, à tel point qu'il me faut parfois faire acte de sévérité.
J'en appelle à la partialité de cette Cour mais je ne voudrais influencer son verdict. Eu égard à ce qui précède, c'est l'avocate mais c'est aussi la lectrice qui vous le dit : Lisez ce roman, votre jugement n'en sera que plus légitime. le mien, ma foi, n'a que la valeur que vous voudrez bien lui donner .
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