ça faisait tellement mal qu'elle n'avait pas envie de pleurer.
Chaque réveil était insupportable, juste après la première minute d'inconscience. Puis, c'était devenu rituel, elle se faisait la réflexion "Tiens, je vais bien ce matin" et aussitôt ça lui revenait, pourquoi elle irait mal. Cadavre de bête pesant des tonnes couchée en travers de son corps, elle suffoquait tout en couvant une panique à griffes longues, bestiole pénétrée dans sa gorge et qui voulant sortir lui défonçait les parois intérieures. Accès de rage comme elle n’en avait jamais connu, qui la faisait grogner, animal blessé aveuglé par son sang, elle suffoquait, renâclait, crachait son manque et son angoisse, son dos brisé la clouait au lit.
Cette histoire est trop déséquilibrée, elle est en demande de tout et lui n'a besoin de rien.
Elle voudrait être exactement ce qu'elle est mais nettoyée de ça. Elle voudrait ne pas savoir un tas de choses qu'elle sait, qu'elle connait jusque dans sa chair, et surtout elle voudrait ne pas avoir ouvert autant de trappes sous ses pieds.
Elle chantonne en s'aspergeant d'eau "Qu'est-ce que j'en ai à foutre et je ne crois en rien, je peux vivre au coup par coup, en coups durs de plus en plus durs".
Elle a souvent entendu des gens raconter leurs histoires, qui au moment où ils touchaient le fond, voyaient Dieu, un ange, une apparition dans le ciel, faisaient une rencontre édifiante, une découverte qui changeait toute leur vie. Bref, quand ça va mal, pour les autres, il se passe quelque chose de l'ordre du miracle.
Elle, quand ça va au plus mal, la providence lui envoie un adolescent moitié débile et obsédé sexuel.
La vie, c’est le mouvement, t’as pas fini de quitter des gens.
" Tant que la bulle est close, le monde extérieur bloqué à la porte, tout se passe bien. Elle est blottie contre la paume de ses mains, la pulpe de ses lèvres, toute angoisse est laissée dehors.
Cependant, régulièrement, il faut s'aventurer dehors. Alors la peur revient, roues métalliques tranchantes qui jonchent tous les parcours et travaillent dans la chair, pour attaquer les os.
Dans les couloirs du métro, c'est joyeux comme un vestibule d'abattoir. Découragement, inquiétude et misère, ça se lit sur les visages, une masse immonde et noire qui recouvrirait tout. Qui éteint les regards, remplit les bouches que ça tire vers le bas. Cendres et rancœurs, braises travaillées par les charognards, bouches de mort excitées par les odeurs de la peur. Dans l'attente palpable et mystique du châtiment anonyme, à Paris plus qu'ailleurs en France, la foule attend la bombe. Ou tout autre chose d'explosif, en fait. Cette menace imminente est quasiment tangible, répercutée le long des corps. Les regards des gens, pourtant, résistent, s'efforcent de rester droits." p185-186
" A force de souffrance, par une alchimie émotive mystérieuse, le cœur génère ses propres éclaircies. Malheureusement assez brèves. " p37
Elle l'attend devant chez Ladurée, pendant qu'il se fade des heures de queue. Elle allume une clope et fait des réflexions à voix haute:
- Ca, bande de connards, quand il faut attendre cinq minutes à la poste, là on vous entend, tous... mais à cinquante euros la boîte de gâteaux, là trente minutes de queue sans l'ouvrir... Vous êtes d'une bêtise intolérable... vous êtes des pauvres, dans l'âme, vous êtes des connards de pauvres, entendu?