Virginie Despentes ose les mots pour le dire. Dire quoi au fait ? La King Kong théorie, c'est-à-dire la réalité des rapports hommes-femmes directement liés au formatage, dès le plus jeune âge, des uns et des autres par une société fondamentalement patriarcale. Ainsi l'homme se doit d'être viril et dominer la femme qui ne connaît qu'une posture : la soumission.
Ceux ou celles qui tentent d'agir autrement, par exemple une femme qui veut être libre doit prendre le risque d'être violée, et si viol il y a, elle doit prouver qu'elle n'était pas d'accord. le viol est donc perçu par la société, et souvent par la femme elle-même, comme un mal inévitable parce que lié à la virilité masculine.
Prenant son expérience personnelle de la prostitution, Virginie Despentes estime aussi que comme la pornographie, celle-ci ne doit plus être organisée par et pour les mâles. Elle revendique pour les femmes le droit de disposer de leur corps pour gagner de l'argent si c'est leur volonté, et ce sans être ostracisées et mises au ban de la société.
Un discours féministe qui peut paraître radical, la forme l'est souvent, qui est une réflexion argumentée, sensible et bien formulée de la condition féminine (et masculine) et de sa nécessaire évolution.
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King Kong Théorie n'est pas un roman mais un manifeste féministe , un témoignage . Et ce qu'elle a vécu est assez trash ...
Au commencement, il y a un viol…
La jeune Virginie aimait beaucoup les concerts, et avec une amie , elle sillonnait la France en auto-stop pour s'y rendre, quand soudain , c'est la voiture de trop… 3 gars/deux filles …
♫ C'est comment qu'on freine, j'voudrais descendre de là ♫.
[ " J'imagine toujours pouvoir un jour en finir avec ça. Liquider l'événement, le vider, l'épuiser. Impossible Il est fondateur. de ce que je suis en tant qu'écrivain, en tant que femme qui n'en est plus tout à fait une. C'est en même temps ce qui me défigure , et ce qui me constitue" ].
[ " Je suis plutôt King Kong que Kate Moss, comme fille " ]
C'est violent à lire , c'est la vérité brute, une vérité qu'on n'a pas l'habitude d'entendre.
A quel niveau de traumatisme, tu situes le viol, quand tu crains pour ta vie ?
Comment tu (sur)vis en tant que victime , quand pendant tout le viol, tu sais que tu as un couteau dans ta poche et que n'oses pas le sortir ?
Après il y a la prostitution… le chapitre : " Coucher avec l'ennemi"
Les petits boulots l'ennuient et ne rapportent pas assez , la prostitution sera un moyen de gagner plus d'argent , plus rapidement.
[ Ça m'a plu, dans un premier temps de devenir cette fille-là. Comme de faire un voyage. Sur place, mais dans une autre dimension."]
Sur la prostitution, je ne suis pas totalement d'accord avec elle, avec sa vision. Il me semble qu'elle 'bisounourse" un peu ce métier qu'elle a pratiqué dans les années 90. Elle n'a jamais eu de problèmes avec un client violent, jamais eu maille à partir avec un proxénète, même plus tard en travaillant dans un salon de massage . Je pense que ce n'est pas le cas de toutes les prostituées.
Sa vision du mariage (ou du couple hétéro ), en France , à notre époque me parait datée … [ "quand on affirme que la prostitution est "une violence faite aux femmes", on veut nous faire oublier que c'est le mariage qui est une violence faite aux femmes, et d'une manière générale, les choses telles que nous les endurons. Celles qu'on baise gratuitement"...]
Bon, une chose est sûre, les hommes ne sont pas à la fête dans ce livre… Considérer que , seul l'homme a une sexualité, des "besoins" , me fait rire et date un peu. N'a t'elle jamais entendu parler de sex friends ? Les hommes ne sont pas nos ennemis ; je comprend qu'avec ce qu 'elle a subi , elle le pense mais sa vision est un peu binaire.
Il reste que le livre de madame Despentes nous interroge, nous éclaire, nous fait réfléchir . Viol, prostitution, maternité, précarité, sexualité, place de la femme : tous ces sujets passent à la moulinette Despentes !
Je m'attendais à quelque chose de brouillon , pas du tout . Ça bouillonne et c'est plein d'énergie, une énergie qu'on retrouve dans tous ses livres. C'est très agréable à lire : ce livre ne m'a duré qu'une petite soirée...
J'ai adoré.
(merci canel !)
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Œuvre majeure de l’écrivaine, ce livre est un coup de poing qui fait voler en éclats les idées reçues sur le viol, la pornographie, ou la prostitution. Virginie Despentes raconte son histoire sans concession, et nous invite à repenser notre féminisme. Un incontournable.
Lire la critique sur le site : Elle
Il était temps de secouer le vieux monde, Despentes l’a fait.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Si nous n'allons pas vers cet inconnu qu'est la révolution des genres, nous connaissons exactement ce vers quoi nous régressons. Un État tout-puissant qui nous infantilise, intervient dans toutes nos décisions, pour notre propre bien, qui - sous prétexte de mieux nous protéger - nous maintient dans l'enfance, l'ignorance, la peur de la sanction, de l'exclusion.
