Patrick Deville en suivant les traces du Dr Alexandre Yersin, né en 1863, nous plonge dans un romanesque démesuré et même échevelé. Rares sont les ouvrages qui nous transportent et nous font vagabonder déci delà, du nord au sud dans les situations les plus invraisemblables, Celui-ci sous la plume virevoltante de
Patrick Deville, nous tient en haleine pour ne plus nous lâcher.
Si les mots doivent servir à véhiculer des pensées et des émotions, quoi de plus beau que de suivre ceux de
Patrick Deville, qui sait jouer des images comme on se joue des pastiches, ainsi le livre commence sur la main de Yersin, "la vieille main tavelée au pouce fendu écarte un voilage de pongé. Après la nuit d'insomnie, le vermeil de l'aube, la glorieuse cymbale."
En quelques évocations le talent de
Patrick Deville éclabousse la page. C'est le dernier voyage en 1943 depuis le Bourget de Yersin, qui aperçoit, "une petite baleine blanche et son ventre rond pour 12 passagers". Joyce et Matisse l'accompagnent.
Qui est ce personnage, qui nous surprend et se dérobe à nos schémas, car comment expliquer que ce fils de l'église évangélique vaudoise, va choisir la France aux dépens de l'Allemagne, cette famille où l'on refuse que l'État intervienne dans leur temple, ce fils restera jusqu'au bout, un suisse attaché à une éthique et à une rigueur exemplaire.
Cet Alexandre est de l'étoffe des héros quand il suggère ; "je ne pourrais jamais demander à un malade de me payer pour les soins que j'aurais pu lui donner. Je considère la médecine comme un sacerdoce. Demander de l'argent pour soigner un malade, c'est un peu lui dire la bourse ou la vie. "
Un savant mais aussi un anachorètre, retiré dans la jungle froide, rétif à toute contrainte sociale, la vie érémitique, un ours, un sauvage, un génial orignal, un bel hurluberlu.
Alexandre Yersin a sans doute tout connu, sauf la prison, ou du moins les barreaux d'une prison, car la Pointe des Pêcheurs à Nha Trang, a traversé les tempêtes, les glissements de terrains, l'enfer..
Quand certains font de la pêche à pied à Roscoff pour étudier les algues, lui Yersin est catapulté à Madagascar puis à Bombay, ses déplacements n'ont plus aucun sens, il est déjà un inter-mitant de la médecine un CDD des épidémies, un Uberiste de l'Institut Pasteur .
Las, trop las de parcourir le monde il devient le roi du caoutchouc, enfin un moyen de financer la recherche. C'est un certain Vernet agronome de la famille Vilmorin qui va l'aider à conquérir ce rêve.
Comme Cyrano il sera éconduit, et Fanny restera sa confidente. Sublime encore.
Avec une sobriété de pasteur helvétique
Patrick Deville réalise la prouesse de tracer en 220 pages l'itinéraire d'un monument de la médecine. Attaché cependant à ses nouvelles racines, et à ses plus beaux trésors, les arbres et les fleurs, ses prouesses finiraient par s'estomper, et tomber dans l'oubli, notamment la prouesse de celui qui a mis au point le vaccin antirabique, l'avancée la plus spectaculaire du début de XX ème siècle. Ce monument a succombé mais la stèle est là et l'homme est présent partout au Vietnam.
Ces heures passées ont imprimé en moi des émotions aussi intenses que celles éprouvées pour Cyrano ou le comte de Monte Christo, le prix Fémina pour celui qui ne s'est par reproduit me demeure un mystère, peut être une façon jugée trop classique d'écrire qui lui coupe la voie du Goncourt, un de plus dans cette exceptionnelle trajectoire.