"
Ubik" mêle aux grands thèmes de la science-fiction -télépathie, machines intelligentes, lune colonisée- les obsessions de l'auteur pour la subjectivité du réel, la tendance de toute chose à dégénérer en chaos et la manipulation des masses à grande échelle.
Le récit débute en 1992, soit vingt-trois ans après sa date de publication.
Certaines avancées scientifiques témoignent de l'incessante quête de jeunesse éternelle. Des agonisants sont conservés dans un état proche du coma, et temporairement réveillés par leurs proches pour des échanges ponctuels de plus en plus laborieux au fur et à mesure que le capital vital ainsi préservé s'épuise. Les individus les plus riches se font greffer des organes artificiels pour remplacer les vrais lorsqu'ils sont défaillants, prolongeant ainsi leur existence de plusieurs années.
Car ici, tout se monnaye, l'allongement de la vie comme le simple fait d'ouvrir la porte de son appartement ou d'y prendre une douche.
La publicité ponctue le quotidien, comme l'évoque chaque entame de chapitre, sous forme d'annonce vantant le fameux "
Ubik", notion qui englobe tout et n'importe quoi, bière ou déodorant, société de crédit ou nettoyant pour parquets…
Le monde est alors divisé en deux camps : celui des Psis, composé entre autres de télépathes et de Précogs capables de prédire l'avenir, dont les talents sont utilisés à la surveillance des citoyens, et celui de l'organisation Runciter, dirigée par un magnat du même nom, qui lutte contre ces premiers, mission qu'elle peine depuis quelques mois à assurer. Dans ce contexte, et afin de sécuriser l'installation lunaire contre des intrusions psychiques, Glen Runciter et une équipe d'élite s'y rendent. Parmi eux Joe Chip, éternel fauché mais Antipsy de grand talent, et Pat Conley, nouvelle et belle recrue aux pouvoirs spectaculaires que Joe considère comme potentiellement dangereuse. Dès leur arrivée sur la lune, Runciter perd la vie dans un attentat. Joe prend le commandement du groupe.
A partir de là, l'intrigue enserre ses héros, et nous avec, dans des rets aussi énigmatiques qu'angoissants. La réalité, qui semble avoir perdu son assise, reflue vers des formes antérieures avant de plus ou moins se stabiliser en 1939. La sensation même d'être présent au monde vacille sous les différentes strates d'un réel que semble manipuler une entité infantile que tout ce cirque amuse. Vient un moment où la distinction entre morts et vivants elle-même devient incertaine.
Joe et les membres de son équipe, qui se décime peu à peu, sont-ils victimes d'une hallucination collective ou d'une machination machiavélique ?
A ces questionnements déjà bien flippants s'ajoute la mélancolie existentielle qui hante Chip face à la vacuité de l'existence, emplie de "désirs tristes, de besoins nébuleux (…) qui ne mènent à rien", son amertume face au constat de la fin de la compassion, de la chaleur humaine et du désintéressement.
Une amertume qui fait écho à celle de l'auteur, hanté par l'impossibilité d'échapper à l'automatisation grandissante et à la normalisation dévastatrice d'une société en perdition. Avec "
Ubik", inspiré par la crainte du surgissement d'un pouvoir de plus en plus autoritaire et réactionnaire (Nixon sera bientôt président), l'auteur anticipe l'omniprésence de la surveillance et de la publicité, les dérives du capitalisme et d'une technologie qui lui serait entièrement dévouée.
Lien :
https://bookin-ingannmic.blo..