Le capitalisme est une religion égalitariste, en ce sens qu’elle nous soumet tous, et amène chacun à se sentir piégé, comme le sont toutes les femmes.
On se fait engueuler parce que les hommes ont peur. Comme si on y était pour quelque chose.
Parce que l'idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l'esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d'école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu'un homme, cette femme blanche heureuse qu'on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l'effort de ressembler, à part qu'elle a l'air de beaucoup s'emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l'ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu'elle n'existe pas.
BAD LIEUTENANTES
J'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m'excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n'échangerais ma place contre aucune autre, parce qu'être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n'importe quelle autre affaire.
Je trouve ça formidable qu'il y ait aussi des femmes qui aiment séduire, qui sachent séduire, d'autres se faire épouser, des qui sentent le sexe et d'autres le gâteau du goûter des enfants qui sortent de l'école. Formidable qu'il y en ait de très douces, d'autres épanouies dans leur féminité, qu'il y en ait de jeunes, très belles, d'autres coquettes et rayonnantes. Franchement, je suis bien contente pour toutes celles à qui les choses telles qu'elles sont conviennent. C'est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. Bien sûr que je n'écrirais pas ce que j'écris si j'étais belle, belle à changer l'attitude de tous les hommes que je croise. C'est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j'ai parlé hier et que je recommence aujourd'hui. Quand j'étais au RMI, je ne ressentais aucune honte d'être une exclue, juste de la colère. C'est la même en tant que femme : je ne ressens pas la moindre honte de ne pas être une super bonne meuf. En revanche, je suis verte de rage qu'en tant que fille qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais même pas être là. On a toujours existé. Même s'il n'était pas question de nous dans les romans d'hommes, qui n'imaginent que des femmes avec qui ils voudraient coucher. On a toujours existé, on n'a jamais parlé. Même aujourd'hui que les femmes publient beaucoup de romans, on rencontre rarement de personnages féminins aux physiques ingrats ou médiocres, inaptes à aimer les hommes ou à s'en faire aimer. Au contraire, les héroïnes contemporaines aiment les hommes, les rencontrent facilement, couchent avec eux en deux chapitres, elles jouissent en quatre lignes et elles aiment toutes le sexe. La figure de la looseuse de la féminité m'est plus que sympathique, elle m'est essentielle. Exactement comme la figure du looser social, économique ou politique. Je préfère ceux qui n'y arrivent pas pour la bonne et simple raison que je n'y arrive pas très bien, moi-même. Et que dans l'ensemble l'humour et l'inventivité se situent plutôt de notre côté. Quand on n'a pas ce qu'il faut pour se la péter, on est souvent plus créatifs. Je suis plutôt King Kong que Kate Moss, comme fille. Je suis ce genre de femme qu'on n'épouse pas, avec qui on ne fait pas d'enfant, je parle de ma place de femme toujours trop tout ce qu'elle est, trop agressive, trop bruyante, trop grosse, trop brutale, trop hirsute, toujours trop virile, me dit-on. Ce sont pourtant mes qualités viriles qui font de moi autre chose qu'un cas social parmi les autres. Tout ce que j'aime de ma vie, tout ce qui m'a sauvée, je le dois à ma virilité. C'est donc ici en tant que femme inapte à attirer l'attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à me satisfaire d'une place à l'ombre que j'écris.
Lecture par Anna Mouglalis, Félix Maritaud & Louise Orry-Diquéro
« J'ai lu ce que tu as publié sur ton compte insta. Tu es comme un pigeon qui m'aurait chié sur l'épaule en passant. C'est salissant et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite bastringue qui n'intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu'on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l'as eu, ton quart d'heure de gloire. La preuve : je t'écris. »
Après cette raclée infligée par Rebecca – actrice star qui commence à s'inquiéter pour sa carrière la cinquantaine advenue – Oscar entame une conversation avec elle. Il se trouve qu'ils se connaissent depuis l'enfance, Rebecca était amie avec la grande soeur d'Oscar. Voilà pourquoi sans doute le dialogue va se poursuivre en dépit de l'animosité. Dans un paysage chaotique, car Oscar, écrivain qui a connu le succès, se trouve attaqué publiquement pour sa mauvaise conduite avec Zoé, son ancienne attachée de presse qu'il a poursuivi d'une drague lourde. Sèchement évincée de la maison d'édition pour ne pas donner tort à l'auteur à succès, Zoé règle ses comptes des années après sur les réseaux sociaux et se fait la voix du féminisme d'aujourd'hui. Nous sommes donc dans l'extrême contemporain et cet échange entre Rebecca et Oscar va explorer toutes les tensions d'aujourd'hui : la question du féminisme bien sûr, mais aussi celle des transfuges de classes. Plus largement, doutes existentiels et addictions aux drogues diverses vont nourrir leurs échanges. Peu à peu la conversation sans jamais s'amollir va s'adoucir. Comment faire avec l'époque, comment améliorer la bagarre pour qu'elle devienne sinon une possibilité de réconciliation du moins la possibilité d'un dialogue qui serait alimenté par la complexité et les faiblesses humaines ?
Un grand livre sur l'époque qui prend la forme de « Liaisons dangereuses » ultra-contemporaines. Formidablement éclairant.
À lire - Virginie Despentes, Cher Connard, éd. Grasset, 2022.
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