Eléonore Devillepoix nous offre une fable à la fois poétique et caustique. En mettant en scène une communauté d'oiseaux dans la capitale belge, elle évoque en filigrane les travers des humains. Avec beaucoup d'humour et une fausse simplicité, elle nous pousse à porter un regard critique sur notre société et notre rapport aux autres.
Quel remue-ménage à
Brussailes ! Les oiseaux s'insurgent : de nombreux oeufs ont disparu. Au Parlement, les débats vont bon train. Chaque espèce a son idée sur le coupable et sur les sanctions à prendre. Pour cette affaire sans précédent, il est finalement décidé d'envoyer trois oiseaux mener l'enquête : une corneille, un rouge-gorge et… un pigeon, Jaboterne. Un choix étonnant vu le peu de considération que les autres oiseaux ont pour les pigeons, qui, il faut bien le reconnaître, ne brillent pas par leur intelligence. Jaboterne, qui ne demandait rien à personne, va donc se retrouver bien malgré lui héros de cette fameuse histoire d'enlèvement.
Une fable animalière qui n'est pas sans rappeler La Ferme des animaux, avec un ton savoureux et plein d'humour.
Eléonore Devillepoix s'essaie à son tour à la critique de notre société, à travers ce conte mettant en scène le Parlement des oiseaux à
Brussailes. On repère facilement les différents groupes sociaux qui se cachent derrière chaque espèce et l'autrice nous ouvre les yeux de façon détournée, et pourtant limpide, sur tout autre chose qu'un mystérieux vol d'oeufs. Elle traite de sujets comme la politique, la différence, la théologie, l'amitié et l'entraide. Mais les grandes thématiques abordées sont les préjugés et la peur de l'autre, qui restent malheureusement toujours brûlantes d'actualité. Celles qui sont pointées du doigt, ce sont les perruches, ces oiseaux exotiques qui prolifèrent à
Brussailes et ne s'intègrent pas assez aux yeux des espèces autochtones.
Outre le fond du roman, qui pousse à la réflexion grâce aux idées qu'il véhicule, la forme de celui-ci est tout aussi réussie. Éléonore Devillepoix semble avoir pris beaucoup de plaisir en écrivant, jonglant malicieusement avec les mots et une langue française riche et pleine d'inventivité. On y retrouve de nombreuses annotations dans la marge, toutes plus amusantes les unes que les autres, ainsi que plusieurs clins d'oeil à Bruxelles, ses rues et ses monuments (et en tant que Belge, on se régale de toutes ces petites références). Quant aux personnages, elle leur donne à chacun une vraie voix, une identité et une histoire qui confèrent beaucoup de profondeur à son récit.
Un roman assez inclassable, finement écrit et d'une grande originalité, qui pourra toucher tous les lecteurs, quel que soit leur âge. Roman jeunesse avec des rebondissements et une jolie morale intelligente, c'est également une fable universelle sur le vivre-ensemble, avec un sous-texte important et percutant.
[Avis écrit pour le magazine Page des libraires]