C'est mon quatrième
Dicker. J'avais adoré le mystère Harry Pick comme un peu tout le monde. Ensuite, je m'étais plongé dans les « Baltimore » avec cette délectation que l'on éprouve lors des premiers émois juvéniles en tournant les pages de Verne ou
Stevenson. Sur ma lancée, j'avais également avalé son tout premier roman – celui qui n'avait pas trouvé le succès illico, évoquant la résistance du côté anglais.
Chez
Dicker, le lecteur réagit tout comme l'auteur : il est tellement happé par l'histoire qu'il en oublie le temps et les lieux. Il est dans un autre monde : celui de la fiction. Rien ne peut le déranger. Je suis même persuadé que le feu peut se déclarer dans sa maison,
Dicker continuera à pianoter son récit, parfaitement imperméable à toute activité extérieure.
La chambre 622 n'échappe pas à cette règle.
J'imagine facilement l'écrivain Suisse, coupé du monde, dans une pièce tapissée de notes punaisées aux murs, de post-il rajoutés ça et là, de flèches réunissant les liens entre les différents personnages – agrémentés évidemment de leur propre fiche signalétique, peut-être un croquis. Un vrai foutoir où une mère chatte n'y retrouverait pas ses petits. Et je parie que c'est EXACTEMENT ça.
Dicker le laisse deviner : le roman est construit comme un puzzle. Difficile de s'y retrouver sans avoir un plan. Lui le possède, en ayant dû pour cela, remodifier de fond en comble la déco de la pièce où il compose.
Il compose, parfaitement. Ce roman est une symphonie. Les différentes partitions finissent par se fondre dans une orchestration sans fausse note.
En revanche, le lecteur n'a pas la chance d'avoir ce canevas et se trouve balloté d'une révélation à une autre, d'une conjecture à une hypothèse. Il tâtonne dans l'obscurité des chapitres et tente d'y voir clair. Pendant tout ce temps, il reste scotché à l'intrigue, joliment agrémentée de personnages aussi bien croqués que chez Rowling.
Comme tout Suisse qui se respecte,
Dicker devait finir par évoquer ce sport national qui représente la bonne moitié du PIB national : la banque.
Le roman oscille entre les méandres d'une grande banque helvétique et les couloirs d'un palace à Verbier. On trouverait plus médiocre comme décor.
Ensuite les personnages. Ils sont aux petits oignons. Les banquiers : la famille Ebezner, dont le dernier rejeton, Macaire doit prendre ses fonctions de futur président. Mais cela n'est pas si simple dans ce monde sans pitié de la haute finance. Il y a le cousin Hansen, digne héritier de la branche délaissée de la famille. Anastasia, sa femme, aristocrate russe déchue dont la mère, Olga, ambitionne le plus beau des mariages. C'est en partie réussi.
Et puis il y a les deux personnages les plus forts du roman. J'ose l'écrire : on est quasiment chez Hugo ou Dickens, là. Levovitch, simple bagagiste au palace, mais doué d'une vraie intelligence et d'un charme fou. Et ce méchant intégral, le diable en personne, un de ces monstres qui ont de tout temps porté la littérature à son plus haut niveau. Je pense notamment au comte Fosco de Collins (mais j'en parlerai en temps et en heure). Tarnogol. Ne cherchez pas d'anagramme, il n'y en a pas.
Dicker a le chic pour vous faire battre le coeur en permanence dix pulsations au dessus de la normale et, oui je l'avoue, faire parfois monter les larmes aux yeux.
Ces poupées russes (le livre est constamment construit sur la base de flashbacks) rendent la lecture haletante et, très vite, on se moque bien de savoir qui est l'assassin. Car la « chambre 622 » n'est pas un polar, monsieur, c'est une grande histoire d'Amour, madame.
Sachez enfin que
Dicker réalise la prouesse de se mettre en scène lui-même et, par l'occasion, rendre un vibrant hommage à son éditeur, vous savez bien, ce personnage agissant dans l'ombre qui permet à un auteur de trouver ses lecteurs. Et dans ce cas précis, plus qu'un éditeur : un ami.